Deux approches comparées d’appui aux entreprises, en France et au Japon

Dossier : L'Intelligence économiqueMagazine N°640 Décembre 2008
Par Jean-Yves BAJON (80)

L’ac­tion de l’É­tat en faveur du déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal des entre­prises est assu­rée prin­ci­pa­le­ment par l’a­gence Ubi­france, sous tutelle du minis­tère de l’É­co­no­mie, de l’In­dus­trie et de l’Em­ploi, et dans une cer­taine mesure par la Coface ; côté japo­nais, elle est assu­rée par le Jetro, orga­nisme sous tutelle du minis­tère de l’É­co­no­mie, du Com­merce et de l’In­dus­trie (METI).

Repères
La pré­oc­cu­pa­tion des auto­ri­tés fran­çaises aux ques­tions d’in­tel­li­gence éco­no­mique a pris de l’am­pleur depuis plu­sieurs années, avec le rap­port du dépu­té Carayon et la mise en place du Haut res­pon­sable en charge de l’in­tel­li­gence éco­no­mique (HRIE), rat­ta­ché aux ser­vices du Pre­mier ministre et qui coor­donne de façon inter­mi­nis­té­rielle la poli­tique fran­çaise dans ce domaine. L’en­semble des facettes de l’ac­tion publique et des par­ties pre­nantes est bien décrit sur le site du HRIE : www.intelligence-economique.gouv.fr

Ubi­france et Jetro ont un sta­tut d’a­gence dis­po­sant d’une cer­taine auto­no­mie et les dotant de moyens bud­gé­taires dans le cadre de contrats plu­ri­an­nuels condi­tion­nés – plus ou moins – à l’at­teinte d’un cer­tain nombre d’ob­jec­tifs. Mais des dif­fé­rences existent clai­re­ment entre les deux.

Développement et promotion

Le Jetro regroupe à la fois les mis­sions de déve­lop­pe­ment des entre­prises japo­naises à l’é­tran­ger et de pro­mo­tion de l’in­ves­tis­se­ment étran­ger au Japon (cam­pagne Yoko­so Nikon) alors que la valo­ri­sa­tion de l’at­trac­ti­vi­té du ter­ri­toire revient en France à un autre EPIC, l’A­gence fran­çaise pour les inves­tis­se­ments inter­na­tio­naux (AFII). Même si Ubi­france et l’A­FII sont ins­tal­lées aujourd’­hui sur le même site à Paris, bou­le­vard Saint-Jacques, cha­cune dis­pose d’une gou­ver­nance, d’un mana­ge­ment et d’ob­jec­tifs propres, à cela près qu’à l’é­tran­ger les Mis­sions éco­no­miques peuvent être ame­nées à repré­sen­ter les deux enti­tés (cf. infra). 

La taille des réseaux à l’étranger

Ubi­france est forte, depuis sa créa­tion en 2003, à la suite de la fusion de l’As­so­cia­tion Ubi­france (ex-CFME ACTIM) et du Centre fran­çais du com­merce exté­rieur (CFCE), d’un effec­tif de près de 600 per­sonnes qui se concentrent sur deux sites, Paris et Marseille.

Une uni­ver­sa­li­té théorique
Le ser­vice pro­di­gué par le réseau fran­çais demeure encore lar­ge­ment uni­ver­sel dans l’es­prit : tous les pro­duits pour tous les clients dans tous les pays, même si l’é­tat des effec­tifs et des moyens rend cette des­crip­tion théo­rique et jus­ti­fie l’ap­pli­ca­tion pro­gres­sive du prin­cipe de réa­li­té : Ubi­france n’au­ra à terme des équipes dédiées que dans les pays les plus per­ti­nents pour y déli­vrer les ser­vices les plus appropriés.

Pour sa repré­sen­ta­tion à l’é­tran­ger, Ubi­france repose sur le réseau des Mis­sions éco­no­miques1, les bureaux du Minefe situés au sein des ambas­sades de France, doté de 2 000 per­sonnes envi­ron sur 150 sites dans plus de 100 pays et dont un mil­lier est dédié exclu­si­ve­ment à l’ap­pui aux entre­prises (col­lecte d’in­for­ma­tion sur les mar­chés, mis­sions B to B, orga­ni­sa­tion de sémi­naires et salons). Une réforme impor­tante est enga­gée qui orga­nise dans les deux années à venir la dévo­lu­tion à l’a­gence Ubi­france des per­son­nels des ME consa­crés à l’ap­pui aux entre­prises pour consti­tuer une véri­table » chaîne de valeur » au ser­vice des expor­ta­tions et des inves­tis­se­ments français.

Consti­tuer dans les trois ans une véri­table « chaîne de valeur » au ser­vice des entreprises

Le Jetro dis­pose, quant à lui, de 800 agents à l’é­tran­ger implan­tés sur 73 sites dans 54 pays clai­re­ment iden­ti­fiés en fonc­tion de leur impor­tance pour le com­merce exté­rieur japo­nais. Le dis­po­si­tif japo­nais est donc plus com­pact avec un focus plus pré­cis, même si l’i­ni­tia­tive » pays cibles » lan­cée en 2003 par Fran­çois Loos alors ministre délé­gué au Com­merce exté­rieur a per­mis de foca­li­ser un peu plus l’ac­tion du réseau public français. 

Le maillage local

Un des autres grands chan­tiers qui ont été enga­gés par l’a­gence Ubi­france est celui de sa repré­sen­ta­tion sur le ter­ri­toire fran­çais. Hor­mis quelques agents déta­chés au sein des direc­tions régio­nales du Com­merce exté­rieur, Ubi­france n’a pas de maillage de proxi­mi­té pour aller au-devant de ses clients en régions. Plus grave, il existe une concur­rence his­to­rique et latente entre le réseau public d’une part (Ubi­france et les ME) et celui des chambres de com­merce fran­çaises en France, fédé­rées par l’As­so­cia­tion fran­çaise des CCI (ACFCI), et à l’in­ter­na­tio­nal, fédé­rées par l’U­nion des CCI fran­çaises à l’é­tran­ger (UCCIFE). Sans oublier le déve­lop­pe­ment des ser­vices des col­lec­ti­vi­tés locales et ter­ri­to­riales (Agences régio­nales de déve­lop­pe­ment notamment).

Un pro­blème de croissance
Nombre d’é­tudes l’ont sou­li­gné, les entre­prises fran­çaises ont un pro­blème » géné­tique » de crois­sance. Les PME fran­çaises sont, par com­pa­rai­son avec leurs homo­logues alle­mandes mais aus­si japo­naises, plus » petites » que » moyennes « . Or l’ex­por­ta­tion néces­site des struc­tures qui ne sont pas à la por­tée de tous, sur­tout pour l’ap­proche des mar­chés loin­tains comme ceux d’Asie.

Un des objec­tifs prio­ri­taires du secré­taire d’É­tat aux Entre­prises et au Com­merce exté­rieur est donc d’op­ti­mi­ser cette impor­tante res­source et de faire en sorte que ces struc­tures fonc­tionnent mieux entre elles en consa­crant, dans un cadre conven­tion­nel, leurs points forts res­pec­tifs, réseau inter­na­tio­nal des uns et connais­sance du tis­su local des autres, pour offrir, dans le meilleur des mondes, une sorte de » one stop shop » orga­ni­sé en réseau au ser­vice de toutes les entre­prises françaises.

Le Jetro, quant à lui, dis­pose de 800 per­sonnes répar­ties entre le siège tokyoïte et 35 bureaux situés dans les plus grandes villes japo­naises. Le Jetro est donc une orga­ni­sa­tion com­plète et dont on n’en­tend guère dire qu’il est en riva­li­té avec les ser­vices des col­lec­ti­vi­tés locales et avec ceux des chambres de com­merce japo­naises, notam­ment parce que celles-ci ne font pas de l’ap­pui aux PME leur prio­ri­té. À titre d’exemple, la CCI fran­çaise au Japon compte 550 membres alors que la CCI japo­naise en France est un club de repré­sen­tants de 150 grandes entre­prises envi­ron ; par com­pa­rai­son, le mon­tant annuel des expor­ta­tions fran­çaises vers le Japon est de 5,5 mil­liards d’eu­ros alors que celui des expor­ta­tions japo­naises vers la France est d’en­vi­ron le double.


Les Japo­nais sont des maîtres en précision.

La question des PME

Le débat sur le com­merce exté­rieur en France, cru­cial en ces temps de défi­cit crois­sant, est inti­me­ment lié, en matière de poli­tique publique, à l’ap­pui aux PME. Les poli­tiques fran­çaises en la matière ont donc tou­jours été des poli­tiques de volume, visant à emme­ner plus d’en­tre­prises à l’ex­port (envi­ron 100 000 expor­ta­teurs à l’heure actuelle), et notam­ment plus de PME.

Les mai­sons de commerce
Un chaî­non est man­quant du côté fran­çais, celui des mai­sons de com­merce. Le déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal des entre­prises néces­site des relais d’in­for­ma­tion, de contact, de lob­bying, d’in­fluence et même les pays les plus libé­raux (États-Unis, Grande-Bre­tagne) ont des dis­po­si­tifs publics d’ap­pui à l’in­ter­na­tio­nal très impor­tants. Le gou­ver­ne­ment fran­çais exerce une pres­sion sur sa propre orga­ni­sa­tion pour pal­lier le pro­blème de taille cri­tique des PME fran­çaises et aider le plus grand nombre dans un contexte de mon­dia­li­sa­tion crois­sante et de défi­cits qui se creusent.
Le Japon a, quant à lui, su orga­ni­ser un dis­po­si­tif public clair et cohé­rent, appa­rem­ment sans riva­li­té avec les autres ins­tances, consu­laires notam­ment. Mais il dis­pose aus­si d’un atout impor­tant : ses mai­sons de com­merce. En sus du réseau du Jetro, les rami­fi­ca­tions très impor­tantes de celles-ci assurent autant de débou­chés à un très grand nombre de PME japo­naises qui n’ont pas néces­sai­re­ment les moyens de pros­pec­ter par elles-mêmes.

Pour autant, deux argu­ments se sont fait jour ces der­niers temps.

D’une part, le chiffre du com­merce exté­rieur est fait prin­ci­pa­le­ment par un petit nombre de grandes entre­prises et sou­vent dans le cadre d’é­changes intra­groupes : plus de PME expor­ta­trices vou­dra donc sur­tout dire plus d’emplois, ce qui n’est pas négli­geable, mais pas néces­sai­re­ment une aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive des exportations.

D’autre part, la com­pa­rai­son avec l’Al­le­magne montre que celle-ci dis­pose d’un » Mit­tel­stand » d’en­tre­prises moyennes, robustes, qui consti­tuent le fer de lance de l’ex­por­ta­tion en biens d’é­qui­pe­ment dont l’offre et la qua­li­té répondent bien à la demande des pays émer­gents. C’est cette caté­go­rie qui, a contra­rio, fait défaut au tis­su français.

Côté japo­nais, la poli­tique en faveur des PME est plus conçue dans le sens de la revi­ta­li­sa­tion des régions et des ter­ri­toires que dans le sens du sou­tien aux expor­ta­tions, sujet qui n’est d’ailleurs pas un pro­blème fon­da­men­tal puisque le Japon conti­nue de réa­li­ser des excé­dents com­mer­ciaux confor­tables y com­pris avec la Chine. Le sujet des délo­ca­li­sa­tions ne fait d’ailleurs guère débat au Japon. Le Jetro est donc enga­gé dans des poli­tiques plus qua­li­ta­tives que quantitatives.

Un réseau de crédit

Il existe en France une concur­rence his­to­rique et latente entre le réseau public et celui des chambres de commerce

Le pano­ra­ma fran­çais ne serait pas com­plet sans évo­quer l’autre » vais­seau ami­ral » de l’ap­pui à l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion des entre­prises qu’est la Coface. Lea­der fran­çais de l’as­su­rance-cré­dit, de la ges­tion de créances, de l’in­for­ma­tion de la nota­tion com­mer­ciale d’en­tre­prise, la Coface est une enti­té pri­vée, filiale de Natixis, mais qui conti­nue d’exer­cer pour le compte de l’É­tat la ges­tion d’un cer­tain nombre de pro­cé­dures comme l’as­su­rance pros­pec­tion ou l’as­su­rance-cré­dit moyen terme regrou­pées au sein de la Direc­tion des garan­ties publiques. Avec 93 bureaux en propre et en par­te­na­riat dans le monde, la Coface est à la tête d’un réseau Cre­dit Alliance et d’un sys­tème mon­dial d’in­for­ma­tion, de nota­tion @rating et de mise en rela­tion entre 60 mil­lions d’entreprises.

Il ne fait pas de doute que le par­te­na­riat public pri­vé construit autour de la Coface est de nature à consti­tuer un relais d’a­ve­nir pour les entre­prises fran­çaises qui veulent expor­ter et s’im­plan­ter à l’étranger.

Des problèmes structurels

En conclu­sion, le dis­po­si­tif fran­çais d’ap­pui au déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal des entre­prises est actuel­le­ment enga­gé dans un grand nombre de réformes : meilleur ciblage des des­ti­na­tions et des ser­vices ren­dus, ratio­na­li­sa­tion de son orga­ni­sa­tion de réseau, meilleure arti­cu­la­tion avec les chambres de commerce.

Mais il demeure un cer­tain nombre de pro­blèmes struc­tu­rels à résoudre pour redon­ner sa voca­tion expor­ta­trice à la France : dif­fi­cul­té des PME à croître en effec­tifs pour se doter de ser­vices exports dédiés, ajus­te­ment de l’offre de pro­duits et de ser­vices pour répondre à la demande des pays émer­gents, exis­tence d’o­pé­ra­teurs et d’in­ter­mé­diaires de com­merce pri­vés puis­sants pour venir en appui à ceux qui sont moins armés dans la com­pé­ti­tion mon­diale. Autant de pro­blèmes aigus que la crise finan­cière ne fait que renforcer.

1. www.missioneco.org

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