Des élèves de l’X auprès des apprentis d’Auteuil

Dossier : SolidaritéMagazine N°705 Mai 2015Par : Félix LAVAUX, rédacteur en chef adjoint, Apprentis d’Auteuil

Cet après-midi-là, le cours de fran­çais de Bru­no Fou­quet com­mence tout juste. Les élèves en pre­mière bac pro du lycée pro­fes­sion­nel Saint-Antoine (Mar­cous­sis, 91) étu­dient Le Rhin, lettres à un ami, de Vic­tor Hugo. Pas tou­jours facile d’identifier dans cet extrait les méta­phores, énu­mé­ra­tions, chiasmes et autres figures de style.

« N’hésitez pas à sol­li­ci­ter les poly­tech­ni­ciens, ils sont là pour vous don­ner un coup de main », rap­pelle aux élèves le pro­fes­seur. effec­ti­ve­ment, voi­là déjà deux mois que Louis Dupe­rier et Félix Roy viennent en aide au quo­ti­dien aux jeunes du lycée ou de l’internat Saint-Antoine.

La rai­son ? Un stage de longue durée dans le cadre de leur pre­mière année d’études à l’École polytechnique.

REPÈRES

En 2004, Jean Delacarte (47) avait proposé au général de Nomazy la création de stages permettant à des élèves de l’X de rencontrer et d’accompagner des jeunes en difficulté. La coopération a commencé avec quatre stages, il devrait y en avoir dix-huit cette année, preuve de l’intérêt que leur porte l’École.
Travail en équipe, gestion des conflits, respect et écoute de l’autre, exercice de l’autorité, connaissance d’un milieu différent du leur, tout cela leur apporte une expérience précieuse pour leur future carrière.

Créer une rupture

« Tous les jeunes de pre­mière année doivent effec­tuer un ser­vice civil ou mili­taire de six mois, explique Sophie Gui­chet, res­pon­sable des stages à l’X. Ceux qui choi­sissent le stage civil peuvent le faire dans dif­fé­rents orga­nismes du sec­teur social ou cari­ta­tif, dont les Appren­tis d’Auteuil.

Louis Dupe­rier et Félix Roy, sta­giaires de l’École poly­tech­nique, en stage au lycée pro­fes­sion­nel Saint-Antoine.

Le but est de créer une rup­ture avec l’univers sco­laire dans lequel ils ont bai­gné jusque-là en tant qu’élèves. »

« Ce stage nous per­met de nous ouvrir au monde réel, confirme Louis, 19 ans, à qui l’on don­ne­rait quelques années de plus à entendre sa voix de bary­ton. Je vou­lais faire un stage dans le domaine édu­ca­tif parce que, pour moi, c’est le pilier d’une société.

En venant ici, je vou­lais aus­si connaître une autre édu­ca­tion que la mienne. Mon choix s’est donc por­té sur la fon­da­tion que je connais­sais depuis long­temps car mes grands-parents sont donateurs. »

Les deux jeunes sta­giaires passent de table en table pour aider les élèves. Leur seule pré­sence suf­fit par­fois à les moti­ver. C’est le cas de Jéré­my qui n’avait pas l’air très concer­né par le cours au début de l’heure. Depuis, il a posé son sac et s’est plon­gé avec Louis, dans l’étude du texte d’Hugo. « Les trois quarts des élèves de la classe ont de gros retards sco­laires, sou­ligne l’enseignant.

“ Ce stage nous permet de nous ouvrir au monde réel ”

Quand je m’attarde auprès d’un élève, il y a immé­dia­te­ment un flot­te­ment. Là, j’avance dans le cours et les sta­giaires peuvent reprendre les choses indi­vi­duel­le­ment avec ceux qui n’ont pas compris.

Ces jeunes étu­diants de Poly­tech­nique sont aus­si un exemple vivant de réus­site pour nos jeunes qui ne l’ont pas tou­jours connue au cours de leur scolarité. »

Un partenariat pérenne

En 2014, on a fêté les dix ans du par­te­na­riat avec l’École poly­tech­nique. « En 2004, nous avons été le pre­mier éta­blis­se­ment à accueillir des jeunes de Poly­tech­nique, se sou­vient Denis Dugord, direc­teur du lycée hor­ti­cole et pay­sa­ger de Saint-Antoine.

“ Cela m’a appris à être humble, à ne pas avoir de préjugés sur les autres ”

Ils sont très poly­va­lents. Ils peuvent à la fois faire du sou­tien sco­laire, mon­ter un pro­jet avec un ensei­gnant, don­ner des cours d’informatique et inter­ve­nir à l’internat le soir.

Ils sont très atten­dus et font vrai­ment par­tie des équipes. Cela leur demande un effort d’adaptation, mais cela les enri­chit humai­ne­ment. Ils découvrent une réa­li­té sociale qui leur ser­vi­ra plus tard per­son­nel­le­ment et professionnellement. »

Trouver la bonne distance

« Au cours des pre­miers mois, ils sont tou­jours en dou­blon avec un ensei­gnant ou un édu­ca­teur, sou­ligne Fré­dé­ric Beron, chef de ser­vice édu­ca­tif du lycée hor­ti­cole et pay­sa­ger. Il faut leur lais­ser le temps de prendre leurs marques, de trou­ver la bonne dis­tance et l’autorité néces­saires avec des jeunes qui ont par­fois le même âge qu’eux. »

Félix échange avec Bruno Fouquet, enseignant.
Félix échange avec Bru­no Fou­quet, enseignant.

« Ils jouent un rôle d’éducateurs à part entière au sein de l’équipe, ajoute Gré­go­ry Le Bras, tuteur d’un des deux sta­giaires. Au début, nous leur don­nons des conseils sur la bonne pos­ture à adop­ter. Nous les pré­ve­nons que les jeunes vont inévi­ta­ble­ment tes­ter leur auto­ri­té et qu’ils doivent res­ter fermes, poser un cadre dès le départ. Ils doivent être ensei­gnants en classe, puis édu­ca­teurs le soir. Mais ce sont des jeunes qui s’adaptent vite. Ils sont très à l’écoute, très demandeurs. »

« C’est un des stages civils les plus enri­chis­sants pour nos étu­diants, note Sophie Gui­chet. Ils apprennent beau­coup de choses à la fois au niveau édu­ca­tif, sco­laire mais aus­si rela­tion­nel et humain. Nous choi­sis­sons donc des jeunes solides, capables de s’adapter à des situa­tions difficiles.

Lorsque je vais les voir après quelques mois de stage, ce ne sont plus les mêmes. Ils ont mûri, gagné en confiance. Bref, ils ont grandi. »

Dix ans après

Les stagiaires viennent en aide aux élèves.
Les sta­giaires viennent en aide aux élèves.

Mathieu Morel (2005), qui fut sta­giaire en 2005, témoigne : « J’ai effec­tué mon stage d’octobre 2005 à avril 2006 au col­lège Saint-Fran­çois des éta­blis­se­ments Notre-Dame (28). Je fai­sais prin­ci­pa­le­ment du sou­tien en maths, fran­çais et anglais en classe et le soir à l’internat.

Le stage a d’abord été un choc pour moi. J’avais 19 ans et j’avais pas­sé deux ans à pré­pa­rer le concours d’entrée de l’École poly­tech­nique, dans un envi­ron­ne­ment fer­mé, très cen­tré sur moi-même.

À Appren­tis d’Auteuil, je suis pas­sé d’un coup de l’autre côté du miroir à essayer d’aider des élèves en dif­fi­cul­té. Ce qui m’a le plus mar­qué ? Le côté humain de cette expé­rience. Il faut être à l’écoute, s’adapter, gérer des conflits, être dans une posi­tion d’autorité.

Cela m’a appris à être humble, à ne pas avoir de pré­ju­gés sur les autres. Je ne connais­sais des jeunes en dif­fi­cul­té que l’image néga­tive que peuvent en don­ner géné­ra­le­ment les médias.

Là, j’ai vu qu’ils pou­vaient être stu­dieux et patients indi­vi­duel­le­ment et avoir des com­por­te­ments très dif­fé­rents en groupe. »

UN APPORT MUTUEL

Jean Delacarte dresse le bilan de cet accord avec l’X : « Au départ, ce passage à Auteuil a été pensé comme utile à nos jeunes camarades ; mais bientôt, il apparut qu’il était profitable à la Fondation, à ses jeunes, à son encadrement ; que ce soit dans les lieux de vie avec l’équipe éducative, ou en classe avec les enseignants, les X apportent une aide très appréciée. »

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Le pré­sent article est tiré du n° 196 (février-mars 2014) du maga­zine À l’écoute, bimes­triel édi­té par Appren­tis d’Auteuil.

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