Zones humides

Des écosystèmes dynamiques et changeants : les zones humides

Dossier : Les milieux naturels continentauxMagazine N°566 Juin/Juillet 2001Par : Geneviève BARNAUD, Laboratoire d'évolution des systèmes naturels et modifiés, Muséum d'histoire naturelle

À l’é­chelle natio­nale, dans le cadre de la loi sur l’eau du 3 jan­vier 1992 article 2, on dis­pose d’une défi­ni­tion en ces termes (Jour­nal offi­ciel, 4.1.92) :

À l’é­chelle natio­nale, dans le cadre de la loi sur l’eau du 3 jan­vier 1992 article 2, on dis­pose d’une défi­ni­tion en ces termes (Jour­nal offi­ciel, 4.1.92) :
 » … On entend par zone humide les ter­rains, exploi­tés ou non, habi­tuel­le­ment inon­dés ou gor­gés d’eau douce, salée ou sau­mâtre de façon per­ma­nente ou tem­po­raire ; la végé­ta­tion, quand elle existe, y est domi­née par des plantes hygro­philes pen­dant au moins une par­tie de l’an­née. »

La pré­sence plus ou moins conti­nue d’eau, de sols hydro­morphes et d’es­pèces végé­tales par­ti­cu­lières adap­tées aux varia­tions des condi­tions d’hu­mi­di­té carac­té­rise les » zones humides « , terme uti­li­sé vers la fin des années 1960 par les pro­tec­teurs de la nature alar­més par les dégra­da­tions et menaces subies par ces milieux1.

L’eau inter­vient en effet de manière déter­mi­nante sur la struc­ture et le deve­nir des éco­sys­tèmes humides, par ses fluc­tua­tions de niveaux et sa com­po­si­tion. La pré­pon­dé­rance du fac­teur hydrique, hau­te­ment variable dans le temps et l’es­pace, est à l’o­ri­gine d’une forte hété­ro­gé­néi­té des para­mètres phy­siques et chi­miques, pro­pice à une pro­duc­ti­vi­té bio­lo­gique très éle­vée et au déve­lop­pe­ment d’une flore et d’une faune par­ti­cu­liè­re­ment riches. Il suf­fit d’ob­ser­ver au micro­scope une goutte d’eau pré­le­vée dans une zone humide pour consta­ter le grouille­ment de minus­cules organismes !

Des milieux identifiés au plan juridique

À l’é­chelle inter­na­tio­nale, dans le cadre de la Conven­tion de Ram­sar rela­tive aux zones humides d’im­por­tance inter­na­tio­nale en tant qu’­ha­bi­tats des oiseaux d’eau, conven­tion rati­fiée par la France en 1986, on trouve la défi­ni­tion suivante :

» Les zones humides sont des éten­dues de marais, de fagnes, de tour­bières ou d’eaux natu­relles ou arti­fi­cielles, per­ma­nentes ou tem­po­raires, où l’eau est stag­nante ou cou­rante, douce, sau­mâtre ou salée, y com­pris des éten­dues d’eau marine dont la pro­fon­deur à marée basse n’ex­cède pas six mètres.  »

Le texte pré­cise en outre que les zones humides » pour­ront inclure des zones de rives ou de côtes adja­centes à la zone humide et des îles ou éten­dues d’eau marine d’une pro­fon­deur supé­rieure à six mètres à marée basse, entou­rées par la zone humide « .

Zone d’interface entre la terre et l’eau

Aucune défi­ni­tion scien­ti­fique des zones humides n’est uni­ver­sel­le­ment admise, même si elles ont de longue date consti­tué des objets pri­vi­lé­giés d’é­tude du fonc­tion­ne­ment des éco­sys­tèmes en rai­son de leur diversité.


Les zones humides sont habi­tuel­le­ment loca­li­sées entre les éco­sys­tèmes ter­restres et les éco­sys­tèmes aqua­tiques permanents
(d’après Mitsch et Gos­se­link, 1986).

Cette lacune s’ex­plique sans doute par leur com­plexi­té. En effet, ce sont des milieux sou­vent sans fron­tières nettes, en posi­tion inter­mé­diaire dans un conti­nuum allant de situa­tions pure­ment ter­restres à des condi­tions tota­le­ment aqua­tiques, cer­tains pou­vant être consi­dé­rés comme des éco­tones sous l’in­fluence des sys­tèmes éco­lo­giques adja­cents. Cette posi­tion de lisière dans l’es­pace et dans le temps leur confère des pro­prié­tés et un fonc­tion­ne­ment bien par­ti­cu­liers mis en évi­dence notam­ment par leur rôle dans les cycles bio­géo­chi­miques et par leur forte pro­duc­ti­vi­té (Mitsch & Gos­se­link, 1986).

Les prin­ci­pales carac­té­ris­tiques éco­lo­giques des zones humides se résument à la pré­sence d’eau, de sols par­ti­cu­liers, dif­fé­rents de ceux des zones adja­centes (hydro­morphes), et d’une végé­ta­tion adap­tée à l’i­non­da­tion ou aux condi­tions de forte humi­di­té (hydro­phytes, hygro­phytes, hélo­phytes, halo­phytes). Ces trois para­mètres peuvent être pris en compte simul­ta­né­ment ou sépa­ré­ment selon la période d’ob­ser­va­tion consi­dé­rée, cette par­ti­cu­la­ri­té explique les dif­fi­cul­tés ren­con­trées lors de la rédac­tion des manuels d’i­den­ti­fi­ca­tion et de déli­mi­ta­tion des zones humides (NRC, 1995). De plus, ces éco­sys­tèmes sont géné­ra­le­ment très fer­tiles et intrin­sè­que­ment dyna­miques. Ils évo­luent au cours du temps, que ce soit sous la pres­sion de fac­teurs natu­rels ou anthro­piques à l’o­ri­gine des successions.

Le sché­ma habi­tuel est le sui­vant : dans l’eau ou sur le sol nu s’ins­tallent les espèces adap­tées du stade pion­nier, puis par le jeu des rela­tions inter­spé­ci­fiques et des modi­fi­ca­tions des condi­tions phy­siques engen­drées par ces orga­nismes (atter­ris­se­ment) se déve­loppent des com­mu­nau­tés plus com­plexes et matures. L’é­vo­lu­tion des tour­bières ou prai­ries humides vers la lande puis le boi­se­ment illustre ce phé­no­mène. Cepen­dant, un retour plus ou moins régu­lier à un stade anté­rieur pro­vo­qué par des forces natu­relles ou arti­fi­cielles (inon­da­tion, fauche, pâtu­rage) est ren­du pos­sible dans le cas des zones humides.

Des milieux fortement menacés par les activités humaines

En France, 2,5 mil­lions d’hec­tares de marais auraient dis­pa­ru selon l’es­ti­ma­tion la plus cou­ram­ment énon­cée, soit 64 % de la super­fi­cie des zones humides pré­exis­tantes. Un bilan de l’é­tat de san­té de 87 zones humides d’im­por­tance majeure, mené en 1994, a mon­tré que 84 d’entre elles se sont dégra­dées au cours des trente der­nières années (Ber­nard, 1994). Par­mi les fac­teurs prin­ci­paux de des­truc­tion, la ges­tion hydrau­lique (agri­cul­ture, navi­ga­tion, bar­rage, endi­gue­ment) et le com­ble­ment (urba­nisme, équi­pe­ment rou­tier ou fer­ro­viaire) viennent lar­ge­ment en tête. Leurs effets, sou­vent cumu­la­tifs et catas­tro­phiques, sont à l’o­ri­gine de la prise de conscience du rôle et de la valeur des zones humides. À titre indi­ca­tif, en France, 50 % de l’a­vi­faune et 20 % de la flore sont inféo­dées aux zones humides, 30 % de ces plantes étant jugées mena­cées. À l’é­che­lon mon­dial, 35 % des espèces rares et en dan­ger sont loca­li­sées dans les zones humides ou dépendent étroi­te­ment de ces éco­sys­tèmes qui ne repré­sentent que 5 % envi­ron de la super­fi­cie des continents.

Dans ce contexte, les ges­tion­naires de la res­source en eau et plus récem­ment les res­pon­sables de l’a­mé­na­ge­ment de l’es­pace se pré­oc­cupent main­te­nant du main­tien, voire de la res­tau­ra­tion de ces milieux autre­fois voués aux gémonies.

L’o­ri­gi­na­li­té de l’ap­proche fran­çaise repose sur une volon­té déli­bé­rée de consi­dé­rer les zones humides comme des » infra­struc­tures natu­relles » devant être inté­grées aux poli­tiques d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire, de moder­ni­sa­tion agri­cole, de tou­risme et de ges­tion de l’eau.

En 1995, un Plan d’ac­tion visant à mieux connaître, éva­luer et conser­ver les zones humides a été adop­té en Conseil des ministres. Il se décline en quatre grands domaines d’in­ter­ven­tion complémentaires :

  • inven­to­rier les zones humides et ren­for­cer les outils de sui­vi et d’évaluation,
  • assu­rer la cohé­rence des poli­tiques publiques,
  • enga­ger la recon­quête des zones humides,
  • lan­cer un pro­gramme d’in­for­ma­tion et de sensibilisation.

Comprendre leur fonctionnement et suivre les grandes tendances d’évolution pour cibler les interventions

Dans le cadre du Plan d’ac­tion, un Pro­gramme natio­nal de recherche sur les zones humides a vu le jour en 1997. Issu d’un par­te­na­riat entre les Agences de l’eau et les minis­tères concer­nés (Envi­ron­ne­ment, Agri­cul­ture, Équi­pe­ment), il a pour ambi­tion de faire pro­gres­ser de manière signi­fi­ca­tive les connais­sances sur le fonc­tion­ne­ment des zones humides (modèles, prin­cipes, théo­ries), de pro­po­ser des méthodes de diag­nos­tic d’é­tat, d’aide à la déci­sion, à la concep­tion de plans de ges­tion et de res­tau­ra­tion. Les 20 pro­jets de recherche rete­nus s’at­tachent éga­le­ment à déter­mi­ner et pré­ci­ser le rôle joué par ces milieux en termes de fonc­tions éco­lo­giques et valeurs d’usage.

Pour esti­mer les évo­lu­tions posi­tives ou néga­tives de ces milieux, un Obser­va­toire natio­nal des zones humides a été créé à l’Ins­ti­tut fran­çais de l’En­vi­ron­ne­ment. La struc­tu­ra­tion et la mise en cohé­rence des infor­ma­tions éco­lo­giques et socioé­co­no­miques dis­po­nibles aux niveaux natio­nal, régio­nal et à celui des bas­sins ver­sants portent sur un échan­tillon com­po­sé des 87 zones humides d’im­por­tance majeure, décou­pées en 149 sous-ensembles repré­sen­ta­tifs de la varié­té des situa­tions ren­con­trées sur le ter­ri­toire natio­nal. Ces zones appar­tiennent à cinq grandes caté­go­ries : lit­to­ral atlan­tique, lit­to­ral médi­ter­ra­néen, val­lées, plaines inté­rieures (régions d’é­tangs) et tour­bières. Des études métho­do­lo­giques ont été menées sur la mise au point d’in­di­ca­teurs par caté­go­ries d’ac­ti­vi­tés ou par thé­ma­tiques en rela­tion avec des poli­tiques sec­to­rielles, jugées prio­ri­taires2.

Un atlas pro­vi­soire, com­pre­nant une carte et un tableau de bord par zone humide, a été publié en 1998 pour vali­da­tion auprès du réseau de cor­res­pon­dants mis en place. Une banque de don­nées a été consti­tuée cou­vrant les thèmes sui­vants : milieu phy­sique et hydro­lo­gie ; qua­li­té de l’eau ; occu­pa­tion du sol et acti­vi­tés humaines ; faune, flore, habi­tats ; mesures de pro­tec­tion, de ges­tion, de sur­veillance (Xime­nès, 2001). Chaque sujet trai­té donne lieu à des tableaux de don­nées, un texte de com­men­taire et une carte. Véri­table réseau d’a­lerte, l’Ob­ser­va­toire, conçu comme un outil d’aide à la déci­sion, a pour but d’ac­croître la capa­ci­té d’ex­per­tise des dif­fé­rents par­te­naires concer­nés par la ges­tion et le deve­nir des zones humides.

Mettre en synergie les actions de conservation, de restauration et de gestion

Cer­tains milieux humides méritent un label spé­ci­fique et pres­ti­gieux, celui de site Ram­sar au titre de la » Conven­tion rela­tive aux zones humides d’im­por­tance inter­na­tio­nale, par­ti­cu­liè­re­ment comme habi­tats des oiseaux d’eau « . Actuel­le­ment 18 sites fran­çais répon­dant aux cri­tères de dési­gna­tion font par­tie de cette » élite « 3.

Marais de la Sensée, village d’Écourt-Saint-Quentin. (Pas-de-Calais).
Marais de la Sen­sée, vil­lage d’Écourt-Saint-Quentin, peu­ple­raies et cam­ping au bord de l’eau. (Pas-de-Calais). © CEMAGREF – S. LE FLOCH

Bien que les zones humides fran­çaises, comme leurs homo­logues des pays déve­lop­pés, résultent pour la majo­ri­té d’entre elles d’a­mé­na­ge­ments et de pra­tiques humaines remon­tant par­fois au Moyen Âge, elles peuvent béné­fi­cier des mesures de pro­tec­tion habi­tuel­le­ment appli­quées aux espaces » natu­rels » (réserve, parc régio­nal, pro­prié­tés des conser­va­toires du patri­moine nature ou conser­va­toire du lit­to­ral, etc.). L’oc­troi de ces dis­po­si­tions sous-entend la conser­va­tion des carac­té­ris­tiques phy­siques et bio­lo­giques à l’o­ri­gine de leur sélec­tion comme ter­ri­toire de grand inté­rêt écologique.

Dans ce contexte, leur nature chan­geante et leur sen­si­bi­li­té vis-à-vis de modi­fi­ca­tions minimes de leur envi­ron­ne­ment obligent à pré­ci­ser et for­mu­ler clai­re­ment l’ob­jec­tif visé. S’il s’a­git de main­te­nir un niveau don­né de struc­ture (diver­si­té spé­ci­fique) et de fonc­tion­ne­ment (pro­duc­ti­vi­té pri­maire) jugé d’in­té­rêt natio­nal, des inter­ven­tions sont à envi­sa­ger pour contre­car­rer les évo­lu­tions en cours. Très sou­vent, il faut alors faire renaître dif­fé­rents modes d’ex­ploi­ta­tion anté­rieurs ou leur trou­ver des sub­sti­tuts. La concep­tion des plans de ges­tion et des pro­to­coles de res­tau­ra­tion, s’ins­pi­rant de prin­cipes de l’in­gé­nie­rie éco­lo­gique, répond à cette exi­gence de pro­tec­tion d’ha­bi­tats et d’es­pèces rares ou protégés.

Quand on se pré­oc­cupe du deve­nir des zones humides, deux autres ins­tru­ments com­plé­men­taires sont à consi­dé­rer. Le pre­mier, uti­li­sé à l’é­chelle euro­péenne, consiste à construire le réseau Natu­ra 2000 à par­tir de la dési­gna­tion de Zones de pro­tec­tion spé­ciale au titre de la Direc­tive » Oiseaux » (1979) et de Zones spé­ciales de conser­va­tion au titre de la Direc­tive » Habi­tats-Faune-Flore » (1992). De nom­breuses zones humides sont concer­nées par ces règle­ments qui impliquent une ges­tion per­met­tant de conser­ver leurs carac­té­ris­tiques éco­lo­giques sachant que des moyens finan­ciers par­ti­cu­liers peuvent être attri­bués pour atteindre cet objectif.

La seconde dis­po­si­tion, appli­cable à l’é­che­lon natio­nal, découle de la loi sur l’eau qui pré­voit la mise en place de Sché­mas direc­teurs d’a­mé­na­ge­ment et de ges­tion des eaux (SDAGE) par grand bas­sin. À ce titre, 257 zones humides remar­quables ont été inven­to­riées en 1995 par les Agences de l’Eau et les diren de bas­sin qui doivent faire l’ob­jet d’un Sché­ma d’a­mé­na­ge­ment et de ges­tion des eaux (sage). Elles ont été clas­sées en treize types reflé­tant une com­bi­nai­son de leurs carac­té­ris­tiques éco­lo­giques et socioé­co­no­miques afin d’é­ta­blir des poli­tiques de main­tien et de réha­bi­li­ta­tion des milieux selon un diag­nos­tic de leur état inté­grant leur histoire.

La com­bi­nai­son de ces dif­fé­rentes approches ouvre de nou­velles pers­pec­tives. L’in­té­rêt des zones humides ne réside plus seule­ment dans cer­taines carac­té­ris­tiques spec­ta­cu­laires d’un point de vue natu­ra­liste (forte pro­duc­ti­vi­té, ras­sem­ble­ment impres­sion­nant d’oi­seaux d’eau, colo­nies d’oi­seaux pis­ci­vores, plantes car­ni­vores, orchi­dées rares…) mais éga­le­ment dans leur rôle vis-à-vis de la res­source en eau compte tenu de leurs » fonctionnalités « .

Une reconnaissance collective liée à leur utilité sociale

Para­doxa­le­ment, la des­truc­tion des zones humides a sou­vent ser­vi de révé­la­teur vis-à-vis de leurs rôles envi­ron­ne­men­taux. Les consé­quences de la dis­pa­ri­tion ou du dys­fonc­tion­ne­ment de ces milieux peuvent être variées, qu’il s’a­gisse de l’ag­gra­va­tion des inon­da­tions ou des effets des séche­resses, de l’é­ro­sion des berges et des côtes, de la dégra­da­tion de la qua­li­té de l’eau, de la dimi­nu­tion des pêches ou de l’ex­tinc­tion d’espèces.

Les zones humides rem­plissent donc ce qu’on appelle des » fonc­tions » (hydro­lo­giques, bio­géo­chi­miques, bio­lo­giques), déduites direc­te­ment de leurs carac­té­ris­tiques et de leur fonc­tion­ne­ment éco­lo­giques, qui peuvent être tra­duites en ser­vices ren­dus ou en » valeurs « , cor­res­pon­dant aux avan­tages éco­no­miques et cultu­rels qu’en retirent les popu­la­tions locales et plus lar­ge­ment la société.

L’é­tape ultime du rai­son­ne­ment consiste à effec­tuer une éva­lua­tion moné­taire de ces ser­vices ren­dus qui per­met alors de faire réfé­rence à des béné­fices socioé­co­no­miques. Ain­si, en Camargue, des fonc­tions bio­lo­giques (pro­duc­tions pri­maire et secon­daire) peuvent s’ex­pri­mer en termes de vente des roseaux vers des pays nor­diques rap­por­tant envi­ron 2 000 F par hec­tare, et de droit de chasse aux oiseaux d’eau qui, appli­qué aux 5 000 chas­seurs, apporte à l’é­co­no­mie locale près de 35 mil­lions de francs et per­met de finan­cer 74 emplois permanents.

Vis-à-vis de la ges­tion de la res­source en eau, plu­sieurs fonc­tions et valeurs socioé­co­no­miques des zones humides, dont l’in­ten­si­té varie selon le type de milieu consi­dé­ré, méritent d’être mentionnées :

  • le sto­ckage de l’eau de sur­face à court ou long terme, à l’o­ri­gine d’une réduc­tion de l’in­ten­si­té des inon­da­tions par le retar­de­ment de la pro­pa­ga­tion des pics de crue ain­si que du main­tien d’ha­bi­tats pour les pois­sons en période sèche ;
  • le main­tien d’un niveau éle­vé des nappes phréa­tiques super­fi­cielles, béné­fique au sou­tien des débits d’é­tiage et au déve­lop­pe­ment des com­mu­nau­tés d’hy­dro­phytes, et donc à la biodiversité ;
  • la trans­for­ma­tion et le recy­clage des élé­ments, à l’o­ri­gine d’un main­tien du stock en nutri­ments pro­pice à la pro­duc­tion sylvicole ;
  • la réten­tion et l’é­li­mi­na­tion de sub­stances dis­soutes, ain­si que le pié­geage des matières en sus­pen­sion (orga­nique, inor­ga­nique), pro­ces­sus favo­rable à l’ob­ten­tion d’une eau de qualité.


Si de nom­breux points rela­tifs à la quan­ti­fi­ca­tion de l’in­fluence réelle des milieux humides res­tent encore sans réponse, il est désor­mais admis que ces effets sont glo­ba­le­ment posi­tifs (Fus­tec & Lefeuvre, 2000).

Le Marais poitevin dans les environs de Coulon (Deux-Sèvres).
Le Marais poi­te­vin dans les envi­rons de Cou­lon (Deux-Sèvres). © CEMAGREF – J.-M. LE BARS

De ce fait, il est ten­tant de com­pa­rer les zones humides à des » infra­struc­tures natu­relles » dans la mesure où elles rendent les mêmes ser­vices que des équi­pe­ments de génie civil : bar­rage-écrê­teur ou réser­voir, endi­gue­ment, enro­che­ment, construc­tion d’é­pis, bas­sin de décan­ta­tion, sta­tion d’é­pu­ra­tion ; ou des opé­ra­tions de génie éco­lo­gique : ale­vi­nage, lâcher d’es­pèces gibier, pro­grammes de repro­duc­tion et réin­tro­duc­tion d’es­pèces pro­té­gées mena­cées, de res­tau­ra­tion d’é­co­sys­tèmes (Mer­met, 1995). D’ailleurs, leur prise en compte dans les SDAGE reflète lar­ge­ment cette préoccupation.

Cepen­dant, la recon­nais­sance de cer­taines de ces fonc­tions et leur ren­ta­bi­li­sa­tion comme ser­vice vont même par­fois au-delà des poten­tia­li­tés réelles de ces milieux. Ain­si, les capa­ci­tés des zones humides, tous types confon­dus, pour le trai­te­ment des effluents ont des limites. Des phé­no­mènes de satu­ra­tion entraî­nant des dys­fonc­tion­ne­ments éco­lo­giques peuvent appa­raître et remettre en cause l’exis­tence de milieux jugés de grande valeur à d’autres titres. Par contre, la construc­tion de zones humides arti­fi­cielles, conçues spé­cia­le­ment pour résoudre ces pro­blèmes de pol­lu­tion, est un des meilleurs moyens de démon­trer la néces­si­té de sau­ve­gar­der ces marais.

En réa­li­té, l’es­ti­ma­tion de l’in­té­rêt éco­no­mique glo­bal d’une zone humide se révèle déli­cate à objec­ti­ver, par­fois dan­ge­reuse par son côté uti­li­ta­riste (Bar­naud, 2000). En plus des retom­bées et exter­na­li­tés éco­no­miques pro­ve­nant en effet de son uti­li­sa­tion directe, il est néces­saire d’in­té­grer les gains indi­rects, qui doivent être éva­lués à long terme ou dans une vision patri­mo­niale col­lec­tive. Par exemple, le pro­prié­taire de prai­ries hygro­philes rivu­laires peut choi­sir de les drai­ner et de les culti­ver pour en extraire un reve­nu immé­diat. Par contre, en accep­tant de les gérer en leur conser­vant leur carac­tère inon­dable, il contri­bue, sans en reti­rer aucune retom­bée directe microé­co­no­mique, à une poli­tique de pré­ven­tion des risques d’i­non­da­tion pour des habi­ta­tions situées en aval, et per­met le main­tien d’es­pèces mena­cées et de pay­sages appré­ciés par les touristes.

Employer la notion d’in­fra­struc­ture natu­relle comme argu­ment pour défendre les zones humides dans le cadre de la pla­ni­fi­ca­tion du ter­ri­toire implique de rai­son­ner à l’é­chelle du bas­sin ver­sant, en construi­sant les outils inci­ta­tifs néces­saires au déve­lop­pe­ment des soli­da­ri­tés amont-aval.

Les enjeux stratégiques actuels

Le Plan d’ac­tion s’o­riente main­te­nant vers la créa­tion de struc­tures thé­ma­tiques et fédé­ra­tives per­met­tant de dif­fu­ser au plan local les acquis des diverses ini­tia­tives menées jus­qu’à pré­sent et de faire émer­ger de nou­velles pro­blé­ma­tiques. Six pôles relais ont ain­si été iden­ti­fiés, cha­cun étant dédié à une grande caté­go­rie de zones humides :

1) lit­to­rales atlantiques,
2) lit­to­rales méditerranéennes,
3) des val­lées alluviales,
4) intérieures,
5) tourbières,
6) mares et mouillères.

Leur prin­ci­pale mis­sion consiste à struc­tu­rer et ani­mer le réseau des par­te­naires concer­nés par la ges­tion de ces milieux, en faci­li­tant les échanges d’expériences.

Dans ce contexte, la prise en compte de la dimen­sion socio­lo­gique, dont l’im­por­tance a été confir­mée par les tra­vaux de recherche, condi­tionne lar­ge­ment la réus­site des actions en cours. Sans une adhé­sion franche des acteurs aux objec­tifs, aucune poli­tique de conser­va­tion d’en­ver­gure ne peut se concré­ti­ser. Or, les zones humides, plus que d’autres milieux, semblent per­çues comme des lieux aux voca­tions extrêmes, d’un côté, elles repré­sen­te­raient des arché­types du sanc­tuaire de nature vierge, de l’autre des ter­ri­toires à conqué­rir et maî­tri­ser, les posi­tions des uns et des autres pou­vant évo­luer au cours du temps.

Pour conce­voir des stra­té­gies effi­caces, les res­pon­sables du deve­nir de ces milieux ont donc à ima­gi­ner la manière d’in­té­grer les dyna­miques éco­lo­giques et sociales propres à ces milieux d’in­ter­face entre le ter­restre et l’a­qua­tique. Ils doivent éga­le­ment se sou­ve­nir que la varié­té et la varia­bi­li­té des zones humides, carac­té­ris­tiques attrayantes pour les éco­logues, rendent dif­fi­ciles leur mani­pu­la­tion et leur remplacement.

Biblio­gra­phie

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► NRC, 1995. Wet­lands : Cha­rac­te­ris­tics and boun­da­ries. Com­mit­tee on cha­rac­te­ri­za­tion of wet­lands, Natio­nal Research Coun­cil, Com­mis­sion on Geos­ciences, Envi­ron­ment and Resources. Pre­pu­bli­ca­tion draft, Washing­ton DC, 268 p.
► XIMENÈS M. C. 2001. L’Ob­ser­va­toire natio­nal des zones humides : où en est-on ? Zones humides Infos, 31 : 4–5.


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1. Il s’a­git des marais, maré­cages, tour­bières, prai­ries humides, marais agri­coles, landes et bois maré­ca­geux, forêts allu­viales, ripi­sylves, prés salés, marais sali­coles, san­souires, man­groves, etc. Ces milieux sont loca­li­sés en bor­dure des sources, ruis­seaux, fleuves, lacs, lagunes, étangs, baies et estuaires, dans les del­tas, les dépres­sions de val­lée ou les zones de suin­te­ment à flanc de col­line et se dis­tinguent des milieux aqua­tiques ou marins à pro­pre­ment par­ler par cer­taines pro­prié­tés, fonc­tions et valeurs originales.
2. Les docu­ments sont télé­char­geables sur le site por­tail des zones humides :
http://www.ifen.fr/zoneshumides
3. Camargue, étang de Bigu­glia, rives du lac Léman, étang de la Petite Woëvre, étangs de la Cham­pagne humide, marais du Coten­tin et du Bes­sin, baie des Veys, golfe du Mor­bi­han, La Brenne, Le Grand Cul-de-Sac Marin, Basse-Mana, marais de Kaw, baie du Mont-Saint-Michel, Grande-Brière, marais du bas­sin du Bri­vet, lac de Grand-Lieu, Basses val­lées ange­vines, marais de Basse Maine et de Saint-Aubin, marais salants de Gué­rande et du Mès, Petite Camargue, baie de Somme.

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