La domination de la voiture particulière est de plus en plus remise en cause. © Urbanhearts

Défis et paradoxes de la transition écologique

Dossier : Urbanisme et mobilitéMagazine N°738 Octobre 2018
Par Gilles BENTAYOU
Par Marion CAUHOPÉ
Par Emmanuel PERRIN
Par Cyprien RICHER

La réponse aux défis sou­le­vés par la tran­si­tion éco­lo­gique amène à mobi­li­ser plu­sieurs leviers, qui répondent à des champs et des moda­li­tés d’action publique divers. Si les dif­fi­cul­tés et les para­doxes aux­quels ces poli­tiques ont à faire face ne manquent pas, il appa­raît à la fois néces­saire et pos­sible d’ouvrir, à par­tir des actions esquis­sées aujourd’hui, une nou­velle ère des rela­tions entre urba­nisme et mobilité. 


La domi­na­tion de la voi­ture par­ti­cu­lière est de plus en plus
remise en cause.
© Urbanhearts 

L’histoire des villes est inti­me­ment liée à cette facul­té qu’ont eue les per­sonnes et les biens à s’y dépla­cer et à y prendre place de manière plus ou moins durable. Le lien entre ville et mobi­li­té est en ce sens une évi­dence his­to­rique et se révèle consub­stan­tiel à la fonc­tion de la ville consis­tant à opti­mi­ser les poten­tia­li­tés de ren­contres et d’échanges. Mais il ne peut être pen­sé indé­pen­dam­ment de la manière dont la « machine », qu’elle soit à essieu simple, à vapeur, à explo­sion, col­lec­tive, à hydro­gène, indi­vi­duelle, par­ta­gée ou encore auto­nome, est venue régu­liè­re­ment renou­ve­ler les termes de cette relation. 

En ce début de xxie siècle s’ouvre clai­re­ment dans le champ de la mobi­li­té une nou­velle phase de bou­le­ver­se­ments et d’incertitudes. La domi­na­tion de la voi­ture par­ti­cu­lière est remise en cause dans les ter­ri­toires les plus denses, tan­dis que ses ten­dances mono­po­lis­tiques per­durent dans les espaces de faible den­si­té. Les trans­ports col­lec­tifs connaissent un regain d’intérêt et une vigueur nou­velle dans les poli­tiques publiques comme dans les pra­tiques des usa­gers, mais témoignent paral­lè­le­ment de leur inca­pa­ci­té à pou­voir répondre à l’ensemble des besoins de mobi­li­té hors des grandes métro­poles. Enfin, les modes actifs (c’est-à-dire prin­ci­pa­le­ment la marche et le vélo) réaf­firment leur impor­tance en même temps que leur pré­sence dans l’espace public, pen­dant que se déve­loppe tout un éven­tail de nou­veaux modes ou qu’apparaissent de nou­veaux usages des modes existants. 

Bref, la mobi­li­té contem­po­raine tend à s’affirmer réso­lu­ment mul­ti­mo­dale, et cela ne peut que repo­ser les termes de sa coha­bi­ta­tion avec la ville exis­tante qui offre rare­ment aux dif­fé­rents modes de dépla­ce­ment des condi­tions équi­tables. Si on ajoute à cela les ten­dances plus glo­bales qui tra­versent la socié­té et qui influent en par­ti­cu­lier sur la demande de mobi­li­té, à tra­vers par exemple des pra­tiques ter­ri­to­riales envi­sa­gées de plus en plus « à la carte » par les indi­vi­dus, on sai­sit mieux à quel point un nou­vel appa­reillage du couple urba­nisme-mobi­li­té se révèle aujourd’hui nécessaire. 

REPÈRES

Si elle demeure des plus actuelles, la ques­tion des liens entre urba­nisme et mobi­li­té n’est pas nou­velle et s’affirme comme une com­po­sante essen­tielle et intem­po­relle de la ques­tion urbaine. L’histoire de ce vieux couple est faite de périodes plus ou moins har­mo­nieuses ou conflictuelles.
À l’heure de la tran­si­tion éco­lo­gique, l’objectif de déve­lop­pe­ment de villes durables pour­sui­vi par les poli­tiques publiques met en évi­dence plu­sieurs défis qui inter­rogent les rela­tions du couple urbanisme–mobilité en même temps que la place prise par l’automobile indi­vi­duelle dans nos villes. 

Les transports contribuent  de manière importante  à la pollution de l’air.
Les trans­ports contri­buent de manière impor­tante à la pol­lu­tion de l’air.

Les grands défis de la ville durable

Obser­vées depuis plu­sieurs décen­nies mais dif­fi­ci­le­ment maî­tri­sées par la puis­sance publique, deux ten­dances se com­binent : la péri­ur­ba­ni­sa­tion sou­te­nue par la moto­ri­sa­tion de masse et le déve­lop­pe­ment des réseaux per­met­tant à l’automobile de tenir ses pro­messes en matière d’accessibilité ; la métro­po­li­sa­tion dont l’affirmation est ali­men­tée par d’autres forces, essen­tiel­le­ment éco­no­miques. Les agglo­mé­ra­tions fran­çaises ont alors connu un même mou­ve­ment de dis­per­sion forte de l’habitat, tan­dis que la pola­ri­sa­tion des mar­chés de l’emploi s’est ren­for­cée. Le résul­tat de ce méca­nisme a été d’induire une décon­nexion crois­sante entre lieux d’habitat et lieux d’emploi.

Les modes « actifs »  de déplacement  se développent.
Les modes « actifs » de dépla­ce­ment se développent.

Cette orga­ni­sa­tion socio­spa­tiale très exi­geante en matière de dépla­ce­ments pose un cer­tain nombre de pro­blèmes qui mettent clai­re­ment à mal sa com­pa­ti­bi­li­té avec la tran­si­tion éco­lo­gique. Le sec­teur des trans­ports est aujourd’hui le pre­mier sec­teur émet­teur de gaz à effet de serre et, sur ces émis­sions en hausse notable depuis 1990, le trans­port rou­tier repré­sente 95 % des émis­sions et les véhi­cules par­ti­cu­liers plus de la moi­tié (don­nées Cite­pa 2014). 

Les trans­ports contri­buent éga­le­ment de manière impor­tante à la pol­lu­tion de l’air, en par­ti­cu­lier du fait de leur res­pon­sa­bi­li­té en matière d’émissions d’oxydes d’azote mais aus­si de par­ti­cules fines. Cette pol­lu­tion atmo­sphé­rique a des effets néfastes sur la san­té, puisque l’OMS estime qu’elle est res­pon­sable de 7 mil­lions de décès par an dans le monde. 

À Avignon et autour, l’extension des zones commerciales est interdite.
À Avi­gnon et autour, l’extension des zones commerciales
est inter­dite. 
© Serge di Marco 

Maî­tri­ser les zones commerciales

Le SCoT du bas­sin de vie d’Avignon a fait par­ler de lui plus récem­ment lorsque ses élus ont déci­dé, début 2018, d’interdire
les exten­sions des zones com­mer­ciales exis­tantes. Ce ter­ri­toire a en effet connu un déve­lop­pe­ment très sou­te­nu des sur­faces com­mer­ciales péri­phé­riques au cours de la der­nière décen­nie, au point qu’elles appa­raissent aujourd’hui déconnectées
des besoins locaux et de la consom­ma­tion des ménages.
Les élus du SCoT entendent aujourd’hui mettre un terme à ce phé­no­mène qui a ren­for­cé l’usage de l’automobile
pour les achats, en entraî­nant une consom­ma­tion exces­sive des espaces agri­coles et natu­rels et une dégra­da­tion des pay­sages d’entrée de villes… alors que les créa­tions d’emplois ini­tia­le­ment pro­mises par les pro­mo­teurs ne sont pas tou­jours avérées. 

Enfin, les trans­ports consti­tuent enfin un poste de dépenses impor­tant (plus de 17 % du PIB fran­çais en 2016), autant pour les ménages que pour les col­lec­ti­vi­tés. Ce poids éco­no­mique des trans­ports peut aus­si être à l’origine de pro­blèmes sociaux pour des ménages for­te­ment dépen­dants du trans­port indi­vi­duel. C’est par­ti­cu­liè­re­ment le cas pour les ménages à faibles reve­nus qui sont par­tis habi­ter dans le péri­ur­bain, au prix d’une mobi­li­té dont ils ont géné­ra­le­ment sous-esti­mé le coût, et qui peuvent se retrou­ver en situa­tion de forte vul­né­ra­bi­li­té aux varia­tions de leurs reve­nus ou du prix de l’énergie.

Si on ajoute les dimen­sions envi­ron­ne­men­tales, éco­no­miques et sociales, le « coût » de la ville de l’automobile rap­pelle l’urgence de s’engager réso­lu­ment en faveur d’une nou­velle arti­cu­la­tion entre urba­nisme et mobilité. 

Habi­tat dispersé

En 2013, en Auvergne-Rhône-Alpes, plus de 2 per­sonnes en emploi sur 3 quit­taient leur com­mune pour aller tra­vailler (une pro­por­tion en hausse de 6 points depuis 1999) et 86 % de ces navet­teurs le fai­saient en voiture. 

Le TER réapparaît  de nos jours comme  un réseau armature à même de canaliser l’expansion urbaine.
Le TER réap­pa­raît de nos jours comme un réseau arma­ture à même
de cana­li­ser l’expansion urbaine.

Trois grands leviers de l’action publique

Pour faire face à ces enjeux, trois grandes familles de leviers à dis­po­si­tion des pro­fes­sion­nels de l’aménagement et de l’organisation des villes peuvent être évo­quées : pla­ni­fier, coor­don­ner et aménager. 

Pla­ni­fier

Les outils de la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale, SCoT (sché­ma de cohé­rence ter­ri­to­riale), PLU ou aujourd’hui PLUi-HD (plan local d’urbanisme inter­com­mu­nal habi­tat-dépla­ce­ments), ont été pro­fon­dé­ment renou­ve­lés depuis le tout début des années 2000. Leur ambi­tion est désor­mais que, quelle qu’en soit l’échelle, le ter­ri­toire puisse être appré­hen­dé et pla­ni­fié dans une vision la plus inté­gra­trice pos­sible. L’élaboration de ces docu­ments per­met dès lors que les ques­tions de loca­li­sa­tion des acti­vi­tés et de l’habitat, d’organisation des dépla­ce­ments, de réduc­tion de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique, de pro­tec­tion de l’environnement soient abor­dées de manière conjointe. 

Approu­vé en 2011, le SCoT de Caen Métro­pole défi­nit les prin­ci­pales pola­ri­tés de déve­lop­pe­ment urbain du ter­ri­toire, au-delà du cœur métro­po­li­tain, en pro­po­sant pour cha­cune des prin­cipes en matière de renou­vel­le­ment urbain, de construc­tion neuve et de déve­lop­pe­ment éco­no­mique. Il pro­pose éga­le­ment de « mettre en œuvre un sys­tème de dépla­ce­ment en appui à ce déve­lop­pe­ment urbain », en défi­nis­sant par exemple de nou­veaux tra­cés de sys­tèmes de trans­port col­lec­tif à haut niveau de ser­vice, en pro­po­sant de ren­for­cer la cen­tra­li­té des gares et haltes fer­ro­viaires exis­tantes, ou encore en défi­nis­sant des prin­cipes de rabat­te­ment vers les trans­ports collectifs. 

Des exemples de « contrats d’axe »

La métro­pole et le syn­di­cat mixte des trans­ports de Gre­noble ont expé­ri­men­té les contrats d’axe dans le cadre de la créa­tion de la cin­quième ligne du tram­way de l’agglomération, la région PACA a fait de même pour accom­pa­gner la réou­ver­ture de la ligne fer­ro­viaire Avi­gnon-Car­pen­tras. Si ces démarches ne s’affranchissent pas tou­jours des logiques sec­to­rielles et des cloi­son­ne­ments ins­ti­tu­tion­nels, leur avan­tage est d’avoir su mobi­li­ser des com­munes sou­vent peu dotées en ingé­nie­rie et de les avoir accom­pa­gnées dans la défi­ni­tion de pro­jets urbains visant à mieux valo­ri­ser les infra­struc­tures de trans­port, en conci­liant den­si­fi­ca­tion urbaine, qua­li­té pay­sa­gère et sim­pli­fi­ca­tion des accès pour les pié­tons et les cyclistes. 

Coor­don­ner

Si la pla­ni­fi­ca­tion per­met aujourd’hui de pro­duire une vision cohé­rente du déve­lop­pe­ment du ter­ri­toire, la mul­ti­pli­ci­té des acteurs et des ins­ti­tu­tions concer­nés par sa décli­nai­son et sa tra­duc­tion en actions concrètes met sou­vent ce sou­ci de cohé­rence à rude épreuve. Depuis la créa­tion des SDAU et POS par la loi d’orientation fon­cière (1967), la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale a régu­liè­re­ment connu des périodes de crise et de remise en cause, géné­ra­le­ment sui­vies de moments où le légis­la­teur et les pra­ti­ciens ont réaf­fir­mé son rôle dans l’aménagement du ter­ri­toire et l’urbanisme. Le regain d’intérêt actuel pour la pla­ni­fi­ca­tion, récem­ment confir­mé et ren­for­cé par la loi du 7 août 2015, se tra­duit par une archi­tec­ture de docu­ments imbri­qués dont la com­plexi­té même a de quoi décon­cer­ter… et fait par­fois oublier que les pres­crip­tions pla­ni­fi­ca­trices peuvent res­ter lettre morte, en l’absence de scènes de négo­cia­tion concrète des pro­jets. Est-on sûr que les prin­cipes de den­si­fi­ca­tion affir­més à tel endroit s’incarneront dans des réa­li­sa­tions concrètes ? Que la mixi­té des fonc­tions ou des loge­ments por­tée par un PLU sera effec­tive dans un contexte de mar­ché immo­bi­lier ten­du ? Les attentes de cer­taines com­munes en matière d’urbanisation peuvent par exemple limi­ter for­te­ment les ambi­tions de maî­trise fon­cière por­tées par un SCoT. Des pro­jets d’aménagement de voi­rie peuvent éga­le­ment redon­ner un avan­tage sub­stan­tiel à l’automobile et contre­car­rer les actions des auto­ri­tés orga­ni­sa­trices de la mobi­li­té en faveur des modes alternatifs. 

Pour résoudre ces dif­fi­cul­tés, des col­lec­ti­vi­tés ont inven­té depuis une quin­zaine d’années des moda­li­tés ori­gi­nales de col­la­bo­ra­tion, voire de contrac­tua­li­sa­tion qui per­mettent de mieux assu­rer la mise en œuvre des prin­cipes issus de la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale. Ain­si des « contrats d’axes » ont été ini­tiés par des auto­ri­tés orga­ni­sa­trices de trans­port pour défi­nir, avec les com­munes et inter­com­mu­na­li­tés des­ser­vies par une ligne nou­velle de trans­port, des prin­cipes d’aménagement visant à opti­mi­ser l’usage de cette infra­struc­ture. Ces expé­riences sont tou­te­fois récentes, quelques années seront néces­saires encore pour éva­luer les com­por­te­ments de mobi­li­té des rési­dents de ces territoires. 

Sur un autre registre, en vue de favo­ri­ser la pro­duc­tion de loge­ments abor­dables et bien des­ser­vis dans un contexte de forte pres­sion démo­gra­phique, Bor­deaux Métro­pole a for­ma­li­sé un par­te­na­riat inno­vant : l’opération « 50 000 loge­ments à proxi­mi­té des trans­ports col­lec­tifs », ini­tiée en 2010, a ain­si don­né lieu à la signa­ture d’une charte avec 48 pro­mo­teurs et bailleurs sociaux de l’agglomération, expri­mant un enga­ge­ment à pro­duire 13 de loge­ments pri­vés, 13 de loge­ments loca­tifs sociaux et 13 de loge­ments en acces­sion à prix maî­tri­sés (moins de 2 500 €/m² TTC). Fin 2017, l’ensemble des opé­ra­tions en cours ou pré­vues à court terme dans le cadre de ce pro­gramme tota­li­sait 10 000 loge­ments, sur les 50 000 pré­vus à l’horizon 2030. 

Favo­ri­ser le vélo

Pour répondre aux besoins de loge­ments de l’agglomération de Cham­bé­ry, la com­mune de Cognin, située en pre­mière cou­ronne, a déci­dé d’aménager l’écoquartier Vil­le­neuve sur une zone de près de 25 hec­tares en conti­nui­té des zones bâties exis­tantes. Le pro­jet d’environ 500 loge­ments pré­voit un tra­cé de voies conçu pour faci­li­ter l’usage du vélo (le cœur de Cham­bé­ry se situe à moins de 10–12 minutes de vélo), d’autant que les nou­veaux habi­tants se ver­ront pro­po­ser un vélo élec­trique et des ate­liers de « mise en selle ». Les concep­teurs du pro­jet ont pré­vu des voies de des­serte des loge­ments offrant une large prio­ri­té aux pié­tons et cyclistes. Par ailleurs, la col­lec­ti­vi­té a cher­ché à limi­ter les capa­ci­tés de sta­tion­ne­ment des pro­grammes pour tendre vers un seul véhi­cule par ménage. 

Amé­na­ger

L’articulation entre urba­nisme et mobi­li­té se joue aus­si, très concrè­te­ment, dans les opé­ra­tions d’aménagement. Lors de la restruc­tu­ra­tion de quar­tiers exis­tants comme lors de la construc­tion de nou­veaux quar­tiers, les par­tis pris d’aménagement peuvent inci­ter à des pra­tiques de mobi­li­té alter­na­tives à l’usage de la voi­ture solo : recherche de proxi­mi­té des ser­vices, com­merces et équi­pe­ments, réduc­tion de la place de la voi­ture au béné­fice des autres modes et des espaces publics, sta­tion­ne­ment mutua­li­sé et dis­so­cié des immeubles d’habitation, créa­tion de che­mi­ne­ments pié­tons et cyclables sécu­ri­sés et agréables… 

Les éco­quar­tiers des petites com­munes offrent d’intéressantes moda­li­tés de conci­lia­tion entre urba­nisme et mobi­li­té. À Che­vai­gné (2 000 habi­tants, Ille-et-Vilaine) par exemple, l’écoquartier de la Bran­chère fait la jonc­tion entre le centre-bourg et la gare. L’écoquartier béné­fi­cie de la proxi­mi­té aux amé­ni­tés du centre-bourg et d’un accès pri­vi­lé­gié à Rennes en train (15 minutes, 6 à 7 allers-retours par jour). La pola­ri­té de la gare est ren­for­cée par l’implantation de com­merces et équi­pe­ments sur le par­vis, et les mobi­li­tés actives favo­ri­sées par un trai­te­ment soi­gné des espaces publics et cheminements. 

À Strasbourg, les résidents  de la Grande Île, dans l’hypercentre, se voient proposer des abonnements à coûts réduits dans des parkings situés en périphérie de ce secteur patrimonial très visité.
À Stras­bourg, les rési­dents de la Grande Île, dans l’hypercentre, se voient proposer
des abon­ne­ments à coûts réduits dans des par­kings situés en périphérie
de ce sec­teur patri­mo­nial très visité.

Les quatre paradoxes de la transversalité

Les poli­tiques publiques affirment une exi­gence de cohé­rence et de trans­ver­sa­li­té entre pro­blé­ma­tiques de dépla­ce­ment, d’urbanisme, de san­té et d’environnement. Mais pour être plei­ne­ment effec­tif, l’exercice sup­pose d’admettre que cette cohé­rence sou­lève plu­sieurs paradoxes. 

Désar­ti­cu­ler la ville et la voiture

Le pre­mier est qu’à vou­loir mieux com­bi­ner urba­nisme et trans­ports col­lec­tifs, on oublie par­fois de limi­ter l’imbrication entre urba­nisme et auto­mo­bile, y com­pris dans la ville déjà consti­tuée. L’enjeu urbain d’une mobi­li­té moins dépen­dante de l’automobile dépend autant d’une bonne arti­cu­la­tion avec les trans­ports col­lec­tifs que d’une bonne désar­ti­cu­la­tion avec la voi­ture indi­vi­duelle, à tra­vers un urba­nisme qui serait plus sys­té­ma­ti­que­ment favo­rable aux modes actifs. Agir sur le sta­tion­ne­ment est ici un levier essentiel. 

Beau­coup d’écoquartiers fran­çais ont sui­vi sur ce sujet les ensei­gne­ments du quar­tier Vau­ban à Frei­burg im Breis­gau, au sein duquel le sta­tion­ne­ment auto­mo­bile se fait dans un grand par­king en silo situé en bor­dure du quar­tier. Si l’arrêt minute peut être tolé­ré, l’espace public au pied des immeubles est géné­ra­le­ment libé­ré de l’occupation de l’automobile au pro­fit de la marche, du vélo et des usages récréa­tifs. Le report du sta­tion­ne­ment rési­den­tiel en péri­phé­rie des zones habi­tées est aujourd’hui une solu­tion fré­quem­ment utilisée. 

Maî­tri­ser le déve­lop­pe­ment autour du TER

Deuxième para­doxe, dans les péri­phé­ries des grandes métro­poles, le TER réap­pa­raît de nos jours comme un réseau arma­ture à même de cana­li­ser l’expansion urbaine. Pour autant, le risque est réel qu’il contri­bue à repor­ter la dilu­tion de l’habitat et des acti­vi­tés dans des péri­phé­ries tou­jours plus loin­taines et moins outillées en matière de pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale. Le déve­lop­pe­ment urbain autour du TER devrait dès lors s’accompagner d’une maî­trise plus glo­bale des condi­tions de l’urbanisation dans les franges des ter­ri­toires métro­po­li­tains. Pour ce faire, il s’agirait de pro­po­ser un véri­table accom­pa­gne­ment des plus petites col­lec­ti­vi­tés dans une ges­tion éco­nome de leur fon­cier pour évi­ter que se per­pé­tue l’émiettement de l’urbanisation.

Par­kings en périphérie

À Stras­bourg, les rési­dents de la Grande Île, dans l’hypercentre, se voient pro­po­ser des abon­ne­ments à coûts réduits dans des par­kings situés en péri­phé­rie de ce sec­teur patri­mo­nial très visi­té. La métro­pole stras­bour­geoise a fait ain­si le choix de pro­po­ser aux rési­dents une for­mule de sta­tion­ne­ment certes un peu éloi­gnée, mais à un coût avan­ta­geux, et qui pré­sente l’avantage de contri­buer au désen­gor­ge­ment des rues du centre historique. 

Se méfier des recettes miracles

Troi­sième para­doxe, la boîte à outils de l’aménagement et des trans­ports est aus­si riche de recettes miracles qui n’en sont pas. La den­si­té et la mixi­té fonc­tion­nelle, si elles sont théo­ri­que­ment pro­pices à une moindre dépen­dance auto­mo­bile, ne réduisent pas auto­ma­ti­que­ment les dépla­ce­ments : on ne fait pas for­cé­ment ses acti­vi­tés près de chez soi et les emplois ne sont pas néces­sai­re­ment occu­pés par les habi­tants les plus proches. De même, amé­na­ger près des nœuds de trans­port des quar­tiers denses et qui soient pro­pices à la marche et à l’usage du vélo ne sus­cite pas néces­sai­re­ment des com­por­te­ments de mobi­li­té « ver­tueux » de la part des rési­dents : les exemples abondent pour mon­trer qu’il n’y a, en la matière, aucun déter­mi­nisme et que l’évolution des com­por­te­ments de mobi­li­té passe par bien d’autres leviers que celui (impor­tant mais non suf­fi­sant) de l’aménagement de l’espace. Si ces grands prin­cipes ne doivent pas être dis­qua­li­fiés, ils sup­posent, pour être effi­cients, que leur appli­ca­tion ne soit pas consi­dé­rée comme une fin en soi et qu’ils s’intègrent dans une approche plus glo­bale du territoire. 

Pré­ser­ver la mixi­té sociale

Enfin, les jeux de concur­rence dans l’accès aux res­sources urbaines risquent fort d’exclure les popu­la­tions modestes des lieux les mieux des­ser­vis et les plus dotés en sys­tèmes de trans­port en tous genres, en l’occurrence les cœurs des métro­poles. Sur ces ter­ri­toires, les pro­ces­sus de gen­tri­fi­ca­tion sont sou­vent avé­rés et risquent de dégra­der l’accessibilité aux trans­ports col­lec­tifs pour les popu­la­tions qui en auraient le plus besoin. La mise en œuvre d’une stra­té­gie d’intervention fon­cière et la défi­ni­tion des droits à construire favo­rables à la mixi­té sociale sont ici des leviers per­met­tant à la puis­sance publique de peser sur l’affectation et le prix des terrains. 

Bordeaux Métropole  a lancé une opération  « 50 000 logements  à proximité des transports collectifs ».
Bor­deaux Métro­pole a lan­cé une opération
« 50 000 loge­ments à proxi­mi­té des trans­ports collectifs ».

Vers une nouvelle ère des relations entre urbanisme et mobilité

Répondre aux enjeux de la tran­si­tion éco­lo­gique sup­pose néces­sai­re­ment de retis­ser les liens entre la ville et les réseaux de trans­port col­lec­tif, de mieux pen­ser la place de l’automobile dans l’espace public pour en ratio­na­li­ser l’usage, d’aménager l’espace pour ten­ter d’agir sur les com­por­te­ments de dépla­ce­ment et pro­mou­voir la mul­ti­mo­da­li­té, ou encore d’imposer une ges­tion éco­nome du fon­cier y com­pris dans les lieux où l’on pour­rait croire qu’il abonde… 

Quels leviers d’action s’offrent dès lors aux acteurs publics ? Tout d’abord, on l’a vu, pla­ni­fier, coor­don­ner et amé­na­ger. Si ces trois leviers ne sont pas fon­ciè­re­ment nova­teurs, les col­lec­ti­vi­tés ont néan­moins su les renou­ve­ler et ils conservent leur inté­rêt et toute leur effi­ca­ci­té en dépit des cri­tiques qui peuvent par­fois leur être faites. Pour autant, ces leviers ne sont pas exclu­sifs. Le couple ville-mobi­li­té peut aus­si ren­voyer à d’autres moyens d’action sou­vent trop peu mobi­li­sés : mener par exemple des poli­tiques fon­cières per­met­tant la régu­la­tion des prix, mettre en œuvre des poli­tiques contrai­gnantes à l’égard de l’usage de l’automobile (par la régu­la­tion des vitesses, par la taxa­tion…), ou encore accom­pa­gner de manière plus proac­tive les chan­ge­ments de com­por­te­ments de mobi­li­té. Au-delà des recettes miracles qu’on nous pro­met régu­liè­re­ment, tout porte à croire que le couple ville-mobi­li­té devra se repen­ser au tra­vers de com­bi­nai­sons nou­velles entre ces dif­fé­rents leviers. 


Pour approfondir

Cere­ma, 2017, Dépla­ce­ments, urba­nisme, envi­ron­ne­ment, éner­gie (DUEE). 7 ans de sémi­naires, bilan et pers­pec­tives, 99 p. 

Cere­ma, 2015, Arti­cu­ler urba­nisme et trans­port. Les contrats d’axe fran­çais à la lumière du Tran­sit-orien­ted deve­lop­ment (TOD), 152 p. 

Des­jar­dins (Xavier), Urba­nisme et mobi­li­té : de nou­velles pistes pour l’action, Édi­tions de la Sor­bonne, 2017.

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