De l’atome au noyau

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°617 Septembre 2006Par : Bernard Fernandez (56)Rédacteur : Philippe LAZAR (56)Editeur : Paris – Ellipses Édition Marketing – 2006 - 32, rue Bargue, 75740 Paris Cedex 15.

Ber­nard Fer­nan­dez est ancien cher­cheur en phy­sique nucléaire au Com­mis­sa­riat à l’énergie ato­mique. Homme de science et de culture (il est aus­si excellent vio­lo­niste), il nous offre aujourd’hui une véri­table somme, fruit de plu­sieurs années de tra­vail : l’histoire, fas­ci­nante, de la phy­sique ato­mique et nucléaire au cours de la pre­mière moi­tié du XXe siècle. L’histoire d’une science qui a “tout sim­ple­ment” bou­le­ver­sé notre repré­sen­ta­tion de la matière et de l’univers, l’organisation de nos socié­tés (et en par­ti­cu­lier celle de toute la science), et dont les appli­ca­tions sont désor­mais à l’échelle du des­tin de la planète.

Cette his­toire méri­tait d’être contée, et cela dans un lan­gage acces­sible à l’honnête homme mais sans conces­sion quant à son conte­nu. L’auteur a pour ce faire “tout ” relu : tous les articles publiés, toute la cor­res­pon­dance (abon­dante !) entre savants. Il lui fal­lait en effet réunir, pour les mettre à notre dis­po­si­tion sous forme de cita­tions per­ti­nentes, toutes les pierres ayant contri­bué à la construc­tion de cet impres­sion­nant édi­fice qu’est l’état actuel des connais­sances dans ce domaine. Mais il lui fal­lait aus­si nous faire com­prendre que de même que la somp­tueuse abbaye du Mont Saint-Michel est l’entassement de construc­tions de styles par­fai­te­ment dis­pa­rates, cha­cune d’elles se sub­sti­tuant par­tiel­le­ment à celles qui les ont pré­cé­dées et les com­plé­tant, les connais­sances actuelles en phy­sique sont le fruit d’avancées, de moments de stag­na­tion, de fausses routes voire d’erreurs, bref sont elles aus­si la résul­tante d’une mul­ti­tude d’approches dont la cohé­rence s’est construite au fil du temps sans qu’un grand archi­tecte en ait pré­éta­bli le plan.

Se pla­cer d’emblée, pour aller plus vite “au résul­tat ”, aurait gom­mé de façon arti­fi­cielle et ana­chro­nique (comme on le fait hélas trop sou­vent par sou­ci “ d’efficience ”) tout le che­mi­ne­ment qui y a conduit. Pas­ser sous silence ce par­cours par­fois chao­tique aurait sup­pri­mé une mer­veilleuse occa­sion de faire com­prendre ce qu’est réel­le­ment la démarche scien­ti­fique : un aller retour per­ma­nent entre des hypo­thèses (des théo­ries) et le contrôle exi­geant de leur capa­ci­té à rendre compte “du moindre petit fait ”, une inter­ac­tion forte entre la pen­sée créa­trice et les nou­veaux moyens tech­niques d’expérimentation. Tout cela implique, entre autres, une approche col­lec­tive. Un artiste peut par­fois “ pro­duire ” seul. Pas un savant. Il est per­mis à un savant comme à un artiste d’être pas­sion­né (et même le cas échéant, empor­té par sa pas­sion, de se trom­per) mais un cher­cheur ne peut être acteur recon­nu de la science que s’il accepte de se plier à la dure loi des faits, sous son propre contrôle d’abord, sous celui de ses pairs ensuite.

Ce roman poli­cier (car l’histoire de la phy­sique ato­mique et nucléaire, telle qu’ici contée, vous tien­dra en haleine comme le meilleur des “ polars ”) com­mence en fait quelques années plus tôt que le siècle der­nier, avec la décou­verte de la radio­ac­ti­vi­té. Fer­nan­dez a pu se pro­cu­rer une repro­duc­tion de la plaque pho­to­gra­phique déve­lop­pée par Bec­que­rel le 1er mars 1896 : elle illustre la cou­ver­ture de son livre, l’émotion part de là et res­te­ra vive tout au long des quelque six cents pages de l’ouvrage. L’histoire de cette décou­verte est connue mais elle est ici déli­cieu­se­ment rap­por­tée et on la relit avec jubi­la­tion : on y voit se com­bi­ner mer­veilleu­se­ment le hasard (le mau­vais temps sur Paris cette semai­ne­là) et la néces­si­té (l’implacable qua­li­té du rai­son­ne­ment de Bec­que­rel, confron­té à une obser­va­tion, un “fait ” inex­pli­cable à par­tir de la théo­rie qu’il vou­lait véri­fier). Et la moindre émo­tion n’est pas de consta­ter qu’une fois son tra­vail ache­vé, Bec­que­rel s’en dés­in­té­resse quelque peu au pro­fit d’autres recherches qui lui semblent plus pro­met­teuses… Mais le relais (et quel relais !) sera pris (un peu plus tard) par d’autres : la science est bien une affaire collective !

Des récits d’événements comme celui qui vient d’être évo­qué, le livre en four­mille. Mais pas tou­jours avec la même dis­tan­cia­tion ter­mi­nale que celle de Bec­que­rel : pour la plu­part, les savants concer­nés com­pren­dront très vite les enjeux à pro­pre­ment par­ler colos­saux de leurs recherches (il ne s’agit pas seule­ment des appli­ca­tions civiles ou mili­taires de ces décou­vertes mais bien, d’abord, de la com­pré­hen­sion fon­da­men­tale de la matière) et n’auront pas le même déta­che­ment que lui.

Au tra­vers de cette col­lec­tion de “nou­velles ” par­fai­te­ment enchaî­nées dans cet ouvrage, les lec­teurs poly­tech­ni­ciens retrou­ve­ront avec le plus vif inté­rêt (et émo­tion) des sou­ve­nirs sans doute quelque peu effa­cés pour la majo­ri­té d’entre eux et se diront avec satis­fac­tion que, grâce à cette lec­ture vivi­fiante, ils com­prennent encore mieux aujourd’hui qu’à l’époque de leurs études com­ment tout ce savoir s’est pro­gres­si­ve­ment éla­bo­ré, depuis la décou­verte des “ rayons ura­niques ” jusqu’à celle des “trans­ura­niens ” en pas­sant par celles des élec­trons, du noyau et de ses com­po­santes, de la radio­ac­ti­vi­té arti­fi­cielle, des spins et autres belles choses. Ils pour­ront aus­si avec pro­fit faire lire l’ouvrage à leur entou­rage “ non scien­ti­fique ” (ce livre est très acces­sible à tous, aux “lit­té­raires ” en par­ti­cu­lier, au prix d’un très léger effort de volon­té) entou­rage qui com­pren­dra sans doute alors mieux la fas­ci­na­tion que peut exer­cer la science cette fête authen­tique et com­mu­ni­cable de l’esprit sur ceux qui y goûtent à un moment quel­conque de leur exis­tence, qu’ils soient eux-mêmes ou non scien­ti­fiques par formation.

Un der­nier mot : Fer­nan­dez a eu l’idée lumi­neuse de faire revivre pour nous ces savants – les plus connus mais aus­si tous les autres – et le cas échéant leurs parents en nous disant quelques mots de leur his­toire per­son­nelle (y com­pris dans ses éven­tuelles dimen­sions tra­giques, essen­tiel­le­ment du fait du nazisme). Il leur rend ain­si leur dimen­sion humaine et sociale. Cette colo­ra tion déli­bé­rée de son pro­pos n’est pas pour peu dans la “pré­sence ” intense de ce livre à nos côtés pen­dant le temps que nous pas­sons avec lui, c’est-à-dire avec “eux”.

Faites ou refaites connais­sance grâce à Fer­nan­dez avec tous ces hommes et toutes ces femmes remar­quables et avec leur fabu­leuse oeuvre col­lec­tive : vous ne man­que­rez pas d’être séduit et heureux !

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