En microfluidique, les effets des interfaces non miscibles deviennent dominants.

De l’art de coincer les bulles

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°739 Novembre 2018

Charles Baroud, avec Nico­las Tac­co­en, doc­to­rant à l’École polytechnique/CNRS et Deniz Gunes, cher­cheur au Centre de recherche Nest­lé à Lau­sanne (Suisse) a réus­si à iden­ti­fier les condi­tions qui pro­longent la « vie » des bulles dans les mousses.

En micro­flui­dique, les effets des inter­faces non mis­cibles deviennent dominants.

Les mousses sont par­tout : dans l’alimentaire comme pour la mousse au cho­co­lat, dans la cos­mé­tique avec la mousse à raser ou encore dans le bâti­ment avec la mousse iso­lante uti­li­sée pour les murs d’une habi­ta­tion. Une mousse se com­pose de bulles qui sont des struc­tures dyna­miques pou­vant fusion­ner entre elles, mais aus­si croître ou dimi­nuer et dis­pa­raître en l’espace de quelques secondes. L’enjeu des recherches menées par notre équipe est de sta­bi­li­ser les bulles dans le temps afin que la mousse conserve son aspect et ses pro­prié­tés ini­tiales le plus long­temps possible.

Des bulles caparaçonnées

La façon la plus cou­rante de sta­bi­li­ser une mousse est d’ajouter un émul­si­fiant molé­cu­laire, com­po­sante essen­tielle qui sta­bi­lise les bulles d’air afin qu’elles ne fusionnent pas entre elles. Tou­te­fois, une solu­tion alter­na­tive déjà connue consiste à recou­vrir la sur­face des bulles avec de petites par­ti­cules solides, telles que par exemple des billes de pro­téines pour une mousse alimentaire.

Mais, jusqu’ici, on ne savait pas expli­quer les équi­libres phy­siques sous-jacents à cette approche. L’équipe de l’École poly­tech­nique a été la pre­mière à y répondre, dans le cadre d’un contrat de recherche avec le groupe Nest­lé. Ces tra­vaux ont été publiés dans la revue Phy­si­cal Review X.

Pourquoi faire des bulles ?

Les appli­ca­tions poten­tielles sont nom­breuses. On peut ima­gi­ner d’utiliser des par­ti­cules natu­rel­le­ment pré­sentes dans les ali­ments pour sta­bi­li­ser les mousses. Ces effets peuvent aus­si être pous­sés en contrô­lant la forme de ces par­ti­cules ou les inter­ac­tions entre elles, afin de pro­duire des coques encore plus résistantes.

Les mousses étant pré­sentes dans de nom­breux domaines, des appli­ca­tions de ces résul­tats de recherche pour­raient voir le jour dans l’industrie cos­mé­tique, phar­ma­ceu­tique ou encore dans le bâti­ment. Dans le sec­teur du BTP, le béton cel­lu­laire, com­po­sé de bulles qui sont recou­vertes de par­ti­cules de gra­vier ou de ciment, pour­rait aus­si béné­fi­cier de ces avan­cées. Grâce à des bulles plus stables, le béton cel­lu­laire ou béton de mousse pour­rait être allé­gé tout en conser­vant ses qua­li­tés de résis­tance, et l’on pour­rait ima­gi­ner des maté­riaux qui n’existent pas encore aujourd’hui avec une empreinte car­bone réduite.

Une approche macroscopique complexe

L’approche micro­flui­dique per­met d’identifier et de com­prendre les condi­tions qui conduisent à l’effondrement des bulles, à tra­vers des mesures de la résis­tance d’une bulle unique qui est recou­verte avec des par­ti­cules. Mais quand on consi­dère une mousse qui assemble plu­sieurs mil­lions de bulles, le com­por­te­ment glo­bal devient extrê­me­ment com­plexe à étu­dier. Il y a donc toute une phy­sique de la com­plexi­té qui entre en jeu, avec l’appel à des modèles théo­riques – déve­lop­pés en col­la­bo­ra­tion avec Ben­ja­min Dol­let de l’université de Rennes‑I.

Des bulles aux gouttes

Les bulles et les gouttes sont très sem­blables du point de vue de la méca­nique des fluides. Les mêmes tech­niques de micro­flui­dique s’appliquent, mais avec des domaines d’application très dif­fé­rents. Par exemple, on peut faire de la bio­lo­gie dans des gouttes : chaque goutte se trans­forme en micro­tube à essai, ce qui per­met de faire des expé­riences sur des cel­lules indi­vi­duelles, en mani­pu­lant une cel­lule (humaine ou bac­té­rienne, etc.) unique par goutte par exemple. On accède alors à des phé­no­mènes qui auraient été gom­més par l’effet des grands nombres quand on fait des expé­riences à l’échelle plus macro­sco­pique. Et comme les gouttes sont très petites, on peut réa­li­ser un grand nombre d’expériences en paral­lèle sur un même sup­port : plu­sieurs mil­liers sur 2 cm² !

Les bulles réservent encore des surprises

Notre tech­nique spé­ci­fique, qui consiste à iso­ler une bulle uni­taire dans un micro­ca­nal, a fait l’objet de dépôt de bre­vets par l’X. Elle per­met de contrô­ler la taille de la bulle et sa cou­ver­ture par des micro­par­ti­cules. On a pu ain­si éva­luer l’incidence de la taille de ces micro­par­ti­cules sur la tenue des bulles, et se poser la ques­tion : vaut-il mieux uti­li­ser de grandes ou de petites par­ti­cules pour obte­nir un meilleur résul­tat ? En fait, per­sonne ne savait répondre à cette ques­tion. Et la réponse a été inat­ten­due : la taille des par­ti­cules n’a pas d’importance. Ce qui nous condui­ra à explo­rer d’autres para­mètres à l’avenir comme la forme, la nature et les autres pro­prié­tés de ces particules.

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