De la gestion scientifique au service public

Dossier : Premier PasMagazine N°697 Septembre 2014
Par Guillaume BONHOMME (09)

Au moment de choi­sir une troi­sième année à l’X, il y a trois ans, la palette des for­ma­tions dis­po­nibles me lais­sa per­plexe. Com­pa­rées à celles des uni­ver­si­tés nord-amé­ri­caines dont émer­geaient les suc­cess sto­ries du moment (Face­book, Ins­ta­gram, etc.), je trou­vais les for­ma­tions pro­po­sées par l’X trop scien­ti­fiques et académiques.

Par chance, je pus pro­fi­ter de la créa­tion de l’option « Entre­pre­neu­riat » pour réa­li­ser un dou­blé ines­pé­ré : m’éloigner des sciences fon­da­men­tales et décou­vrir le monde de l’entreprise. Avec en prime l’opportunité d’effectuer un stage dans la mythique Sili­con Val­ley.

REPÈRES

La gestion scientifique (GS) est une discipline qui prône une approche scientifique de la gestion d’une entreprise, comme peut le faire la recherche opérationnelle. À l’image des sciences expérimentales, l’approche GS consiste à rechercher des constantes dans le comportement des acteurs et à en tirer des principes de gestion avisée.
Elle aide à mieux appréhender l’impact des choix que l’on peut faire en tant que décideurs (mise en place de tableaux de bord, choix d’une démarche qualité, d’une politique de ressources humaines, etc.).

La gestion scientifique

À l’heure du choix d’une qua­trième année, je sou­hai­tais néan­moins par­faire ma com­pré­hen­sion des entre­prises et des orga­ni­sa­tions au sens large. Mal­gré la vrai­sem­blance de leurs théo­ries et leur fran­glais châ­tié, les chantres de la créa­tion d’entreprise me ser­vaient un leit­mo­tiv qui me lais­sait sur ma faim. C’est en errant sur les pages Web des for­ma­tions de « 4A » que j’entrevis une lueur d’espoir.

“ Comprendre le fonctionnement des organisations ”

« Si le mana­ge­ment s’appuie sur des méthodes et des outils, qu’il faut connaître, il s’inscrit aus­si dans des orga­ni­sa­tions, dont il importe de com­prendre le fonc­tion­ne­ment. » Telle était la phrase de pré­sen­ta­tion de l’option « Ges­tion scien­ti­fique » pro­po­sée par les Mines de Paris, que j’ai fina­le­ment suivie.

Dynamisme et innovation

La for­ma­tion dis­pen­sée par l’option GS s’articule autour de deux périodes com­plé­men­taires : une for­ma­tion ini­tiale théo­rique (quatre mois) et un stage en entre­prise (six mois).

Sau­ver les nénu­phars du dépôt de bilan. KEY GRAPHIC

La for­ma­tion ini­tiale consiste en une intro­duc­tion aux sciences de ges­tion. Lec­ture des œuvres fon­da­trices d’une part ; inter­ven­tions d’invités issus du monde de l’entreprise d’autre part, au pro­fil par­fois original.

Un jeune entre­pre­neur amé­ri­cain vint par exemple nous expli­quer avec pas­sion com­ment il avait redres­sé une pépi­nière de nénu­phars du Lot-et- Garonne au bord du dépôt de bilan. Une preuve que le dyna­misme et l’innovation ne sont pas le mono­pole du monde 2.0.

Voyageur et matériel roulant

Puis vint le « choix » du stage en entre­prise. La par­ti­cu­la­ri­té de l’option GS est de deman­der aux élèves de consti­tuer des binômes et de se répar­tir des stages négo­ciés au préa­lable par les professeurs.

L’optimum de Pare­to eut pour notre binôme un nom obs­cur : « RATP – Dépar­te­ment bus – Sché­ma géné­ral direc­teur du maté­riel rou­lant et remi­sage ; pro­jet de modé­li­sa­tion. » L’utilisateur moyen d’une ligne de bus ne s’intéresse géné­ra­le­ment qu’à deux choses : l’horaire de pas­sage du sui­vant et s’il va bien là où il veut.

Il oublie tou­te­fois un détail : « son » bus existe indé­pen­dam­ment de lui. Ain­si que les 4 500 bus et les 13 000 conduc­teurs gérés par la RATP en Île-de-France.

L’exploitation d’un tel réseau néces­site une coor­di­na­tion mil­li­mé­trée, une orga­ni­sa­tion du tra­vail rigou­reuse et un outil indus­triel lourd.

Optimiser 350 lignes

Il fal­lait trou­ver une méthode per­met­tant d’optimiser la répar­ti­tion des 350 lignes dans les dépôts au gré des évo­lu­tions du réseau. Idéa­le­ment, une ligne doit être « remi­sée » dans un dépôt près duquel elle passe, afin de mini­mi­ser le sur­coût lié aux kilo­mètres effec­tués sans voya­geurs entre le dépôt et l’itinéraire com­mer­cial de la ligne.

Les coûts affé­rents à la répar­ti­tion des lignes dans les dépôts repré­sentent un enjeu impor­tant pour la RATP qui, comme cha­cun ne le sait pas, se pré­pare à l’ouverture à la concur­rence des trans­ports en com­mun fran­ci­liens à par­tir de 2024 pour le réseau de bus.

“ Une source de problématiques stimulantes ”

Ini­tia­le­ment, nous pen­sions avoir affaire à un pro­blème d’optimisation dis­crète : 350 lignes, vingt dépôts, il n’y avait fina­le­ment que 7 000 pos­si­bi­li­tés à étu­dier. Nous avons rapi­de­ment décou­vert qu’évaluer un coût avec une pré­ci­sion satis­fai­sante requé­rait plus de tra­vail que l’application d’une bête règle de trois.

De sorte que les 7 000 études nous ame­naient bien au-delà de la fin du stage. Ensuite, nous avons com­pris que le coût n’était pas le seul cri­tère déci­sion­nel. Des consi­dé­ra­tions tech­niques, sociales, stra­té­giques ou poli­tiques consti­tuaient autant d’éléments contrai­gnant la répar­ti­tion des lignes dans les dépôts.

Enfin, les hypo­thèses de départ vacillèrent. Pour­quoi ne pas envi­sa­ger de répar­tir une même ligne dans plu­sieurs dépôts ?

Un vrai casse-tête.

Face à une com­bi­na­toire gran­dis­sante et à la néces­si­té d’une inter­ven­tion humaine dans le pro­ces­sus, c’est fina­le­ment une ana­lo­gie insoup­çon­née avec l’algorithmique du jeu d’échecs qui nous a per­mis d’aboutir à un outil infor­ma­tique d’aide à la décision.

La créativité intellectuelle

Un autobus
Gérer les auto­bus comme on joue aux échecs.

Je n’aurais jamais pen­sé que l’exploitation d’un réseau de bus pou­vait être la source de pro­blé­ma­tiques aus­si sti­mu­lantes sur le plan intel­lec­tuel. Quand j’étais à l’X j’étais le pre­mier à pen­ser que l’industrie n’était pas attrac­tive : pas de chal­lenge intel­lec­tuel, peu d’innovation, pas de salaire miro­bo­lant, trop d’inertie.

Comme tout le monde je vou­lais faire du conseil ou mon­ter une start-up. En Cali­for­nie je m’étais même pro­mis de ne jamais tra­vailler dans un grand groupe… en toute igno­rance de cause.

J’avais tort. L’industrie – même lourde, même fran­co-fran­çaise – est une belle oppor­tu­ni­té d’exercer notre capa­ci­té de concep­tua­li­sa­tion et notre créa­ti­vi­té intel­lec­tuelle. Elle regorge de pro­blé­ma­tiques pas­sion­nantes dont l’intérêt pro­vient par­fois plus de la com­plexi­té que de la tech­ni­ci­té, comme l’illustre le stage que j’ai effec­tué à la RATP, où je suis entré finalement.

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