Courrier des lecteurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°596 Juin/Juillet 2004Par : André BELLON (63), A. PÉTINIOT, René BOUCHET (49) et Alain MATHIEU (57)

À propos de l’article de Marc Flender “Pour qui roulent les polytechniciens?”, n° 585, mai 2003 et cf. numéro d’août-septembre 2003, p. 64

À propos de l’article de Marc Flender “Pour qui roulent les polytechniciens?”, n° 585, mai 2003 et cf. numéro d’août-septembre 2003, p. 64

Je n’avais pas lu l’article de Marc Flen­der et n’ai connu son exis­tence que par la réponse de Lio­nel Sto­lé­ru ; j’ai été frap­pé par le ton assez com­mi­na­toire de cette réponse et par l’utilisation d’arguments (le com­mu­nisme est la seule alter­na­tive au libé­ra­lisme) que, même dans les mee­tings élec­to­raux, on n’ose plus employer et qui ne sont pas vrai­ment mar­qués par le doute constructif.

Je me suis donc pro­cu­ré cet article qui m’a paru avoir l’avantage d’ouvrir un débat : j’ai trou­vé cette ten­ta­tive d’autant plus salu­taire que, jus­te­ment, la crise actuelle de la pen­sée impose plus que jamais de dou­ter, de remettre en cause. Le nombre impor­tant de réac­tions dans les colonnes de La Jaune et La Rouge me semble prou­ver que, de ce point de vue, l’article de Marc Flen­der avait tou­ché quelque chose de profond.

des Études nous avait fait un amphi dans lequel il nous avait expli­qué que nous n’étions pas for­més pour être des admi­nis­tra­teurs, ni des com­mer­ciaux, ni des ges­tion­naires, mais des ingé­nieurs. Déjà, à cette époque, j’aurais aimé que, au-delà de cette défi­ni­tion trop mar­quée par les néga­tions, il rajoute que nous devions être des citoyens.

Le débat inat­ten­du que nous vivons nous rap­pelle peut-être tout sim­ple­ment à cette véri­té première.

André BELLON (63)


_____________________________________________________________

À propos de l’article de William Fisher “ L’Australie en France ”, n° 592, février 2004

D’anciens élèves de l’École poly­tech­nique ont pro­po­sé à ma lec­ture l’article de William Fisher, paru dans votre revue La Jaune et la Rouge de février 2004. Je l’ai lu avec beau­coup d’intérêt mais le pré­sident de l’Association Fran­çois Péron, que je suis, regrette que l’auteur, abor­dant le sujet de l’expédition Bau­din, parle du com­man­dant et des des­si­na­teurs, Lesueur et Petit, sans évo­quer le rôle essen­tiel de Fran­çois Péron.

En effet, ce savant natu­ra­liste, embar­qué à bord du Géo­graphe, a mené une étude de la flore, de la faune et des habi­tants de l’Australie et de ses côtes. C’est en col­la­bo­ra­tion avec lui et sur ses conseils que Lesueur a réa­li­sé ses admi­rables des­sins. Ses recherches sont par­ti­cu­liè­re­ment connues dans le domaine des méduses où il a créé une nomen­cla­ture des genres. Ses études, deux cents ans après, servent encore de référence.

Le suc­cès scien­ti­fique de cette expé­di­tion est en grande par­tie due aux tra­vaux de Fran­çois Péron, brillant élève de Cuvier. Il en a lui-même rédi­gé le récit dans Voyage de décou­vertes aux Terres aus­trales. Il est mal­heu­reu­se­ment moins connu en France qu’en Aus­tra­lie où un cap et une réserve natu­relle portent son nom.

A. PÉTINIOT, pré­sident de l’Association Fran­çois Péron, 03350 Cérilly


_____________________________________________________________

À propos de La Réforme de l’État, n° 593, mars 2004

Le numé­ro de La Jaune et la Rouge sur la Réforme de l’État était du plus grand inté­rêt. Après toute une vie pro­fes­sion­nelle pas­sée sur le ter­rain, je vou­drais faire deux remarques :

1. La Réforme de l’État découle, pour une grande part, des lois Def­ferre sur la décen­tra­li­sa­tion votées au début des années 1980. Elles se sont tra­duites par des trans­ferts impor­tants de com­pé­tence, de l’État aux col­lec­ti­vi­tés locales.

Que, plus de vingt ans après, l’Administration cen­trale ait gar­dé ses 176 direc­tions, comme l’indique Chris­tian Ley­rit, et que les mesures de décen­tra­li­sa­tion n’aient été accom­pa­gnées d’aucunes mesures de décon­cen­tra­tion, sou­lignent la résis­tance au chan­ge­ment de l’État central.

2. La Réforme de l’État est insé­pa­rable de celle des col­lec­ti­vi­tés locales.

Or, le trans­fert à ces der­nières des com­pé­tences de l’État ne s’est tra­duit, jusqu’aux récentes mesures d’incitation de mises en com­mun de cer­taines res­pon­sa­bi­li­tés com­mu­nales, par aucune modi­fi­ca­tion de leurs nombres et de leurs périmètres.

Que la France détienne le record, toutes caté­go­ries, du nombre d’élus natio­naux, régio­naux, dépar­te­men­taux, plu­ri­com­mu­naux, com­mu­naux, etc., pour­rait lais­ser croire à une situa­tion d’excellence démo­cra­tique, si la mul­ti­pli­ca­tion des élus, indé­pen­dam­ment des coûts de fonc­tion­ne­ment qu’elle génère, n’entraînait la mul­ti­pli­ca­tion des cir­cons­crip­tions électorales.

Dans un pays bal­ka­ni­sé, les péri­mètres d’intérêts élec­to­raux n’ont, en géné­ral, aucun rap­port avec les péri­mètres d’intérêts généraux.

Qui déci­de­ra demain d’un équi­pe­ment indis­pen­sable à un grand nombre, si les élus, déci­deurs, ne sont res­pon­sables, cha­cun, que devant un petit nombre ?

Depuis plu­sieurs années, nous payons de plus en plus cher des struc­tures déci­sion­nelles inca­pables, intrin­sè­que­ment, de déci­der ! La réduc­tion du nombre des élus (accom­pa­gnée d’une aug­men­ta­tion de leur rému­né­ra­tion) et la redé­fi­ni­tion des péri­mètres élec­to­raux sont aus­si indis­pen­sables que la dimi­nu­tion du nombre des direc­tions de l’administration centrale.

Une petite anec­dote pour terminer !

Après que la petite com­mune dans laquelle j’habite eut déci­dé d’adhérer à la “Com­mu­nau­té d’agglomérations de Nice et de la Côte‑d’Azur ”, la CANCA, la pre­mière des consé­quences en fut l’agrandissement de notre mairie.

Comme je mar­quais ma sur­prise, le maire me répon­dit, jus­ti­fiant incons­ciem­ment l’argumentation de N. Par­kin­son, que le tra­vail sup­plé­men­taire que lui don­ne­raient les fonc­tion­naires de la CANCA néces­si­tait l’augmentation du nombre des siens et celle de leurs locaux.

René BOUCHET (49)


_____________________________________________________________

La Réforme de l’État : compléments

Le numé­ro 593 (mars 2004) de La Jaune et la Rouge est entiè­re­ment consa­cré à la Réforme de l’État. Le Pre­mier ministre, trois de ses ministres, le rap­por­teur géné­ral de la Com­mis­sion des Finances de l’Assemblée natio­nale, un pré­fet, des diri­geants d’administration nous expliquent que la réforme de l’État est en bonne voie, puisque la loi orga­nique sur les lois de Finances sera mise en appli­ca­tion comme pré­vu en 2006, que l’informatisation de la comp­ta­bi­li­té de l’État est très avan­cée, et que la Délé­ga­tion géné­rale à l’armement a été réfor­mée. D’ailleurs trois délé­gués inter­mi­nis­té­riels à la réforme de l’État et sept admi­nis­tra­tions cen­trales s’occupent de cette réforme. Com­ment ne serait-elle donc pas en bonne voie ?

Une seule opi­nion scep­tique s’exprime, celle d’un pro­fes­seur d’université qui signale que la ratio­na­li­té mana­gé­riale des hauts fonc­tion­naires réfor­ma­teurs est anti­no­mique à l’irrationalité du dis­cours des hommes poli­tiques, tis­sé de flou et de rêve. Aucun article ne s’intéresse aux rai­sons des échecs suc­ces­sifs des réformes lan­cées en France, à l’analyse des suc­cès obte­nus par plu­sieurs pays, à la mesure des résul­tats de ces réformes et aux condi­tions dans les­quelles ont eu lieu ces expériences.

Tous les Fran­çais savent pour­tant que la réforme de l’État est un ser­pent de mer. Les ministres Saut­ter, Allègre et Deva­quet, le Pre­mier ministre Jup­pé ont dû par­tir pour cause de réforme avor­tée. Ces cas sont les plus connus, mais il y a aus­si des dizaines d’autres réformes qui, sans que le ministre démis­sionne, n’ont pu abou­tir. Pour s’en tenir à la seule der­nière année, le trans­fert de quelques contrô­leurs aériens d’Orly à Rois­sy, le recru­te­ment des cher­cheurs sur contrats à durée déter­mi­née, déci­dé par Clau­die Hai­gne­ré, l’autonomie des uni­ver­si­tés annon­cée par Luc Fer­ry, le cal­cul des retraites des fonc­tion­naires sur les vingt-cinq der­nières années ont dû être abandonnés.

Il faut être bien naïf, ou dési­reux de ne rien voir bou­ger, pour croire que la loi orga­nique sur les lois de Finances va résoudre tous les pro­blèmes. N’est-il pas d’ailleurs signi­fi­ca­tif que, près de trois ans après le vote de cette loi, la par­tie la plus impor­tante du point de vue de la réforme de l’État, c’est-à-dire la fixa­tion des objec­tifs chif­frés des admi­nis­tra­tions, les fameux “indi­ca­teurs de résul­tats ” et la dési­gna­tion des res­pon­sables char­gés d’atteindre ces objec­tifs, ne soit même pas com­men­cée ? Le bud­get de l’État pour 2005, qui sera annon­cé en août 2004 par le gou­ver­ne­ment, doit, à titre expé­ri­men­tal, être pré­sen­té selon les dis­po­si­tions de cette loi. Or ses “ indi­ca­teurs de résul­tats ” ne seront pas connus avant juin, ce qui empê­che­ra le Par­le­ment d’en dis­cu­ter sérieu­se­ment avant leur uti­li­sa­tion. On voit ain­si avec quel sérieux, dès son com­men­ce­ment d’application, la loi orga­nique sera un ins­tru­ment de réforme de l’État.

On ne peut igno­rer que les réformes de l’État ont jusqu’à pré­sent été blo­quées par les syn­di­cats du sec­teur public. Une ana­lyse de ce blo­cage, et de la solu­tion qui en est actuel­le­ment recher­chée, à savoir le ser­vice mini­mum garan­ti, méri­te­rait au moins un article. Le seul mot de syn­di­cats n’apparaît pas une fois dans le numé­ro de La Jaune et la Rouge.

Un autre mot tabou est celui d’effectifs. Il est pour­tant évident que les ser­vices four­nis par les admi­nis­tra­tions sont, comme les ser­vices ren­dus par les banques, les assu­rances ou les com­pa­gnies de télé­phone, sus­cep­tibles de pro­grès de pro­duc­ti­vi­té consi­dé­rables dus à l’informatique et à Inter­net. Les décla­ra­tions d’impôts faites via Inter­net en sont d’ailleurs un exemple.

Nos admi­nis­tra­tions emploient en moyenne plus de deux fois plus de per­son­nel que les admi­nis­tra­tions étran­gères com­pa­rables les plus per­for­mantes. Des réduc­tions d’effectifs admi­nis­tra­tifs sont donc dans notre pays une consé­quence iné­luc­table de toute réforme de l’État.

Enfin les buts de la réforme de l’État pour­raient être pré­ci­sés. Le Pre­mier ministre indique qu’elle “ a été pla­cée par le pré­sident de la Répu­blique au pre­mier rang des prio­ri­tés du gou­ver­ne­ment”. Mais sans pré­ci­ser pour quelle raison.

La rai­son en est simple : par son poids exa­gé­ré et ses effec­tifs plé­tho­riques, l’État est un bou­let que traîne la socié­té fran­çaise, qui l’empêche d’avancer au rythme de ses concur­rents euro­péens, et a for­tio­ri mondiaux.

Cette consta­ta­tion n’est pas une opi­nion poli­tique, sup­po­sée de droite. Au Cana­da, en Suède, en Ita­lie, aux Pays-Bas, en Aus­tra­lie et en Nou­velle-Zélande, des gou­ver­ne­ments de gauche ont réduit dans de très grandes pro­por­tions leurs effec­tifs de fonc­tion­naires, pour rendre la pros­pé­ri­té à leur pays et sau­ver leurs régimes sociaux.

Il faut dire clai­re­ment, sans peur d’être vili­pen­dé par les défen­seurs paten­tés de cer­tains pri­vi­lèges, que l’amélioration de la pro­duc­ti­vi­té de nos admi­nis­tra­tions est un objec­tif vital pour notre pays, et que l’État ne sera pas réfor­mé sans être allégé.

En accep­tant de com­plé­ter l’information de ses lec­teurs par la publi­ca­tion de points de vue dif­fé­rents de ceux des fonc­tion­naires en charge de la réforme de l’État La Jaune et la Rouge contri­bue­ra donc à la mise en place d’une véri­table réforme de l’État.

Alain MATHIEU (57)

Poster un commentaire