Internet et CRM ont eu pendant longtemps des priorités très différentes

Convergence du CRM et d’Internet ou comment accroître l’efficacité commerciale

Dossier : Les services aux entreprisesMagazine N°568 Octobre 2001
Par Renaud de BARBUAT (82)
Par Arnaud CAPLIER

La quête du Graal

La quête du Graal

Beau­coup d’en­tre­prises ont lan­cé des pro­jets CRM (Cus­to­mer Rela­tion­ship Mana­ge­ment) foca­li­sés sur la col­lecte et l’ex­ploi­ta­tion des don­nées clients, le recen­trage de l’or­ga­ni­sa­tion autour du client et la mise en place d’une poli­tique mul­ti­ca­nal. Elles ont pour cela consti­tué des bases d’in­for­ma­tions clients et ont inves­ti des sommes consi­dé­rables (plus de 100 mil­lions d’eu­ros pour les plus grandes entreprises).

Les résul­tats ne sont pas encore à la hau­teur des espé­rances car ces approches se heurtent en pra­tique à de nom­breuses dif­fi­cul­tés : résis­tance au chan­ge­ment des orga­ni­sa­tions exis­tantes, tech­no­lo­gies encore en déve­lop­pe­ment, coûts de mise en œuvre et coûts d’ex­ploi­ta­tion, évo­lu­tions du com­por­te­ment client.

Faut-il pour autant remettre en cause cette approche ? Non. Des entre­prises ont déjà démon­tré son intérêt.

Des sec­teurs comme la vente par cor­res­pon­dance (La Redoute, Camif) ou des socié­tés comme Ame­ri­can Express ou Cor­tal en ont posé les bases il y a plu­sieurs décennies :

  • consti­tu­tion, enri­chis­se­ment et seg­men­ta­tion de fichiers clients,
  • actions de vente ciblées, géné­ra­le­ment sous forme de mai­lings pos­taux, pour réa­li­ser le poten­tiel de consom­ma­tion de chaque client dans la marque,
  • ajus­te­ment du dis­po­si­tif en fonc­tion de la » réac­ti­vi­té » du client aux sollicitations.

Ces socié­tés ont construit tout leur déve­lop­pe­ment sur cette approche et sont deve­nues expertes dans la mise en place de pro­ces­sus et de sys­tèmes clients effi­caces (call cen­ters et bases de don­nées clients notamment).

Du côté Inter­net, une mul­ti­tude de pro­jets a éga­le­ment été lan­cée pour mieux conqué­rir et fidé­li­ser les clients. Là aus­si, les résul­tats ne sont pas au rendez-vous.

Le paradoxe de la non-convergence du CRM et d’Internet

Les ini­tia­tives Inter­net et CRM sont encore peu coor­don­nées dans beau­coup d’en­tre­prises alors qu’elles pour­suivent in fine les mêmes objec­tifs : accroître l’ef­fi­ca­ci­té com­mer­ciale par une per­son­na­li­sa­tion client accrue. Elles sont sou­vent régies par des prio­ri­tés et des dyna­miques propres :

  • les ini­tia­tives CRM ont visé prio­ri­tai­re­ment l’aug­men­ta­tion de » l’ac­tif client « , c’est-à-dire le déve­lop­pe­ment du fac­teur (nombre de clients) x (valeur moyenne du client),
  • les ini­tia­tives Inter­net ont visé prio­ri­tai­re­ment l’aug­men­ta­tion de » l’au­dience » ; le suc­cès d’un site a long­temps été et est encore jugé par le nombre de visi­teurs et de pages vues : le modèle domi­nant de l’In­ter­net est le modèle média axé sur les reve­nus publicitaires.


Les sites de e‑commerce (c’est-à-dire les sites de vente de pro­duits et ser­vices sur Inter­net) sont d’ailleurs au croi­se­ment de ces deux » phi­lo­so­phies » ; ini­tia­le­ment orien­tés sur la valo­ri­sa­tion de l’ac­tif client, ils ont cher­ché ensuite à aug­men­ter leur audience pour atti­rer plus de pros­pects et vendre plus de pro­duits, en offrant un conte­nu très attrayant et per­son­na­li­sé à chaque internaute.

Les four­nis­seurs d’ac­cès Inter­net (FAI) illus­trent, quant à eux, l’é­vo­lu­tion d’un modèle de pure audience vers un modèle hybride alliant audience et déve­lop­pe­ment du ser­vice client.

Le second élé­ment de dif­fé­ren­cia­tion appa­rent entre pro­jets Inter­net et CRM réside dans les carac­té­ris­tiques très dif­fé­rentes de leur mise en œuvre :

  • les pro­jets CRM sont sou­vent por­teurs de la trans­for­ma­tion des orga­ni­sa­tions » autour » du client, alors que les pro­jets Inter­net sont le plus sou­vent gérés en marge des orga­ni­sa­tions et exter­na­li­sés sous forme d’é­quipes auto­nomes, de ven­tures, ou de marques spécifiques ;
  • élé­ment très impor­tant des pro­jets CRM, l’in­té­gra­tion avec les sys­tèmes d’in­for­ma­tion exis­tants de l’en­tre­prise est rare­ment pré­sente dans les pro­jets Internet ;
  • la durée d’un pro­jet CRM varie entre six mois et plu­sieurs années alors que celle d’un pro­jet Inter­net est sou­vent de quelques mois ;
  • contrai­re­ment aux pro­jets Inter­net, les pro­jets CRM s’at­tachent aux pro­ces­sus (au conte­nant), bien plus qu’aux mes­sages (au conte­nu) adres­sés aux clients.

Coût moyen d’un contact client en fonction du canal utilisé

La nécessité de faire converger CRM et Internet

Inter­net est aujourd’­hui une brique essen­tielle dans une démarche CRM. Inter­net rend pos­sible l’ob­jec­tif ultime du CRM, à savoir une per­son­na­li­sa­tion très forte de la rela­tion avec chaque client, à un coût accep­table pour l’en­tre­prise puisque, le coût d’un contact client réa­li­sé via Inter­net, peut être jus­qu’à 25 fois infé­rieur à celui d’un contact télé­pho­nique traditionnel.

Citons à titre d’exemples :

  • la pos­si­bi­li­té de cibler et de trai­ter à dis­tance et de façon beau­coup plus éco­no­mique des seg­ments clients géo­gra­phi­que­ment dis­per­sés tels que les PME, les pro­fes­sions libé­rales ou les expatriés,
  • l’ap­port sur la baisse du coût de dis­tri­bu­tion et de ges­tion com­mer­ciale, qui peut atteindre 50 % dans cer­tains sec­teurs comme celui de l’assurance,
  • la pos­si­bi­li­té de per­son­na­li­ser la rela­tion et de cibler les contacts à moindre coût.

Le CRM est aus­si une brique essen­tielle d’In­ter­net. On constate en effet qu’un modèle exclu­si­ve­ment fon­dé sur le canal Inter­net pré­sente vite des limites.

Comme le montre le tableau de la page sui­vante, les clients répugnent à effec­tuer des achats de produits/services en uti­li­sant exclu­si­ve­ment le canal Inter­net et pri­vi­lé­gient les marques met­tant à leur dis­po­si­tion des canaux phy­siques et télé­pho­niques en complément.

Trois fac­teurs prin­ci­paux expliquent les limites du canal Inter­net pour cer­tains achats :

  • une offre pro­duit com­plexe ou dif­fi­ci­le­ment » lisible » : par exemple, des pro­duits finan­ciers com­plexes qui sont dif­fi­ci­le­ment com­pré­hen­sibles donc ont peu de chance d’être ache­tés sur Internet ;
  • le niveau d’im­pli­ca­tion et d’en­ga­ge­ment asso­cié à l’acte d’a­chat : pour les achats » impli­quant » (auto­mo­bile, épargne long terme, cré­dit immo­bi­lier), les consom­ma­teurs veulent se ras­su­rer par un contact face à face avec un inter­lo­cu­teur identifié ;
  • les pro­duits pour les­quels le » touch and feel » et le ser­vice après-vente sont impor­tants et néces­sitent le main­tien d’une dis­tri­bu­tion phy­sique (pro­duits de beau­té ou automobile).


Par ailleurs, comme le montre une étude récente menée par A.T. Kear­ney les inter­nautes ne sou­haitent pas effec­tuer l’en­semble de leurs tran­sac­tions par Internet :

  • avant l’acte d’a­chat, dans la phase de recherche d’in­for­ma­tion, l’in­ter­naute sou­haite pou­voir trou­ver toute l’in­for­ma­tion sur le site, sans devoir faire appel à une assis­tance téléphonique
    en revanche, il sou­haite pou­voir être assis­té télé­pho­ni­que­ment dans la phase d’a­chat pour être confor­té dans son choix, évi­ter d’a­voir à rem­plir des for­mu­laires sur le site ou trans­mettre son numé­ro de carte par télé­phone plu­tôt que sur Inter­net. Ain­si aux USA, 67 % des tran­sac­tions Inter­net n’ar­rivent pas à terme du fait de l’ab­sence d’as­sis­tance en ligne ;
  • une fois le pro­duit ache­té, l’in­ter­naute bas­cule dans le sta­tut de client et à ce titre exige de pou­voir entrer en contact télé­pho­nique, voire phy­sique, avec un inter­lo­cu­teur en cas de besoin (demande d’in­for­ma­tions, réclamations).


Il appa­raît donc néces­saire pour tous les acteurs, qu’il s’a­gisse d’en­tre­prises de l’é­co­no­mie tra­di­tion­nelle ou des » pure players » Inter­net, d’in­té­grer l’In­ter­net dans un dis­po­si­tif mul­ti­ca­nal et d’as­su­rer la cohé­rence des actions et des mes­sages dif­fu­sés entre les dif­fé­rents canaux CRM. Les ini­tia­tives Inter­net et CRM doivent conver­ger pour assis­ter le client au mieux dans son acte d’a­chat et réa­li­ser la vente.

Convergence d’Internet et CRM : les différents niveaux d’intégration possibles

En pre­mière approche, on peut dis­tin­guer quatre niveaux d’in­té­gra­tion entre Inter­net et CRM.

Pourcentage de réponses privilégiant les enseignes ayant une présence physiqueLe pre­mier niveau consiste à inté­grer les sites Web et les centres d’ap­pels par le déve­lop­pe­ment de fonc­tion­na­li­tés de type Web contact cen­ter. Cette pre­mière étape per­met » d’hu­ma­ni­ser » l’In­ter­net, d’ai­der l’in­ter­naute à la navi­ga­tion et à la tran­sac­tion, mais aus­si d’i­den­ti­fier per­son­nel­le­ment l’in­ter­naute. Les tech­no­lo­gies uti­li­sées sont les ges­tion­naires d’e‑mail et de chats, les solu­tions de type click to talk ou encore le co-brow­sing et le page pushing.

Le niveau sui­vant, en termes de sophis­ti­ca­tion, est le déve­lop­pe­ment d’ou­tils de ges­tion mul­ti­ca­naux : cette étape per­met d’as­su­rer la cohé­rence des actions et de faire jouer la com­plé­men­ta­ri­té entre canaux pour arri­ver à une ges­tion trans­verse des cam­pagnes mar­ke­ting et des oppor­tu­ni­tés com­mer­ciales entre les canaux. Les solu­tions à mettre en œuvre sont les solu­tions de type cam­pai­gn mana­ge­ment et lead management.

Le troi­sième niveau d’in­té­gra­tion consiste à inté­grer Inter­net avec les sys­tèmes back-office de l’en­tre­prise, cou­plés à des solu­tions de self-care ou de self-ser­vice, et per­met au client de suivre et de gérer lui-même ses pro­duits et ser­vices, par exemple pour suivre sa com­mande ou gérer son compte client. Les apports sont une baisse des coûts pour l’en­tre­prise en même temps qu’une per­son­na­li­sa­tion du ser­vice pour le client.

Enfin, le qua­trième niveau d’in­té­gra­tion ou e‑CRM, étape ultime de la conver­gence entre CRM et Inter­net, consiste à inté­grer l’In­ter­net et la base client cen­trale (le fameux data­wa­re­house client). Cette étape per­met de per­son­na­li­ser les contacts Inter­net en fonc­tion du pro­fil et du cycle de vie du client et, par exemple, d’u­ti­li­ser des tech­niques mar­ke­ting de pro­mo­tion des pro­duits et des ser­vices en fonc­tion du pro­fil du client.

Bien que très variable sui­vant les indus­tries, cette inté­gra­tion entre Inter­net et CRM a déjà commencé :

  • les sites de voyage nord-amé­ri­cain ont vu leurs ventes croître très rapi­de­ment avec la mise en place de Web contacts cen­ters ;
  • les construc­teurs auto­mo­biles emboîtent le pas et exploitent de façon de plus en plus sys­té­ma­tique les contacts Inter­net pour les qua­li­fier et les orien­ter vers leurs concessionnaires ;
  • sur tous les conti­nents les FAI (Wana­doo, AOL, Liber­ty­Surf, Earth­link, DoCo­Mo…) mettent l’ac­cent sur le ser­vice client et mettent en avant leurs numé­ros d’ap­pel : la com­mu­ni­ca­tion des prin­ci­paux FAI fran­çais porte d’ailleurs presque qua­si exclu­si­ve­ment sur ce thème.

Internet et CRM intégrés pour des résultats tangibles

Les pro­jets Inter­net et CRM ont long­temps eu en com­mun la légè­re­té de leurs busi­ness plans. Les déci­sions d’in­ves­tis­se­ment ont sou­vent plus tenu de la pro­fes­sion de foi sur la fidé­li­sa­tion ou sur la » nou­velle éco­no­mie » que d’une ana­lyse appro­fon­die du retour sur inves­tis­se­ment de ces projets.

La conver­gence Inter­net et CRM ne répond pas com­plè­te­ment à la ques­tion du retour sur inves­tis­se­ment. En revanche, les pre­miers retours d’ex­pé­rience montrent que leur uti­li­sa­tion conjointe per­met d’a­mé­lio­rer signi­fi­ca­ti­ve­ment la satis­fac­tion client et de réduire les coûts.

La ques­tion n’est donc pas de savoir laquelle des deux approches doit être pri­vi­lé­giée mais com­ment les com­bi­ner pour obte­nir une effi­ca­ci­té maxi­mum et donc maxi­mi­ser le retour sur l’in­ves­tis­se­ment réalisé.

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