Ouagadougou

Concentrations urbaines au Sud

Dossier : Les mégapolesMagazine N°606 Juin/Juillet 2005
Par Alain HENRY (73)

La ville, un accélérateur économique et social

La ville, un accélérateur économique et social

La ville est un puis­sant attrac­teur de valeur éco­no­mique et sociale. C’est, dès l’o­ri­gine, le lieu du pou­voir et du mar­ché ; c’est vers les villes que, de tout temps, les ruraux sont par­tis essen­tiel­le­ment pour chan­ger de mode de vie. La ville est d’a­bord une don­née posi­tive (même s’il faut veiller à cor­ri­ger ses impacts néga­tifs). La ville repré­sente, estime-t-on, une mul­ti­pli­ca­tion par cinq de la valeur ajou­tée par habi­tant, sous cer­taines condi­tions. Elle est un accé­lé­ra­teur des échanges éco­no­miques, moné­taires et cultu­rels. Marx notait ain­si que » l’ap­pa­ri­tion de la ville est un grand progrès « .

Dans les pays en déve­lop­pe­ment les indi­ca­teurs sociaux en zone urbaine res­tent supé­rieurs à ceux de la cam­pagne. Les villes conti­nuent d’at­ti­rer et leur crois­sance s’ac­cé­lère. Leurs cou­ronnes démo­gra­phiques se den­si­fient autour de ce qui fut sou­vent l’an­cienne ville colo­niale ; mais ces cou­ronnes consti­tuent des poches d’ac­cu­mu­la­tion d’une pau­vre­té de masse, allant de pair avec une sur­con­som­ma­tion des res­sources en terres et en eau, et un accrois­se­ment des pol­lu­tions. Elles posent des pro­blèmes lourds de ges­tion pour les­quels sou­vent il n’ap­pa­raît pas de solu­tions simples.

Le cas de Oua­ga­dou­gou, capi­tale du Bur­ki­na Faso – bien que n’é­tant pas une méga­pole au sens strict – est repré­sen­ta­tif de la méta­mor­phose que connaissent les grandes villes du Sud. Une vue aérienne révèle net­te­ment les deux villes, la » for­melle » et » l’in­for­melle » (cf. photo).


Oua­ga­dou­gou : la ville “ for­melle ” en bas à droite, la ville “ infor­melle ” ailleurs. © HYDROCONSEIL

On recon­naît ain­si d’une part la ville ini­tiale, sorte d’a­va­tar de la ville bour­geoise du xixe siècle, avec sa struc­ture de via­bi­li­sa­tion, per­met­tant le pas­sage des réseaux d’as­sai­nis­se­ment. D’un autre côté, on découvre la ville » infor­melle » : il s’a­git de l’ac­cu­mu­la­tion urbaine péri­phé­rique de la cou­ronne nord-ouest de la ville. Quand on parle des grandes villes du monde en déve­lop­pe­ment, c’est en géné­ral à cette nou­velle cou­ronne d’ac­cu­mu­la­tion » infor­melle » que l’on se réfère.

La ville pro­gresse ain­si beau­coup plus vite que les amé­na­ge­ments. L’é­cart se creuse d’au­tant plus que l’on manque de poli­tiques publiques. Lorsque ces der­nières existent, elles res­tent insuf­fi­santes. Leur amé­lio­ra­tion deman­de­ra encore un tra­vail abon­dant de recherches. La ville – sa cou­ronne » infor­melle » – est tou­jours en avance sur les équi­pe­ments urbains, avec les consé­quences néga­tives que cette situa­tion entraîne : asphyxie de la cir­cu­la­tion, para­ly­sie des quar­tiers, ren­for­ce­ment des phé­no­mènes de pau­vre­té, ten­sions et déstruc­tu­ra­tions sociales. Le pro­blème est sou­vent aggra­vé par le fait que l’on concentre les efforts sur la par­tie cen­trale » formelle « .

D’i­ci 2025, les experts estiment que le monde comp­te­ra un mil­liard d’ur­bains en plus, soit un mil­lion de plus chaque semaine. Il fau­dra des efforts consi­dé­rables de gou­ver­nance pour pro­po­ser à ce sup­plé­ment d’ur­bains un milieu de vie éco­no­mi­que­ment et socia­le­ment viable. Cela sup­po­se­rait notam­ment que l’on tra­vaille – selon la for­mu­la­tion de Jean-Marie Cour – sur la » ges­tion des flux de peu­ple­ment » (cf. encadré).

Enjeux de la lutte contre la pauvreté

Le pre­mier enjeu de lutte contre la pau­vre­té passe en effet par de la pro­duc­tion de fon­cier. À titre d’i­mage, et bien que Toc­que­ville parle dans le contexte très dif­fé­rent du xixe siècle, on peut rap­pe­ler cette obser­va­tion qu’il fit lors d’un voyage en Algé­rie, dénon­çant le fait que les pauvres » mou­raient au milieu des car­re­fours « , faute de se voir attri­buer des droits fon­ciers. D’une cer­taine manière, un même pro­blème de sécu­ri­sa­tion des sta­tuts d’oc­cu­pa­tion des popu­la­tions hypo­thèque l’ins­tal­la­tion des popu­la­tions des pays en développement.

Il existe aus­si un for­mi­dable retard en matière de four­ni­ture des ser­vices de base. En matière de trans­ports (l’un des trois pre­miers postes de dépense des ménages avec l’a­li­men­ta­tion et le loge­ment), 40 % des dépla­ce­ments urbains en Afrique sub­sa­ha­rienne se font à pied. Ceux qui ont visi­té ces régions ont pu voir ces armées de pié­tons en mou­ve­ment tous les matins et tous les soirs aux abords des grandes villes africaines.

En matière d’eau potable – l’un des grands axes d’in­ter­ven­tion de l’AFD, domaine dans lequel les com­pé­tences fran­çaises sont fortes -, l’ob­jec­tif de réduc­tion de la pau­vre­té du mil­lé­naire sup­po­se­rait d’ap­pro­vi­sion­ner de manière durable 400 000 per­sonnes sup­plé­men­taires chaque jour ; l’aide fran­çaise réus­sit plus ou moins chaque année à cou­vrir trois jours (moins de 1 %) de ces besoins sup­plé­men­taires. C’est dire l’am­pleur du pro­blème. On peut faire aujourd’­hui le même constat que dans le Paris du xviiie siècle où les pauvres payaient l’eau beau­coup plus cher que les riches. Par­tout aujourd’­hui, les pauvres payent sys­té­ma­ti­que­ment plus cher l’ac­cès aux ser­vices de base : eau et éner­gie, pour ne pas par­ler de l’as­sai­nis­se­ment et de la san­té, domaines dans les­quels les retards sont plus impor­tants encore. Les enjeux sont donc considérables.

Consi­dé­rés en termes d’in­ves­tis­se­ments, on est encore loin de pou­voir satis­faire les besoins de base. En Afrique sub­sa­ha­rienne, le mon­tant des équi­pe­ments urbains exis­tant repré­sente de l’ordre de 150 &euro ; par habi­tant ; il fau­drait pour tout nou­vel urbain 6 &euro ; par an en inves­tis­se­ment et de l’ordre de 4,5 &euro ; pour les dépenses de main­te­nance, soit au total 10 &euro ; envi­ron par an. Les bud­gets locaux des muni­ci­pa­li­tés cor­res­pondent à un mon­tant de l’ordre de 1,5 &euro ; par habi­tant. On est loin du compte.

Face à la lour­deur de la tâche, on doit cepen­dant sou­li­gner que l’é­qui­pe­ment en infra­struc­tures de base pré­sente une excel­lente jus­ti­fi­ca­tion éco­no­mique. Les spé­cia­listes des ques­tions de réduc­tion de la pau­vre­té consi­dèrent en effet que le trans­fert de reve­nus des riches sous forme de for­ma­tion de capi­tal fixe, notam­ment d’in­fra­struc­tures de base, consti­tue une des manières vrai­ment effi­caces d’ai­der à la crois­sance éco­no­mique tout en lut­tant contre les inégalités.

Démarches et propositions

Face à ces enjeux, j’é­vo­que­rai ici quelques-unes des démarches de l’aide fran­çaise. Notons d’a­bord qu’elle ne pour­ra avoir d’im­pact qu’en tra­vaillant aux côtés des bailleurs mul­ti­la­té­raux, aux­quels cepen­dant elle peut appor­ter l’in­fluence française.

La pre­mière pro­po­si­tion concerne la néces­saire mais dif­fi­cile sécu­ri­sa­tion du fon­cier. Elle sup­pose une bonne régu­la­tion, qui soit à la fois légi­time, socia­le­ment accep­table et res­pec­tée, et véri­ta­ble­ment inté­grée dans le corps social. Sans aller jus­qu’aux pays en déve­lop­pe­ment, on pour­rait citer l’i­mage para­doxale de Kou­rou en Guyane : elle ne réside pas dans le fait que les Indiens vivent au pied des fusées, mais dans la crois­sance des bidon­villes au pied de ces fusées ; faute de règles claires, l’ad­mi­nis­tra­tion fran­çaise elle-même a des dif­fi­cul­tés à dis­tri­buer le fon­cier dans ce dépar­te­ment, mal­gré l’a­bon­dance de ter­rains. Dans le même temps, on y mène des poli­tiques de réha­bi­li­ta­tion des loge­ments insa­lubres et de pro­duc­tion de loge­ments, qui consti­tuent une expé­rience inté­res­sante. L’AFD contri­bue à ce type d’ac­tion dans les pays pauvres avec un rela­tif suc­cès, au Maroc par exemple. Ce sont des actions de longue haleine.

Mieux gérer le peuplement de la planète

… C’est en effet de notre temps que l’es­sen­tiel du peu­ple­ment de la pla­nète se met en place, à un rythme sans équi­valent dans l’his­toire. Gérer ce pro­ces­sus de peu­ple­ment mieux qu’on ne l’a fait dans le pas­sé est une condi­tion sine qua non du déve­lop­pe­ment durable.

C’est parce que les règles du jeu de l’é­co­no­mie monde ont été conçues par des pays où les pro­blèmes engen­drés par le peu­ple­ment ne se posent plus qu’elles ne sont pas adap­tées à la situa­tion de la plu­part des pays en déve­lop­pe­ment. Si la ges­tion du peu­ple­ment de la pla­nète est bien le plus grand défi auquel notre géné­ra­tion est confron­tée, il faut se don­ner les moyens d’y faire face, et la pre­mière condi­tion est de chan­ger de para­digme… (selon) une grille de lec­ture redon­nant au fac­teur peu­ple­ment le rôle central.

Si… les inves­tis­se­ments publics néces­si­tés par le peu­ple­ment font par­tie des biens publics glo­baux, de res­pon­sa­bi­li­té pla­né­taire, une nou­velle approche de l’aide s’im­pose, avec pour prin­ci­pal objec­tif de contri­buer à la mise en place de ces inves­tis­se­ments au rythme impo­sé par le peu­ple­ment. Il est notam­ment pro­po­sé d’ins­tau­rer, en com­plé­ment de l’Aide publique au déve­lop­pe­ment tra­di­tion­nelle, un méca­nisme de trans­ferts auto­ma­tiques et pérennes dimen­sion­né en fonc­tion des besoins et basé sur la créa­tion régu­lière de mon­naie cen­trale par le Fonds moné­taire international…

Jean-Marie Cour (56)

Extrait du résu­mé de l’ar­ticle » Com­ment redon­ner du sens à l’Aide publique au déve­lop­pe­ment ? En lui fixant un objec­tif simple : mieux gérer le peu­ple­ment de la pla­nète » – Cahier du Conseil géné­ral des Ponts et Chaus­sées n° 8, sep­tembre 2003.

Un deuxième domaine, qui prend une impor­tance crois­sante, est celui des infra­struc­tures struc­tu­rantes telles que les grands drai­nages et les canaux d’assai­nis­se­ment. C’est pro­ba­ble­ment celui qui est le mieux pris en charge par les États et par les col­lec­ti­vi­tés locales des pays en déve­lop­pe­ment. Ce sont des tra­vaux que l’on pour­rait qua­li­fier en un cer­tain sens » d’hauss­man­niens « , mais pour des villes et avec une approche qui sont évi­dem­ment dif­fé­rentes. Il y a aujourd’­hui une conscience sociale plus aiguë qu’au temps d’Hauss­mann. L’AFD, quant à elle, porte une grande atten­tion à gérer la relo­ca­li­sa­tion des popu­la­tions, selon des règles strictes, en coopé­ra­tion avec les ONG et les autres bailleurs. On ne pour­ra donc pas faire avan­cer aus­si vite qu’­Hauss­mann, tan­dis que l’on fait face à un vaste besoin.

La troi­sième démarche concerne la néces­saire adap­ta­tion des tech­niques, domaine où l’on est aus­si en retard, et pour lequel la réflexion est insuf­fi­sante. Comme le note Pierre Calame dans ce numé­ro de la revue, si l’on veut un déve­lop­pe­ment » durable « , il faut inven­ter une ville dont les coûts d’in­ves­tis­se­ment par habi­tant, le niveau de pré­da­tion en éner­gie, la consom­ma­tion des res­sources en géné­ral ne soient pas les mêmes que par le pas­sé. L’AFD sou­tient des tra­vaux de recherche dans ce sens, notam­ment pour aider les col­lec­ti­vi­tés et les gou­ver­ne­ments locaux à mieux pen­ser leurs choix. Il faut les convaincre de lever la chape des normes tech­no­lo­giques, sans leur don­ner le sen­ti­ment que l’on veut leur faire adop­ter des normes dégra­dées, ce qui les inquiète et bloque sou­vent les adap­ta­tions nécessaires.

Une autre démarche spé­ci­fique est celle de l’in­ter­mé­dia­tion sociale. Pour gérer la ville, il faut impli­quer les popu­la­tions, leur per­mettre de for­mu­ler leur demande, diverse et par­ti­cu­lière, afin de la struc­tu­rer et de voir com­ment on y répond à des coûts accep­tables. Le mal­heur des États, des bailleurs de fonds et des admi­nis­tra­tions en géné­ral, c’est de consi­dé­rer sou­vent que la ques­tion se résout selon l’é­qua­tion » un besoin, une solu­tion, une orga­ni­sa­tion « . Il n’y a pas un besoin, mais des besoins de ser­vices diver­si­fiés. N’im­porte quel exploi­tant de ser­vice d’eau sait que l’i­dée selon laquelle 20 % des clients repré­sentent 80 % des cas à résoudre est mal­heu­reu­se­ment illu­soire ; chaque client est un cas par­ti­cu­lier qui a des besoins propres et qui cherche à déro­ger aux règles générales.

Exemples d’état des ser­vices des eaux dans les pays en développement
Indi­ca­teurs Per­for­mances
Taux de desserte
par branchements
indi­vi­duels et collectifs
Kampala 13% Ouagadougou 38%
Kigali 19% Oulan-Bator 43%
Nouakchott 25% Delhi 53%
Luanda 29% Djakarta 55%
Conakry 31% Hô Chi Minh-Ville 57%
Dar es-Salaam 36% Karachi 58%
Ren­de­ment du réseau
(eau consommée/eau produite)
Dar es-Salaam 47% Bangui 54%
Nairobi 50% Sâo Paulo 60%
Karachi 50% Kinshasa 60%
Dacca 52%
Fonc­tion­ne­ment intermittent
(exemples)
Alger – Amman – Braz­za­ville – Kaboul – Nai­ro­bi –N’D­ja­me­na – Port-au-Prince – Trinité-et-Tobago
Taux de facturation
(eau facturée/eau consommée
Kinshasa 13% Kampala 55%
Port-au-Prince 25% Karachi 56%
Bangui 30% Conakry 60%
Vientiane 37% Offices libanais 60%
Yaoudé-Douala 54%
Source : L. Gué­rin, thèse pro­fes­sion­nelle, mas­ter d’administration publique, École natio­nale des ponts et chaus­sées, Paris, 2003.


L’in­ter­mé­dia­tion sociale est néces­saire aus­si pour recou­vrer les coûts. Par­mi les outils de la régu­la­tion, il en est un en effet qui est aus­si fon­da­men­tal que les autres, le prix. Le fait que les gens payent pour l’eau – même très peu – a de nom­breuses ver­tus : au-delà d’une contri­bu­tion au recou­vre­ment des coûts, il aide cha­cun à prendre conscience que l’eau payante ne doit pas être gas­pillée. L’ar­gu­ment est même uti­li­sé par les fon­tai­niers pour dis­ci­pli­ner les queues aux bornes-fon­taines. Quel que soit l’é­tat de pau­vre­té, une par­ti­ci­pa­tion finan­cière mini­male des per­sonnes concer­nées est nécessaire.

Plus géné­ra­le­ment l’aide aux pays en déve­lop­pe­ment en matière d’ur­ba­ni­sa­tion implique le ren­for­ce­ment des pro­gram­ma­tions, utiles à l’an­ti­ci­pa­tion des besoins en fon­cier. Il faut des démarches plu­ri­an­nuelles et une for­ma­li­sa­tion accrue des méthodes et des pro­cé­dures. Pour accé­lé­rer le décais­se­ment de l’aide, l’i­déal serait d’a­voir une » approche pro­gramme « , qui sup­pose, entre autres, de dis­po­ser de modèles d’o­pé­ra­tions » repro­duc­tibles « , au moins à l’é­chelle de leur contexte social et culturel.

Un tel modèle, modeste mais rela­ti­ve­ment repro­duc­tible, a été appli­qué dans la durée – sur les qua­rante der­nières années – à l’é­li­mi­na­tion des bidon­villes en Tuni­sie (certes il ne s’a­git pas encore de méga­lo­poles). La démarche a consis­té à orga­ni­ser les villes en sui­vant de près l’ins­tal­la­tion fon­cière spon­ta­née. L’ad­mi­nis­tra­tion veille à ce que les pro­prié­taires fon­ciers vendent leurs lots de façon essen­tiel­le­ment struc­tu­rée. Puis, quand la den­si­té d’ha­bi­tat est suf­fi­sante, le maire léga­lise la situa­tion. Ensuite la socié­té d’eau et d’élec­tri­ci­té pro­pose des bran­che­ments sociaux à très bas prix. On est encore à ce moment dans un quar­tier insa­lubre, sans cir­cu­la­tion, avec de la boue, des déchets qui s’en­tassent… Mais une fois ache­vée cette pre­mière étape de régu­la­ri­sa­tion fon­cière et de rac­cor­de­ment à l’eau et l’élec­tri­ci­té, les mai­ries pro­gramment l’as­sai­nis­se­ment et la voi­rie. Dès lors, les déchets s’é­va­cuent, les quar­tiers se décon­ges­tionnent, la cir­cu­la­tion peut se faire ; on en voit l’ef­fet immé­diat : l’ha­bi­tat s’a­mé­liore, les bou­tiques s’ouvrent au rez-de-chaus­sée et les étages appa­raissent aux mai­sons. Ce qui au départ était insa­lubre – en voie de » bidon­vil­li­sa­tion » – finit par deve­nir un quar­tier rési­den­tiel popu­laire. Il y là une démons­tra­tion de trans­for­ma­tion urbaine, pos­sible avec une pro­gram­ma­tion, certes assez lourde, mais qui fait ses preuves.

Enjeux de gouvernance

L’en­vi­ron­ne­ment éco­no­mique et régle­men­taire dans les pays en déve­lop­pe­ment doit certes être amé­lio­ré. Mais l’exis­tence d’une démo­cra­tie locale est fondamentale.

La décen­tra­li­sa­tion est à l’ordre du jour dans tous les débats inter­na­tio­naux ; ses pro­grès sont cepen­dant encore lents. Elle est néces­saire pour mieux col­ler à la demande qui est mul­tiple et locale. Elle seule per­met aux inté­res­sés d’exer­cer un contrôle. Ce qu’é­cri­vait Toc­que­ville à l’é­poque colo­niale, vers 1870, reste criant de véri­té : » On ne sau­rait se figu­rer la perte de temps et d’argent, les souf­frances sociales, les misères indi­vi­duelles qu’a pro­duite en Afrique l’ab­sence de pou­voir muni­ci­pal. » On en est tou­jours au même point. Il ajou­tait : » Les besoins des villes sont si nom­breux, si variés, si chan­geants, si par­ti­cu­liers, que le pou­voir local seul peut les connaître à temps, en com­prendre l’é­ten­due et les satis­faire. Un pays où les traces même de la com­mune n’existent pas, cela est entiè­re­ment nou­veau dans le monde. » Il concluait pro­phé­tique : » L’œuvre est pres­sante et on peut pré­voir qu’elle sera difficile. »

Port-au-Prince.
Port-au-Prince. © GUILLAUME JOSSE

L’a­mé­lio­ra­tion de la gou­ver­nance ne passe pas seule­ment par l’é­mer­gence de la ges­tion muni­ci­pale. Elle néces­site aus­si une ges­tion effi­cace des réseaux, laquelle a un pou­voir struc­tu­rant, non pas seule­ment du point de vue de l’es­pace, mais de la mise en place d’une inter­mé­dia­tion entre les citoyens, de la ges­tion des soli­da­ri­tés col­lec­tives. Une des condi­tions corol­laires de la bonne gou­ver­nance est qu’elle soit accom­pa­gnée de la mise en œuvre de poli­tiques sec­to­rielles, d’une éva­lua­tion de ces poli­tiques, et d’une mesure des impacts éco­no­miques. Ce sont là des dis­po­si­tions que l’AFD met en place pour elle-même, car elle n’a encore que peu de mesures d’im­pact des poli­tiques qu’elle applique. Nous ten­tons de rat­tra­per nos retards dans ce domaine.

Une ges­tion qui se veut effi­cace doit aus­si prendre des formes adap­tées à la culture poli­tique de la socié­té concer­née. La manière de régu­ler une socié­té n’est pas la même ici et ailleurs. Par exemple, en France, le cur­sus sco­laire d’un enfant est une affaire essen­tiel­le­ment indi­vi­duelle, celle des familles et des élèves qui sont lan­cés dans une com­pé­ti­tion indi­vi­duelle. Les Fran­çais n’ac­cep­te­raient guère un sys­tème de type hol­lan­dais où ce sont la col­lec­ti­vi­té et les pro­fes­seurs – et non les parents – qui fabriquent le cur­sus sco­laire d’un enfant. Mais aux Pays-Bas l’a­ve­nir que la col­lec­ti­vi­té pré­pare n’est pas celui du futur sta­tut de l’in­di­vi­du au sein d’une socié­té hié­rar­chi­sée selon les talents, c’est celui d’un membre capable de jouer son rôle au sein de la com­mu­nau­té. Si déjà les dif­fé­rences sont telles entre deux cultures euro­péennes voi­sines, on ima­gine la dif­fi­cul­té que l’on aura à conce­voir une régu­la­tion pour les dif­fé­rents pays du Sud.

Pour en don­ner un exemple, il suf­fi­rait de racon­ter les ten­sions que connaît aujourd’­hui le par­te­na­riat public-pri­vé pour la dis­tri­bu­tion d’eau urbaine et d’élec­tri­ci­té à Bama­ko. Depuis bien­tôt trois ans, nous ne par­ve­nons pas à faire bais­ser le rap­port de forces entre les par­te­naires. L’exis­tence d’une com­mis­sion de régu­la­tion – en copié col­lé du modèle bri­tan­nique – n’y change rien ; les rap­ports sont si dif­fi­ciles qu’en juin der­nier la presse locale a vu le décès du Secré­taire géné­ral de la Com­mis­sion de régu­la­tion comme un cas pos­sible de mort par empoi­son­ne­ment. L’in­ven­tion de la gou­ver­nance est à chaque fois une épreuve dif­fi­cile, déli­cate, celle de la moder­ni­sa­tion d’une société.

Il y a d’autres aspects plus clas­siques, comme la néces­si­té de réfor­mer la fis­ca­li­té locale pour que les muni­ci­pa­li­tés aient une exis­tence finan­cière propre. L’AFD tra­vaille à la créa­tion d’ou­tils de finan­ce­ment des col­lec­ti­vi­tés locales et cherche aujourd’­hui à mettre en place des mul­ti­par­te­na­riats : impli­quant non seule­ment le public et le pri­vé, mais en fait l’É­tat, les col­lec­ti­vi­tés locales, le sec­teur pri­vé inter­na­tio­nal, le pri­vé local, les ONG, les associations…

Un der­nier point enfin doit viser la capa­ci­té de ges­tion des ser­vices. La maî­trise d’ou­vrage des col­lec­ti­vi­tés locales doit être consi­dé­ra­ble­ment ren­for­cée. Par­fois, dans les muni­ci­pa­li­tés de grandes villes des pays en déve­lop­pe­ment, le seul cadre est un simple ins­ti­tu­teur à la retraite, entou­ré d’employés nom­breux, mais sans aucune qua­li­fi­ca­tion. Il faut les aider à pro­gres­ser, leur pro­po­ser une » maî­trise d’ou­vrage par­ta­gée « . Sans attendre que les auto­ri­tés locales aient une capa­ci­té de ges­tion, il fau­drait pou­voir les asso­cier aux opé­ra­tions de délé­ga­tion de ges­tion et de par­te­na­riat public-pri­vé. Il fau­drait tra­vailler à la for­ma­li­sa­tion des méthodes de pla­ni­fi­ca­tion et de mana­ge­ment urbain.

On le voit, la tâche est consi­dé­rable. Le ren­for­ce­ment des capa­ci­tés de ges­tion et la for­ma­tion doivent res­ter prio­ri­taires dans l’a­gen­da de l’aide au développement. 

L’au­teur adresse ses remer­cie­ments à Jean-Paul Lan­ly pour son aide et pour sa pré­cieuse contri­bu­tion à la rédac­tion de cet article.

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