Modélisation d'une corde magnétique pendant une éruption solaire

Comprendre et prévoir les éruptions solaires

Dossier : ExpressionsMagazine N°702 Février 2015
Par Tahar AMARI

Les érup­tions solaires sont des évé­ne­ments qui ont lieu dans l’atmosphère du Soleil. Elles se carac­té­risent par des émis­sions de lumière et de par­ti­cules ain­si que, pour celles à très grande échelle, par l’éjection d’une bulle de plasma.

Com­prendre l’origine de ces phé­no­mènes est inté­res­sant à plu­sieurs niveaux. En pre­mier lieu, ces érup­tions repré­sentent un exemple proche de nous et bien obser­vé de phé­no­mènes phy­siques se pro­dui­sant dans tout l’Univers.

“ Le champ magnétique joue un rôle prépondérant ”

Mais c’est sur­tout en rai­son de leur impact sur l’environnement ter­restre que l’étude et la pré­vi­sion des érup­tions consti­tuent un enjeu important.

Elles génèrent en effet des per­tur­ba­tions mul­tiples qui touchent, entre autres, les géné­ra­teurs élec­triques au sol, les satel­lites et les sys­tèmes GPS et de communication.

Une structure en plusieurs couches

L’atmosphère solaire est struc­tu­rée en plu­sieurs couches dont la pho­to­sphère, qui équi­vaut à la sur­face du Soleil, et la cou­ronne, zone la plus externe où se pro­duisent les éruptions.

Il existe, au niveau de ces couches, un champ magné­tique qui joue un rôle pré­pon­dé­rant dans les érup­tions solaires. Jusqu’ici, les obser­va­tions n’avaient cepen­dant pas per­mis de com­prendre exac­te­ment le méca­nisme et les struc­tures impli­qués, notam­ment parce qu’il est dif­fi­cile de mesu­rer le champ magné­tique en tout point de la cou­ronne très chaude et peu dense.

Une formation en quelques jours

Une érup­tion sur­ve­nue dans la nuit du 12 au 13 décembre 2006 a per­mis une avan­cée impor­tante. La région du Soleil concer­née était obser­vée par le satel­lite japo­nais Hinode au moment de l’éruption et dans les jours la précédant.

Des don­nées sur le champ magné­tique de la pho­to­sphère, plus froide et plus dense que la cou­ronne, ont pu être recueillies par le satel­lite et ont per­mis aux cher­cheurs de cal­cu­ler l’évolution de l’environnement magné­tique dans la cou­ronne durant ce laps de temps.

À par­tir de cal­culs réa­li­sés à l’IDRIS (CNRS), les scien­ti­fiques ont mon­tré qu’une struc­ture carac­té­ris­tique, en forme de corde magné­tique, appa­raît pro­gres­si­ve­ment dans les jours pré­cé­dant l’éruption. Elle est com­plè­te­ment for­mée la veille du phénomène.

Ce résul­tat est tout à fait en accord avec les obser­va­tions faites au niveau de la pho­to­sphère et de la cou­ronne : la for­ma­tion de la corde magné­tique concorde avec l’évolution de taches solaires dans la région de l’éruption.

Leurs cal­culs mettent éga­le­ment en lumière que l’énergie de cette corde magné­tique aug­mente au fur et à mesure de son émer­gence depuis l’intérieur du Soleil.

Des points critiques

Grâce à une seconde série de simu­la­tions numé­riques, les cher­cheurs ont ensuite sui­vi l’évolution du champ magné­tique dans la cou­ronne une fois la corde présente.

“ Prévenir les conséquences sur Terre des tempêtes solaires ”

Leurs résul­tats montrent que cette struc­ture est bien à l’origine de l’éruption et est même néces­saire pour son appa­ri­tion : la tran­si­tion vers l’événement érup­tif n’est pas pos­sible avant sa formation.

Cette tran­si­tion a pu être carac­té­ri­sée par plu­sieurs cri­tères : un seuil éner­gé­tique et une alti­tude don­née au-delà de laquelle les arcades magné­tiques qui retiennent la corde s’affaiblissent. Si ces points cri­tiques sont dépas­sés, il y a érup­tion solaire.

Une météorologie de l’espace

Ces tra­vaux pro­posent une méthode qui pour­ra être utile pour la pré­vi­sion des érup­tions. En se fon­dant sur des don­nées magné­tiques accu­mu­lées en « temps réel » et une chaîne de modèles numé­riques adap­tés, il sera à terme pos­sible de pré­voir la météo­ro­lo­gie dans l’espace et de pré­ve­nir les consé­quences sur Terre des tem­pêtes solaires.

LA CORDE MAGNÉTIQUE

À l’aide de données recueillies par satellite et de modèles, les chercheurs du Centre de physique théorique (CNRS-École polytechnique) et du laboratoire Astrophysique, interprétation, modélisation (CNRS-CEA-université Paris-Diderot) ont pu suivre l’évolution du champ magnétique solaire dans une zone ayant un comportement éruptif.
Leurs calculs mettent en évidence la formation d’un enchevêtrement de lignes de force magnétiques torsadées, appelé « corde magnétique », qui émerge de l’intérieur du Soleil et est associée à l’apparition d’une tache solaire, jouant un rôle important dans le déclenchement de l’éruption.
En caractérisant la transition vers l’éruption, ces travaux ouvrent la voie vers la prévision des tempêtes solaires qui affectent la Terre. Ils font la une d’un récent numéro de la revue Nature.

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Modèle du champ magnétique dans la région où est survenue une éruption solaire majeure
Modèle du champ magné­tique dans la région où est sur­ve­nue une érup­tion majeure le 13 décembre 2006. Ce modèle est obte­nu à l’aide de don­nées du champ magné­tique mesu­ré à la sur­face du Soleil et d’un code de cal­cul adap­tif à haute réso­lu­tion. Il met en évi­dence la pré­sence d’une corde magné­tique (en gris) quelques heures avant l’éruption, main­te­nue à l’état d’équilibre par des arcades magné­tiques (en orange). © TAHAR AMARI, CENTRE DE PHYSIQUE THÉORIQUE, CNRS-ÉCOLE POLYTECHNIQUE

Propos recueillis par Alice Tschudy

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Ce texte est une adap­ta­tion de l’article ori­gi­nal publié par la revue Nature : Tahar Ama­ri, Auré­lien Canou et Jean-Jacques Aly, “Cha­rac­te­ri­zing and pre­dic­ting the magne­tic envi­ron­ment lea­ding to solar erup­tions”, Nature, 23 octobre 2014.

Sur le même sujet, on consul­te­ra avec inté­rêt la vidéo d’obsr­va­tion du soleil prise par la NASA à par­tir de son satel­lite SDO, et publié dans notre article :

Notre soleil vu par la NASA

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