Combien de logements construire chaque année ?

Dossier : Le logement, un enjeu de sociétéMagazine N°681 Janvier 2013
Par Alain JACQUOT

Le nombre de loge­ments à construire dépend de la crois­sance du nombre de ménages, laquelle dépend de la fécon­di­té pas­sée, de la mor­ta­li­té, des migra­tions, et des com­por­te­ments de coha­bi­ta­tion. Le der­nier exer­cice de pro­jec­tion du nombre de ménages a été réa­li­sé en 2011 par le ser­vice sta­tis­tique du minis­tère du Déve­lop­pe­ment durable. Les hypo­thèses démo­gra­phiques sont celles de la der­nière pro­jec­tion de popu­la­tion de l’INSEE. La fécon­di­té est cen­sée res­ter stable, sur toute la période de pro­jec­tion, à 1,95 enfant par femme. La pro­gres­sion annuelle moyenne de l’espérance de vie à la nais­sance serait de 0,17 an pour les hommes et 0,13 an pour les femmes, et le solde migra­toire serait de 100 000 per­sonnes en plus par an.

REPÈRES
Au cours de la der­nière décen­nie (2000−2010), 367 000 nou­veaux loge­ments ont été ache­vés chaque année en moyenne, avec un pic aux alen­tours de 450 000 en 2007, 2008 et 2009. Le taux d’utilisation des capa­ci­tés de pro­duc­tion dans le sec­teur de la construc­tion, tel qu’il est mesu­ré par les enquêtes de conjonc­ture de l’INSEE, a alors culmi­né à un peu plus de 95%.
Sur la même période (2000−2010), le nombre annuel moyen de loge­ments ter­mi­nés s’est éle­vé à 191 000 au Royaume-Uni, pays à la popu­la­tion com­pa­rable à celle de la France, et 236 000 en Alle­magne, pays plus peu­plé que le nôtre mais moins dyna­mique sur le plan démo­gra­phique. De tous nos voi­sins, seule l’Espagne, en construi­sant 485 000 loge­ments par an, a connu au cours de la pré­cé­dente décen­nie un niveau de construc­tion de loge­ments plus éle­vé, mais avec une chute bru­tale depuis 2009.

Une population vieillissante

Avec ces hypo­thèses, la popu­la­tion de la France métro­po­li­taine, égale à 62,9 mil­lions de per­sonnes en 2010, conti­nue­rait de croître, pour atteindre 68,5 mil­lions en 2030, soit 0,43 % par an. C’est un rythme de crois­sance un peu plus faible que celui des der­nières décen­nies car, avec l’arrivée des géné­ra­tions nom­breuses du baby-boom à un âge où ces géné­ra­tions ne sont plus sus­cep­tibles d’avoir des enfants, le poids des géné­ra­tions en âge d’avoir des enfants au sein de la popu­la­tion tend à bais­ser. Sous l’effet de l’arrivée aux âges éle­vés des géné­ra­tions nom­breuses du baby-boom, la popu­la­tion est sur­tout appe­lée à vieillir. Les per­sonnes âgées de 60 ans ou plus, qui repré­sentent 22,9% de la popu­la­tion en 2010, en repré­sen­te­raient 29,4 % en 2030.

Comportements de cohabitation

Le nombre de ménages tend à croître plus vite que la popu­la­tion : 1,23 % par an en moyenne pour le nombre de ménages entre 1975 et 2010, 0,51 % pour la popu­la­tion. Le nombre moyen de per­sonnes par ménage tend en effet à bais­ser : égal à 2,9 en 1975, il n’est plus que de 2,4 en 1999 et de 2,26 en 2010.

Le nombre moyen de per­sonnes par ménage diminue

Deux fac­teurs influent sur cette évo­lu­tion : l’évolution de la struc­ture par sexe et âge de la popu­la­tion, et les com­por­te­ments de coha­bi­ta­tion, à sexe et âge don­nés. La struc­ture par âge importe car les ménages de per­sonnes âgées, qui n’ont plus d’enfants à charge, sont plus petits que la moyenne.

Le nombre moyen de per­sonnes par ménage dimi­nue aus­si du fait de la rela­tive désaf­fec­tion dont souffrent les modes « tra­di­tion­nels » de coha­bi­ta­tion, à sexe et âge don­nés. Alors que, en 1982, 83 % des hommes de 35 ans vivaient en couple, ils ne sont plus que 70% en 2010.

Chez les femmes, les pro­por­tions cor­res­pon­dantes sont de 85 % et 73 %. Cor­ré­la­ti­ve­ment, au même âge, 11,8 % des femmes sont à la tête d’une famille mono­pa­ren­tale et 9,7 % vivent seules, alors qu’elles étaient 6,7 % et 4,5 % res­pec­ti­ve­ment en 1982.

La pro­por­tion de per­sonnes en couple tend tou­te­fois à s’accroître aux âges éle­vés, sous les effets de la pro­gres­sion de l’espérance de vie, le veu­vage inter­ve­nant en moyenne à un âge de plus en plus tar­dif. Les géné­ra­tions aujourd’hui âgées ont en effet été jusqu’à pré­sent peu affec­tées par la mon­tée du divorce qui s’est pro­duite depuis les années 1970.

Dans l’hypothèse d’une pour­suite de ces ten­dances, le nombre de ménages pour­rait s’accroître en moyenne de 235 000 par an jusqu’en 2030, ce qui repré­sente un rythme d’accroissement annuel moyen de 0,80% sur la période 2010–2030. La crois­sance de la popu­la­tion et les défor­ma­tions de la pyra­mide des âges conti­nue­raient à expli­quer la majeure par­tie de la crois­sance du nombre de ménages. Le nombre moyen de per­sonnes par ménage ne serait plus que de 2,10 en 2030, et la pro­por­tion de per­sonnes seules s’élèverait à 19,8 % contre 15,0 % en 2010. 43 % des ménages seraient com­po­sés d’une per­sonne seule.

Un solde migra­toire de 50 000 per­sonnes par an, c’est-à-dire à peu près le solde migra­toire moyen consta­té depuis 1970, au lieu de 100 000, rédui­rait de 20 000 à 30 000 la crois­sance annuelle du nombre de ménages.

Une crois­sance annuelle plus forte de l’espérance de vie à la nais­sance, de 0,22 an pour les hommes et de 0,18 an pour les femmes, élè­ve­rait de 15 000 envi­ron la crois­sance annuelle du nombre de ménages.

La France en deuxième position
Si l’on rap­porte à la popu­la­tion le nombre de loge­ments ache­vés par an, la France se situe en deuxième posi­tion, loin der­rière l’Espagne, mais très signi­fi­ca­ti­ve­ment devant ses prin­ci­paux voi­sins. En termes de stock de loge­ments rap­por­té à la popu­la­tion, la France est éga­le­ment en bonne posi­tion, n’étant devan­cée que par l’Espagne, la Suisse et le Dane­mark. En Espagne, tou­te­fois, les rési­dences secon­daires et les loge­ments vacants repré­sentent 30% du parc, soit deux fois plus qu’en France.

LOGEMENTS ACHEVÉS FLUX POUR 1000 HABITANTS STOCK POUR 1000 HABITANTS
France 367 000 61 515
Alle­magne 231 000 31 495
Royaume-Uni 191 000 33 440
Ita­lie 178 000 31 480
Espagne 440 000 132 560
Suisse 31 000 46 523
Dane­mark 20 000 46 523
Sources : minis­tère du Déve­lop­pe­ment durable, Insee, « Depart­ment for com­mu­ni­ties and local govern­ment » pour le Royaume-Uni, ins­ti­tuts natio­naux de sta­tis­tique pour les autres pays, et cal­culs de l’auteur

Comparaison avec la précédente projection

La pro­jec­tion de popu­la­tion et la pro­jec­tion de ménages ont été réa­li­sées en 2010 et 2011. Les pré­cé­dentes pro­jec­tions avaient été réa­li­sées en 2006 et 2007, par l’INSEE.

Un solde migra­toire de cin­quante mille per­sonnes par an au lieu de cent vingt mille

La pro­jec­tion de ménages de 2006 com­pre­nait deux scé­na­rios de com­por­te­ments de coha­bi­ta­tion. Le scé­na­rio dit « bas » (en termes de nombre de ménages, donc rela­ti­ve­ment éle­vé en termes de nombre de per­sonnes par ménage) repo­sait sur la pro­lon­ga­tion des ten­dances appa­rentes 1990- 2005. Le scé­na­rio « haut » repo­sait, quant à lui, sur la pro­lon­ga­tion de la ten­dance obser­vée entre 1999 et 2005, au cours de laquelle la hausse du nombre de ménages et la baisse du nombre moyen de per­sonnes par ménage sem­blaient s’être accélérées.

L’influence de l’internat
Les élèves majeurs en inter­nat sont, avec le nou­veau recen­se­ment, consi­dé­rés comme vivant hors ménage ordi­naire, en dehors du ménage de leurs parents, alors qu’auparavant ils étaient consi­dé­rés comme rat­ta­chés à celui-ci. Ce chan­ge­ment de défi­ni­tion explique à lui seul à peu près la moi­tié de la « rup­ture de série » sur le nombre moyen de per­sonnes par ménage entre 1999 et 2004.

On a tou­te­fois de bonnes rai­sons de pen­ser que le nou­veau recen­se­ment, tel qu’il a été mis en place en 2004 avec une orga­ni­sa­tion, des méthodes de col­lecte et des ques­tion­naires réno­vés, couvre mieux la popu­la­tion que les anciens. Des chan­ge­ments de défi­ni­tion entre les anciens et le nou­veau recen­se­ment affectent aus­si le contour des ménages. L’évolution de la taille moyenne de ceux-ci telle qu’elle pour­rait être appré­hen­dée par dif­fé­rence (sans cor­rec­tif) entre les chiffres du nou­veau recen­se­ment et ceux du recen­se­ment de 1999 sur­es­time très pro­ba­ble­ment la réalité.

De fait, sur les années 2006 à 2008, le scé­na­rio haut de 2006, qui table sur la pro­lon­ga­tion de la ten­dance appa­rente 1999–2005, est clai­re­ment « hors des clous », et il semble que même le scé­na­rio « bas » de la pro­jec­tion de ménages 2006 ait eu ten­dance à sur­es­ti­mer la baisse du nombre de per­sonnes par ménage. Le scé­na­rio haut de 2006 est donc aujourd’hui clai­re­ment caduc. La pro­jec­tion de ménages pré­sen­tée ici retient donc un seul scé­na­rio de com­por­te­ments de coha­bi­ta­tion, plus proche du scé­na­rio bas de 2006, tout en en cor­ri­geant les imperfections.

Le renouvellement du parc

10 % des loge­ments sont des rési­dences secon­daires, et près de 7% sont vacants

Pour pas­ser du nombre de ménages au nombre de loge­ments, il faut rajou­ter des hypo­thèses sur l’utilisation du parc et son renou­vel­le­ment. En 2010, 10% des loge­ments étaient des rési­dences secon­daires et 6,7% étaient vacants. La pro­por­tion de loge­ments vacants est tou­te­fois à un niveau faible au regard des valeurs obser­vées au cours des qua­rante der­nières années, de sorte qu’une remon­tée (à 7,5 % à l’horizon 2015 à titre d’illustration) ne sau­rait être exclue.

Des hypo­thèses et des résul­tats contestables
En 2006, Batsch et alii ont chif­fré à 500 000 par an la demande poten­tielle. Leur tra­vail repose sur les hypo­thèses sui­vantes : une remon­tée de la pro­por­tion de loge­ments vacants de 0,1 point par an ; une aug­men­ta­tion de la pro­por­tion de rési­dences secon­daires au sein du parc de 0,1 point par an ; un nombre de loge­ments détruits de 45 000 par an ; une contri­bu­tion de l’évolution des com­por­te­ments de coha­bi­ta­tion, à sexe et âge don­nés, du même ordre de gran­deur que celle du scé­na­rio haut de 2006- 2007, dont nous avons vu qu’il est caduc ; une fécon­di­té stable à 1,9 enfant par an ; un solde migra­toire annuel de 120000 per­sonnes, une hypo­thèse d’espérance de vie non précisée.
Pour obte­nir un résul­tat de l’ordre de 500 000, sur la base de ces hypo­thèses, il est néces­saire de rete­nir un scé­na­rio de gains annuels d’espérance de vie de l’ordre de six mois par an, 0,48 an pour les hommes et 0,44 an pour les femmes. De tels gains sont deux fois plus rapides que les maxi­ma obser­vés depuis les années 1950.

Les des­truc­tions de loge­ments pour­raient être de 30 000 par an si l’on se fonde sur les niveaux moyens obser­vés depuis trente ans, ou de 50 000 si l’on table sur la pour­suite de l’effort de renou­vel­le­ment urbain dans les quar­tiers de grands ensembles tel qu’il est mené depuis 2004.

Les fusions et écla­te­ments de loge­ments sont des flux de faible ampleur et qui se com­pensent. Il en est de même des trans­for­ma­tions de loge­ments en locaux non rési­den­tiels, et inver­se­ment. On a aus­si étu­dié des scé­na­rios alter­na­tifs de mor­ta­li­té et de migrations.

Des scénarios alternatifs

Les pré­vi­sions actuelles estiment la demande poten­tielle entre 300 000 et 350 000 loge­ments à construire par an, par­fois davan­tage avec cer­tains jeux d’hypothèses, mais sans jamais excé­der 400 000. Atteindre un chiffre plus éle­vé, de l’ordre de 500 000, ne serait pos­sible qu’en rete­nant une com­bi­nai­son d’hypothèses irréa­listes, par exemple en matière de mortalité.

L’autonomie résidentielle

Ces chiffres ne consti­tuent bien sûr qu’une pro­jec­tion, repo­sant sur une pro­lon­ga­tion des ten­dances démo­gra­phiques, mais aus­si éco­no­miques de manière impli­cite. La réduc­tion de la taille moyenne des ménages consta­tée au cours des cin­quante der­nières années est impu­table en par­tie à l’amélioration des niveaux de vie, qui a dans une cer­taine mesure offert aux indi­vi­dus les moyens de leur auto­no­mie résidentielle.

Par exemple, la coha­bi­ta­tion sous le même toit d’adultes avec leurs ascen­dants âgés était autre­fois fré­quente, sur­tout dans le Sud-Ouest. Si, à l’avenir, les régimes de retraite venaient à être moins géné­reux, le recours à cette forme de coha­bi­ta­tion pour­rait rede­ve­nir plus fréquent.

Commentaire

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Goldorak2répondre
10 janvier 2013 à 8 h 41 min

Bon­jour, Je résume ce que

Bon­jour, Je résume ce que j’ai com­pris de votre article : « Démo­gra­phie Dans l’hypothèse d’une pour­suite de ces ten­dances [ndGol­do : effec­tifs des ménages incluant accrois­se­ment natu­rel et coha­bi­ta­tion], le nombre de ménages pour­rait s’accroître en moyenne de 235 000 par an jusqu’en 2030, ce qui repré­sente un rythme d’accroissement annuel moyen de 0,80% sur la période 2010–2030. » « Solde migra­toire Solde migra­toire de +50 000 per­sonnes par an. Soient 20 à 30 000 ménages [et donc loge­ments] de plus. » « Le renou­vel­le­ment du parc Les des­truc­tions de loge­ments pour­raient être de 30 000 par an si l’on se fonde sur les niveaux moyens obser­vés depuis trente ans, ou de 50 000 si l’on table sur la pour­suite de l’effort de renou­vel­le­ment urbain dans les quar­tiers de grands ensembles tel qu’il est mené depuis 2004.] »


Donc en pre­nant les hypo­thèses hautes nombre de loge­ment à construire = 235 000 (accrois­se­ment natu­rel + habi­tudes de coha­bi­ta­tion) + 30 000 (solde migra­toire) + 50 000 (obso­les­cence et recons­truc­tion) = 315 000 loge­ments à construire par an. Les migra­tions géo­gra­phiques natio­nales sont elles pris en compte ?


Des habi­tants issus des cam­pagnes et des villes petites et moyenne quittent les cam­pagnes et les petites villes (où il y a donc des loge­ments qui peuvent tom­ber en désué­tudes) pour vivre autour des grands centres urbains (Ile de France en par­ti­cu­lier) ou les côtes (où il n’y avait pas de loge­ment). Et d’autre part quid de com­bler un éven­tuel retard de construc­tion accu­mu­lé dans le passé.

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