Clean Sky : diviser par deux le CO2 des avions

Dossier : L'EuropeMagazine N°692 Février 2014
Par Éric DAUTRIAT

L’aéro­nau­tique euro­péenne par­tage le lea­der­ship mon­dial avec son homo­logue amé­ri­caine, et elle est plus près aujourd’hui de la sur­chauffe que de la moro­si­té. Reste à ne pas s’endormir sur ces lau­riers acquis grâce aux grands pro­grammes anté­rieurs ou actuels, et à se pré­pa­rer à la confron­ta­tion avec d’inévitables nou­veaux entrants, en par­ti­cu­lier la Chine, qui ne se conten­te­ra pas long­temps d’être un sous-trai­tant et un client et qui déve­loppe, par exemple, un moyen-cour­rier de 150 places : seules d’audacieuses inno­va­tions tech­niques per­met­tront aux Euro­péens de res­ter dans la course, et de la faire en tête.

Réduire la consom­ma­tion de car­bu­rant, une double chance pour l’innovation

Les pers­pec­tives de crois­sance du mar­ché posent aus­si la ques­tion du déve­lop­pe­ment durable avec une acui­té par­ti­cu­lière. Aujourd’hui, le trans­port aérien repré­sente quelque 3% des émis­sions de CO2 d’origine anthro­pique. C’est rela­ti­ve­ment peu, mais l’augmentation du tra­fic, pro­lon­gée éven­tuel­le­ment sur des décen­nies, modi­fie consi­dé­ra­ble­ment la perspective.

De même, pour­suivre la réduc­tion du bruit au voi­si­nage des aéro­ports est une néces­si­té poli­tique et citoyenne, elle aus­si liée à la croissance.

En fait, com­pé­ti­ti­vi­té et res­pect de l’environnement ont noué dans le ciel aérien une alliance sans nuage. Réduire la consom­ma­tion de car­bu­rant, au prix où ce der­nier est dura­ble­ment ins­tal­lé, est dou­ble­ment ver­tueux. Et c’est une double chance pour l’innovation.

REPÈRES
L’aé­ro­nau­tique civile euro­péenne connaît aujourd’­hui une inso­lente crois­sance, au rebours de la crise qui affecte la plu­part des sec­teurs indus­triels. Le tra­fic aérien mon­dial, tiré notam­ment par l’A­sie, aug­mente de plus de 4% par an de façon stable, et tous les pré­vi­sion­nistes s’ac­cordent à consi­dé­rer que cela va durer.

Se donner une ambition forte

L’Europe, avec sa puis­sante indus­trie aéro­nau­tique et son rela­tif volon­ta­risme envi­ron­ne­men­tal, ne pou­vait qu’être en pointe pour s’assigner des objec­tifs ambi­tieux et mettre en place les moyens correspondants.

Ce fut le cas dès le début des années 2000 avec le Conseil consul­ta­tif euro­péen de la recherche aéro­nau­tique (ACARE), ras­sem­blant auto­ri­tés publiques, indus­triels, com­pa­gnies aériennes, aéro­ports et orga­nismes de recherche, qui fixa à 50% de réduc­tion des émis­sions de CO2 l’objectif à atteindre par des tech­no­lo­gies dis­po­nibles en 2020, par rap­port à celles de l’an 2000 – ce qui, compte tenu des cycles de l’aéronautique, pro­met une mise en oeuvre réelle dans le ciel euro­péen et mon­dial évi­dem­ment plus tardive.

ACARE vient de réci­di­ver en fixant dès à pré­sent un nou­vel objec­tif à long terme : une divi­sion par quatre en 2050.

Financements public et privé

Fal­lait-il encore iden­ti­fier les moyens pour atteindre cela. Aujourd’hui, pour que de futurs déve­lop­pe­ments, dont on cherche tou­jours à réduire la durée et les risques, intègrent des tech­no­lo­gies nova­trices, il faut que celles-ci aient pu faire l’objet, au préa­lable, de démons­tra­tions inté­grées, en gran­deur réelle.

C’est un pro­ces­sus de recherche tech­no­lo­gique long et coû­teux, qui néces­site un finan­ce­ment public. C’est pour­quoi l’Europe a déci­dé de lan­cer, début 2008, le pro­gramme Clean Sky, « Ini­tia­tive tech­no­lo­gique conjointe », mis en place jusqu’en 2017. Clean Sky est doté d’un finan­ce­ment total de 1,6 mil­liard d’euros, assu­ré à 50 % par l’Union euro­péenne et à 50 % par l’industrie – car c’est un par­te­na­riat public-pri­vé. Conduit par une « entre­prise com­mune » dédiée et auto­nome, il réunit tous les grands don­neurs d’ordre euro­péens, avion­neurs, moto­ristes et équi­pe­men­tiers, qui en par­tagent la gou­ver­nance avec la Com­mis­sion européenne.

Six plateformes technologiques

Chaîne de l’innovation
Autour des lea­ders indus­triels, ce sont plus de 500 par­ti­ci­pants qui se sont joints au pro­gramme à tra­vers 24 pays euro­péens. Ce n’est pas le moindre motif de satis­fac­tion de Clean Sky que d’avoir mis en place une véri­table « chaîne de l’innovation », qui asso­cie un grand nombre de PME, de centres de recherche et d’universités, tous ten­dus vers des objec­tifs com­muns, réa­listes, à échéance pré­vi­sible et identifiée.

C’est un pro­gramme glo­bal, construit sur la base de six pla­te­formes tech­no­lo­giques inter­fa­cées les unes avec les autres : avions com­mer­ciaux, avions régio­naux, héli­co­ptères, moteurs, sys­tèmes et éco­con­cep­tion. L’industrie iden­ti­fie les conte­nus tech­niques, avec un accent mis sur la réa­li­sa­tion de grands démons­tra­teurs, fédé­ra­teurs de tech­no­lo­gies : telle l’aile lami­naire, qui sera tes­tée en 2015 par Air­bus sur un A340 ; ou l’Open Rotor, qui fera l’objet d’un essai au banc chez Safran éga­le­ment en 2015 ; ou encore de nou­velles struc­tures com­po­sites à pleine échelle.

À cette échéance rela­ti­ve­ment proche de 2020, les pro­jets radi­caux tels que l’avion à pro­pul­sion élec­trique, l’avion à hydro­gène, ou même l’aile volante, immuable hori­zon des planches à des­sin, ne sont pas à l’ordre du jour. Clean Sky est au contact des géné­ra­tions d’avion de demain : c’est ce qui lui donne une assu­rance rai­son­nable de voir débou­cher les inno­va­tions qu’il porte.

Il s’arrête au bord des pro­grammes de déve­lop­pe­ment de nou­veaux pro­duits ; le bon « rac­cord » entre les deux domaines est essen­tiel, et la pré­sence de l’industrie dans la gou­ver­nance en est, en prin­cipe, garante.

En cours de route, les prio­ri­tés peuvent (et doivent) être redé­fi­nies, en fonc­tion d’une part des résul­tats obte­nus, d’autre part de l’évolution des stra­té­gies industrielles.

Des progrès mesurés

Le pro­grès vers les objec­tifs de CO2 et de bruit est mesu­ré à l’aide de modèles éla­bo­rés notam­ment par les ins­ti­tuts de recherche (One­ra, DLR, NLR, etc.) au niveau d’une mis­sion, d’un aéro­port, etc., jusqu’à la flotte mon­diale, en fonc­tion d’hypothèses d’insertion de ces technologies.

Une suite est d’ores et déjà iden­ti­fiée : Clean Sky 2

Ces objec­tifs sont iden­ti­fiés type d’avion par type d’avion, mais en moyenne ils se situent dans la gamme de 20 % à 30% de réduc­tion (bruit comme CO2), tou­jours par rap­port à une réfé­rence « an 2000 » : la contri­bu­tion de Clean Sky aux objec­tifs d’ACARE est essentielle.

Aujourd’hui, Clean Sky est à peu près aux deux tiers de son par­cours. Le pre­mier démons­tra­teur, un tur­bo­mo­teur de Safran, a « tour­né » au banc en 2013. Une ving­taine d’autres, de niveaux d’intégration divers, vont main­te­nant suivre jusqu’en 2016. Il reste beau­coup de tra­vail mais, ce modèle de coopé­ra­tion don­nant satis­fac­tion, une suite est d’ores et déjà iden­ti­fiée et en cours de négo­cia­tion au Conseil et au Par­le­ment euro­péens : Clean Sky 2, tel que pro­po­sé par la Com­mis­sion sur la base du pro­gramme éla­bo­ré par l’industrie, fait plus que dou­bler la mise.

Dans le cadre du nou­veau pro­gramme-cadre Hori­zon 2020, c’est un bud­get total de 4 mil­liards d’euros qui devrait être dis­po­nible dès 2014, pro­lon­geant l’effort jusqu’en 2024, pour aller plus loin encore en termes d’objectifs envi­ron­ne­men­taux tout en met­tant plus que jamais l’accent sur la com­pé­ti­ti­vi­té mon­diale de la chaîne de valeur européenne.

Effets structurants

Ain­si, Clean Sky joue de plus en plus un rôle struc­tu­rant de la recherche aéro­nau­tique euro­péenne. En France, en Alle­magne, au Royaume- Uni, en Ita­lie et dans d’autres pays, des pro­grammes natio­naux très impor­tants conti­nuent à exis­ter. Mais Clean Sky, qui va désor­mais fédé­rer l’essentiel de la recherche « com­mu­nau­taire », en devient la réfé­rence com­mune, le flag­ship.

La France en est le plus ferme et le plus constant sou­tien, consciente des enjeux, consciente aus­si du rôle qu’y jouent ses « cham­pions » à base fran­çaise ou par­tiel­le­ment fran­çaise comme Air­bus, Safran, Thales, Das­sault et Euro­cop­ter, ou son tis­su de PME ain­si encou­ra­gé à inno­ver, dans le large cadre de l’Union européenne.

Commentaire

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17 février 2014 à 9 h 09 min

Un par­fait exemple de pro­jet euro­péen, hélas…

Cet article est un magni­fique exemple de tous ces pro­jets euro­péens qui consomment des bud­gets colos­saux, ali­mentent à tra­vers ce que l’on appelle le « sup­port indus­triel » des socié­tés de sup­port en mana­ge­ment avec zéro valeur ajou­tée et dont le seul suc­cès est d’a­voir par­fai­te­ment pré­pa­ré le pro­jet qui leur fait suite [une plai­san­te­rie bien connue dans le domaine des pro­jets euro­péeens], comme le fait ingé­nu­ment remar­quer l’auteur.

Il faut les avoir pra­ti­qués pour en admi­rer le fonc­tion­ne­ment : un mana­ge­ment stric­te­ment top-down qui fixe des objec­tifs au hasard des néces­si­tés d’af­fi­chage « Divi­ser par 2 le CO2 des avions » (!?!?) sans jamais regar­der la réa­li­té des contraintes tech­niques à la base, et une com­mu­ni­ca­tion ultra-rodée qui est la seule par­tie ayant une vraie com­pé­tence, dans son seul domaine de com­pé­tences évi­dem­ment : la communication.

Pour com­prendre la vacui­té totale d’un tel article, il suf­fit de consta­ter qu’il n’y appa­rait aucun résul­tat chif­fré, et même aucun élé­ment tech­nique : un (atten­tion pas deux) tur­bo­mo­teur de Safran qui tourne au banc : il marche com­ment et il fait quoi de dif­fé­rent, ce tur­bo­mo­teur ? On ne le sau­ra pas, et ce pour deux raisons

(a) l’au­teur de l’ar­ticle ne le sait pro­ba­ble­ment pas lui-même car, comme tout bon chef de pro­jet euro­péeen, il est cer­tai­ne­ment deve­nu incom­pé­tent tech­ni­que­ment et

(b) il n’y a pro­ba­ble­ment pas de résul­tats du tout, en tous cas pas de résul­tats per­met­tant de jus­ti­fier les sommes inves­ties ; il suf­fi­rait pro­ba­ble­ment de com­pa­rer les amé­lio­ra­tions four­nies par ce moteur sur une période de 6 ans (2008−2014) avec les amé­lio­ra­tions pro­duites dans une période d’une durée com­pa­rable (2002−2008) avant l’ap­pa­ri­tion de CleanSky.

Où en est-on d’ailleurs par rap­port à l’ob­jec­tif ini­tial de divi­ser par 2 le CO2 des avions après 6 ans de tra­vail ? On ne le sait pas non plus… Quant aux résul­tats en terme de soit-disant « struc­tu­ra­tion de la recherche », ils ont certainement :

a) favo­ri­sé les entre­prises ou les centres qui dis­po­saient des res­sources admi­nis­tra­tives leur per­met­tant de répondre à des appels d’offres ver­beux et ultra-bureau­cra­tiques (il suf­fit de voir com­ment il faut géné­ra­le­ment jus­ti­fier au coût réel chaque per­sonne impli­quée sur ce type de pro­jet européen)

b) len­te­ment tué les véri­tables centres de recherche dans le domaine de l’aé­ro­nau­tique civiles (il suf­fit de regar­der l’é­vo­lu­tion des effec­tifs autour du DLR, NLR, ou même de l’O­NE­RA ou du centre expé­ri­men­tal euro­con­trol, voire dans cer­tains cas la dis­pa­ri­tion entière de pans de com­pé­tences, comme la mort du Centre d’E­tudes de la Navi­ga­tion Aérienne en france).

c) glo­ba­le­ment réduit le volume des bud­gets de recherche réel­le­ment affec­té à ces domaines (facile à prou­ver pour qui­conque veut se don­ner la peine de faire la somme des bud­gets affec­tés par les états avant et après l’ap­pa­ri­tion de ces super pro­jets fédé­ra­teurs : ils ont juste ser­vi de pré­texte à un affi­chage sous une banière unique de bud­gets déjà exis­tants qui cache en fait un désen­ga­ge­ment glo­bal et un gavage finan­cier de grandes socié­tés fai­sant du lob­bying auprés de la com­mis­sion, au détri­ment des uni­ver­si­tés et des centres de recherche).

L’eu­rope est un gouffre éco­no­mique doté d’une ges­tion bureau­cra­tique non contrô­lée en terme de résul­tats tech­niques par des états (et spé­cia­le­ment l’é­tat fran­çais) dont l’ad­mi­nis­tra­tion devient chaque jour tech­ni­que­ment plus incom­pé­tente à force de favo­ri­ser le mana­ge­ment au détri­ment de la tech­nique. Et il ne serait pas inutile de rap­pe­ler que le suc­cès d’Air­bus n’est pas le suc­cès de l’eu­rope bureau­cra­tique de pro­jets fédé­ra­teurs déci­dés a prio­ri, mais bien le suc­cès des états membres d’un consor­tium qui aurait pu exis­ter sans la com­mis­sion, et des ingé­nieurs des socié­tés le composant.

PS : je n’ai rien contre Eric Dau­triat qui, comme beau­coup de gens tra­vaillant sur ces pro­jets, est quel­qu’un de cour­tois, aimable, poli­cé et une per­sonne d’ex­cel­lente com­pa­gnie et qui est même pro­ba­ble­ment par­fai­te­ment conscient de tout ce qui est écrit dans ce texte. Mais il a un job de com­mu­ni­ca­tion à faire, avec tous les bons élé­ments de lan­gage à four­nir. C’est un sys­tème qui doit être mis en cause, pas un individu.

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