Chine : le luxe, un marché en pleine expansion

Dossier : ExpressionsMagazine N°684 Avril 2013
Par Serge BRUNSCHWIG (79)
Par Jean-Baptiste VOISIN (88)

Alors que le made in Chi­na fait de plus en plus par­tie de notre quo­ti­dien, la Chine conti­nen­tale est deve­nue, en moins de dix ans, le pre­mier client du sec­teur du luxe made in France. Pour­tant, les idées reçues persistent.

Le luxe en Chine serait récent ? Des arts du bronze à ceux de la por­ce­laine, des soie­ries aux lapi­daires, la culture chi­noise est, depuis cinq mille ans, d’une extrême sophistication.

Une implan­ta­tion récente
Il y a vingt ans, la pré­sence des marques de luxe se limi­tait à Hong Kong, sauf pour les pro­duits cos­mé­tiques. Louis Vuit­ton, Car­tier, Ome­ga ou Chris­tian Dior s’installent en Chine conti­nen­tale au début des années 1990.
Le déve­lop­pe­ment des sur­faces com­mer­ciales des années 2000 aide le mar­ché du luxe à accé­lé­rer son expan­sion. Par­ti de Shan­ghai et Pékin, le luxe suit et gagne pro­gres­si­ve­ment les villes de deuxième, puis de troi­sième plan.

Seule­ment pour les nou­veaux riches ? Le rapide essor éco­no­mique a fait émer­ger une classe moyenne très impor­tante qui repré­sente la majo­ri­té de la clien­tèle du luxe.

Un seul type de clien­tèle ? La diver­si­té des villes et des cultures est aus­si grande qu’en Europe. Et les dif­fé­rences inter­gé­né­ra­tion­nelles sont considérables.

Les Chi­nois seraient plus show off ? Sophis­ti­ca­tion oblige : de plus en plus de clients chi­nois consi­dèrent le luxe comme une expé­rience pour soi, favo­ri­sant le raffinement.

Une évolution rapide

La consom­ma­tion des pro­duits de luxe est en expan­sion très rapide. Paral­lè­le­ment, il est deve­nu plus facile pour les Chi­nois de voya­ger. Selon la Chi­na Natio­nal Tou­rism Admi­nis­tra­tion, les voyages de Chi­nois à l’étranger ont été mul­ti­pliés par vingt en vingt ans.

L’admiration mutuelle des deux civilisations

Envi­ron 60 % du bud­get de voyage est des­ti­né au shop­ping. En Europe, et par­ti­cu­liè­re­ment en France, les pro­duits de luxe semblent encore plus authen­tiques, leur valeur émo­tion­nelle plus forte et ils sont moins coûteux.

L’attractivité du luxe à la française

Le suc­cès du luxe à la fran­çaise s’explique par l’admiration mutuelle des deux civi­li­sa­tions. Au temps de Louis XIV, les montres méca­niques sus­ci­taient un vif d’intérêt à la cour de l’empereur Kangxi, tan­dis que les por­ce­laines fines fas­ci­naient Ver­sailles et le Roi-Soleil.

Quelques chiffres
En 1994, seule­ment 3 mil­lions de voyages de Chi­nois à l’étranger. En 2010, un CA du sec­teur du luxe esti­mé de 17,7 mil­liards d’euros. En 2012, 200 mil­lions d’internautes ont effec­tué un achat en ligne. En 2020, 67 mil­lions de foyers auront un reve­nu entre 16000 et 34 000 dollars.

Pour les Chi­nois, le luxe à la fran­çaise repré­sente avant tout un état d’esprit : une qua­li­té tou­jours irré­pro­chable, une intran­si­geance sur les détails et les nuances, la beau­té des gestes de l’artisan, une force créa­tive étroi­te­ment liée à l’art. Il trouve ain­si natu­rel­le­ment sa place dans une culture for­gée par cinq mille ans d’histoire.

Extrême exigence

Plu­sieurs rai­sons contri­buent à l’exigence de la clien­tèle chi­noise. Le sys­tème man­da­ri­nal, en place de longue date, a for­gé l’ouverture vers les connais­sances. Les Chi­nois lisent beau­coup et sont par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles au ver­sant cultu­rel d’un objet, à son his­toire. Ils veulent connaître nos marques, leurs valeurs et leur fon­da­teur. Leur vitesse d’apprentissage très rapide pousse les acteurs du luxe non seule­ment à plus de qua­li­té, mais éga­le­ment à mieux com­mu­ni­quer sur leurs savoir-faire.

Selon McKin­sey, 67 % des femmes tra­vaillaient en 2009. Une autre étude a démon­tré que 76 % des Chi­noises aspirent à accé­der aux postes clés des entre­prises, contre 52 % des femmes aux États-Unis.

Plus actives, plus indé­pen­dantes, elles sont aus­si plus riches. Ain­si, elles deviennent le moteur du sec­teur, dont elles repré­sentent 40 % des clients.

LVMH a aujourd’hui plus de 500 points de vente en Chine.

Trois types de clientèle

La clien­tèle cadeaux (30 % des ventes). Le réseau social jouant un rôle pré­do­mi­nant en Chine, chaque moment impor­tant est une occa­sion de cadeau. Les objets de luxe sont pri­vi­lé­giés pour leur valeur sûre et leur forte noto­rié­té : ils honorent celui qui les reçoit.

La clien­tèle élite. Ces clients sophis­ti­qués achètent beau­coup, se ren­seignent en per­ma­nence, dis­cutent sur leurs réseaux sociaux. Voya­geant régu­liè­re­ment en Europe, sou­vent à Paris, ils cherchent de l’exclusivité et veulent être surpris.

La clien­tèle aspi­ra­tion­nelle. Une large classe moyenne a pu émer­ger en vingt ans. En 2020, selon McKin­sey, 21 mil­lions de foyers chi­nois auront un reve­nu supé­rieur à 34000 dollars.

Des coûts d’opération élevés

Implan­ter et déve­lop­per une marque de luxe en Chine est deve­nu très cher. Les coûts médias sont par­mi les plus éle­vés du monde et la pénu­rie de ven­deurs de luxe a fait flam­ber les coûts salariaux.

Le mar­ché immo­bi­lier favo­rise les marques et les groupes puis­sants. Il devient donc dif­fi­cile pour les nou­veaux arri­vants d’entrer sur le mar­ché chi­nois. En 2013, les loyers des bou­tiques de Hong Kong et Pékin sont par­mi les plus chers du monde.

Une formidable opportunité

Un mar­ché versatile
Une des pre­mières carac­té­ris­tiques du mar­ché, c’est sa rapi­di­té d’évolution. Les Chi­nois comp­taient plus de 400 mil­lions d’internautes en 2012. Ce sont aus­si de grands uti­li­sa­teurs des réseaux sociaux. Tout peut chan­ger du jour au len­de­main. Il faut être agile et res­ter extrê­me­ment atten­tif aux ten­dances sociales, poli­tiques et économiques.
En 2006 et en une semaine, SKII, marque lea­der des cos­mé­tiques, a été exclue qua­si tota­le­ment du mar­ché pour une rumeur mal contrô­lée sur Internet.

Jusqu’en 1850, la Chine a été la plus grande éco­no­mie du monde, en rai­son de la taille de sa popu­la­tion et de son avance dans nombre de domaines, de l’agriculture à l’artisanat.

Aujourd’hui, le pays reprend à marche for­cée sa place de lea­der. Pour les marques de luxe, c’est une for­mi­dable oppor­tu­ni­té. Pour autant, de nom­breux défis res­tent à relever.

Un développement contrôlé, mesuré et durable

Les métiers du luxe doivent tou­jours arbi­trer entre la crois­sance, pour satis­faire une clien­tèle avide de consom­ma­tion, et la rare­té, pour pré­ser­ver les capa­ci­tés à repro­duire leurs pro­duits avec tou­jours le même niveau de qua­li­té et à garan­tir une cer­taine exclu­si­vi­té à leurs clients.

Les femmes deviennent le moteur du secteur

Para­doxa­le­ment, une trop forte demande en Chine et, par effet de rico­chet, des tou­ristes chi­nois dans le monde, n’est pas néces­sai­re­ment une bonne nou­velle. En effet, pour main­te­nir la dési­ra­bi­li­té d’une marque, il faut res­ter une réfé­rence auprès des clients de tous les mar­chés, notam­ment dans son pays d’origine.

La chasse aux talents

Pour se déve­lop­per, le luxe doit recru­ter et fidé­li­ser des mana­gers locaux. Si les marques l’ont com­pris, notam­ment dans le groupe LVMH où beau­coup de talents chi­nois ou d’origine chi­noise occupent des postes clés par­tout dans le monde, c’est un défi per­ma­nent que de savoir les atti­rer et les rete­nir quand les oppor­tu­ni­tés sont aus­si nom­breuses pour les meilleurs d’entre eux.

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