Charges sur le travail

Dossier : Les Challenges de la crise : conjuguer performance et croissanceMagazine N°668 Octobre 2011
Par Jean BOSCHAT (86)
Par Hugo AZERAD
Par Yoann MARTIN

REPÈRES

REPÈRES
Les pré­lè­ve­ments obli­ga­toires en Europe (envi­ron 40 % du PIB de l’U­nion euro­péenne à Vingt-Sept) consti­tuent la majeure par­tie des recettes des admi­nis­tra­tions publiques (État et col­lec­ti­vi­tés locales notam­ment) et des sys­tèmes de pro­tec­tion sociale. Le sys­tème socio-fis­cal fran­çais, avec un taux de pré­lè­ve­ment proche de 43 %, se dis­tingue par le poids impor­tant des coti­sa­tions sociales (37 % des pré­lè­ve­ments, contre une moyenne euro­péenne autour de 28%) et, a contra­rio, le faible poids des impôts directs sur les reve­nus, les béné­fices et le capi­tal (12% des pré­lè­ve­ments, contre une moyenne euro­péenne située autour de 14 %).

Com­ment se situe la France par rap­port à ses voi­sins euro­péens en termes de charges socio-fis­cales pesant sur les entre­prises ? Quelles sont les entre­prises et les sec­teurs indus­triels les plus affec­tés par un poten­tiel écart de com­pé­ti­ti­vi­té et quelle est l’am­pleur de cet écart ?

Le taux de pré­lè­ve­ments obli­ga­toires en France est l’un des plus éle­vés au sein de l’Union européenne

Les entreprises françaises pénalisées

Le taux de pré­lè­ve­ments obli­ga­toires en France, qui cor­res­pond au rap­port entre pré­lè­ve­ments obli­ga­toires et pro­duit inté­rieur brut (PIB), est l’un des plus éle­vés de l’U­nion euro­péenne. Il faut bien enten­du mettre en regard de ce constat l’am­pleur des aides et des mesures pro­po­sées dans notre pays et le finan­ce­ment en grande par­tie public de ces der­nières. Nous pou­vons cepen­dant nous inter­ro­ger sur la struc­ture de ces pré­lè­ve­ments, et en par­ti­cu­lier sur la part en valeur rela­tive repré­sen­tée par la pres­sion fis­cale sur la masse sala­riale sup­por­tée par les entreprises.

Au-delà de la com­pa­rai­son des taux glo­baux de pré­lè­ve­ments obli­ga­toires, l’a­na­lyse du poids des coti­sa­tions sociales et des impôts assu­jet­tis à la masse sala­riale en France démontre que celui-ci est plus éle­vé que ceux de plu­sieurs pays de l’U­nion euro­péenne comme l’Ir­lande mais aus­si le Royaume-Uni, l’Es­pagne et les Pays-Bas (voir gra­phique ci-dessous).

Une com­pa­rai­son rigou­reuse du coin socio-fiscal
Ce que l’on appelle com­mu­né­ment le « coin socio-fis­cal » cor­res­pond à la dif­fé­rence entre le coût du tra­vail pour un employeur et le salaire net du sala­rié (après impôts et déduc­tion des coti­sa­tions de Sécu­ri­té sociale). Notons que cette éva­lua­tion du degré de taxa­tion du tra­vail ne peut pas s’ap­pré­cier cor­rec­te­ment de façon glo­bale du fait de l’exis­tence d’un sys­tème de barème par tranche et du finan­ce­ment par­fois pri­vé des pres­ta­tions socio-médi­cales. Cepen­dant, afin de com­pa­rer le poids rela­tif du coin socio-fis­cal en Europe, on peut s’ap­puyer sur un cer­tain nombre de scé­na­rios de reve­nus et de situa­tion mari­tale. De plus, en sus des charges sociales impo­sées par l’É­tat ou diverses orga­ni­sa­tions (régions, caisses dépen­dantes de l’É­tat), nous avons éga­le­ment pris en compte le poids des sys­tèmes de fonds de pen­sion impo­sés ou pro­po­sés aux employés dans cer­tains pays.

Même si d’autres pays comme l’Al­le­magne connaissent un poids des charges assu­jet­ties au tra­vail iden­tique à celui qui existe en France, le coin socio-fis­cal alle­mand, comme dans d’autres pays euro­péens, pré­sente un équi­libre entre le poids des charges patro­nales, des coti­sa­tions sala­riales et de l’IR (un tiers cha­cun). A contra­rio, en France, les deux tiers de la pres­sion fis­cale exer­cée sur la masse sala­riale reposent sur les entre­prises. Cet écart d’ar­chi­tec­ture, a for­tio­ri entre deux pays au niveau de vie simi­laire, se tra­duit par une com­pé­ti­ti­vi­té du tra­vail infé­rieure en France.

Un handicap pour les emplois qualifiés

L’ar­chi­tec­ture des charges patro­nales entre les prin­ci­pales éco­no­mies de l’U­nion euro­péenne est for­te­ment dis­pa­rate. Tou­te­fois, la France se dis­tingue par­ti­cu­liè­re­ment par un méca­nisme d’im­po­si­tion et de coti­sa­tions patro­nales à la fois éle­vées et non plafonnées.

Les charges sociales en France : une ques­tion d’actualité
À la demande du pré­sident de la Répu­blique, la Cour des comptes a récem­ment (4 mars 2011) pro­cé­dé à une étude com­pa­ra­tive des sys­tèmes de pré­lè­ve­ments socio-fis­caux fran­çais et alle­mands. Le but de cette étude était que « les gou­ver­ne­ments soient en mesure de prendre, s’ils le jugent oppor­tun, des déci­sions ren­for­çant la conver­gence fis­cale entre les deux pays, tant dans le domaine de la fis­ca­li­té des entre­prises que dans celui de la fis­ca­li­té des par­ti­cu­liers ». Même si ce rap­port sou­ligne que l’at­trac­ti­vi­té repose sur d’autres fac­teurs que la fis­ca­li­té, la Cour a expri­mé le besoin de sub­sti­tuer au finan­ce­ment des pres­ta­tions sociales par les entre­prises un finan­ce­ment universel.

D’un côté les Pays-Bas, l’Al­le­magne ou l’Es­pagne pla­fonnent les charges patro­nales annuelles autour de 5 000 à 11 000 euros avec des pla­fonds de salaires bruts entre 35 000 et 65 000 euros selon le pays (soit entre 10 % et 30 % du salaire brut jus­qu’au pla­fond). D’un autre côté, le Royaume- Uni ou l’Ir­lande n’ont pas de pla­fond mais appliquent un taux limi­té de l’ordre de 10 % à 13 %. L’I­ta­lie, enfin, applique un taux de 27 % jus­qu’à 89 000 euros et un taux mar­gi­nal de moins de 3% au-delà.

La France, quant à elle, a un sys­tème qua­si linéaire de 42 % de charges patro­nales effec­tif jus­qu’à plus de 275 000 euros de salaire brut (ensuite, le taux est rame­né à 23 %). On en déduit deux prin­ci­paux cas de figures concer­nant l’é­cart de com­pé­ti­ti­vi­té entre les entre­prises fran­çaises et leurs concur­rentes en Europe (à niveau de salaire com­pa­rable). Pour les sala­riés rému­né­rés à moins de 60 000- 70 000 euros bruts annuels, le han­di­cap sur le coût du tra­vail est de l’ordre de 10 % à 20% pour la France. Pour les sala­riés ayant une rému­né­ra­tion supé­rieure à 70000 euros bruts annuels, ce han­di­cap peut dépas­ser les 30% en fonc­tion de la rému­né­ra­tion consi­dé­rée, en rai­son du non-pla­fon­ne­ment des charges et du taux mar­gi­nal le plus éle­vé au sein de ce groupe de pays.

Un écart de masse sala­riale totale d’en­vi­ron 13 % avec l’Al­le­magne et pou­vant atteindre 22% avec les Pays-Bas

Surcoûts pour les transporteurs aériens français

Le trans­port aérien de pas­sa­gers fait par­tie des sec­teurs libé­ra­li­sés où la concur­rence est par­ti­cu­liè­re­ment forte. Concur­rence ini­tia­le­ment entre com­pa­gnies natio­nales (com­pa­gnies euro­péennes, mais aus­si amé­ri­caines et asia­tiques), mais qui depuis une dizaine d’an­nées s’in­ten­si­fie avec des acteurs tota­le­ment indé­pen­dants, au posi­tion­ne­ment dit low-cost ou hybrid. Ces der­niers acteurs, qui jouissent d’une liber­té d’ins­tal­la­tion vis-à-vis des com­pa­gnies his­to­riques, réa­lisent ain­si des choix stra­té­giques dans la loca­li­sa­tion de leurs bases opé­ra­tion­nelles (siège social, rat­ta­che­ment des per­son­nels navi­gants, ou bases de main­te­nance) : ces choix sont en par­tie dic­tés en Europe par les régimes socio-fis­caux des dif­fé­rents pays membres. L’im­pli­ca­tion des dif­fé­rences exis­tant entre les divers régimes socio-fis­caux euro­péens sur la com­pé­ti­ti­vi­té des coûts est ain­si quo­ti­dienne pour les acteurs fran­çais du sec­teur (Air France en tête), en pre­mier lieu sur les lignes inter­na­tio­nales, mais aus­si sur les lignes domes­tiques. Nous avons récem­ment appro­fon­di la ques­tion de la com­pé­ti­ti­vi­té des trans­por­teurs aériens basés en France par rap­port à leurs concur­rents directs. La masse sala­riale repré­sente envi­ron un tiers de la struc­ture de coûts d’une com­pa­gnie aérienne. Une com­pa­gnie comme Air France, qui a pour­tant un des plus vastes réseaux inter­na­tio­naux, a 90% de son per­son­nel basé en France et donc sou­mis au cadre socio-fis­cal fran­çais. Compte tenu de la haute qua­li­fi­ca­tion néces­saire à l’exer­cice de la pro­fes­sion (pilotes, per­son­nel navi­gant com­mer­cial, ingé­nieurs de main­te­nance, ingé­nieurs com­mer­ciaux), une part signi­fi­ca­tive de la masse sala­riale de la com­pa­gnie entre dans la zone de han­di­cap concur­ren­tiel men­tion­née plus haut. Il en résulte un écart de masse sala­riale totale d’en­vi­ron 13 % avec l’Al­le­magne et pou­vant atteindre 22% avec les Pays-Bas (voir illus­tra­tion ci-dessus).

Rame­né au chiffre d’af­faires, l’é­cart de com­pé­ti­ti­vi­té coût est de 4 à 6 points par rap­port aux autres com­pa­gnies euro­péennes (écart struc­tu­rel pays, hors écart de rému­né­ra­tion addi­tion­nel éven­tuel). Cet écart est à mettre en regard des faibles marges des opé­ra­teurs aériens, qui étaient de l’ordre de 2 % à 3% en moyenne dans le monde pour l’an­née 2010 (les acteurs les plus ren­tables étant les low-cost, basés dans des pays à l’en­vi­ron­ne­ment plus favo­rable). Cette com­pé­ti­ti­vi­té des coûts ins­ti­tuée par le régime socio-fis­cal fran­çais se tra­duit ain­si direc­te­ment en une com­pé­ti­ti­vi­té des prix sur un mar­ché for­te­ment concurrentiel.

Un frein à l’emploi dans les secteurs de pointe

On peut s’in­ter­ro­ger sur le han­di­cap de com­pé­ti­ti­vi­té des sec­teurs auto­mo­bile, chi­mie, ingé­nie­rie, pharmaceutique

L’emploi fran­çais dans les indus­tries à forte valeur ajou­tée et à forte tech­ni­ci­té se trouve donc lour­de­ment péna­li­sé. Ce han­di­cap est emblé­ma­tique dans le sec­teur aérien car celui-ci com­bine quatre élé­ments : une forte part de la masse sala­riale dans le coût total des entre­prises ; un modèle opé­ra­tion­nel qui met direc­te­ment en concur­rence des employés régis par divers sys­tèmes en fonc­tion des choix de loca­li­sa­tion des bases opé­ra­tion­nelles ; une pro­por­tion rela­tive impor­tante d’employés qua­li­fiés ayant les rému­né­ra­tions asso­ciées ; enfin, un envi­ron­ne­ment concur­ren­tiel ten­du avec de faibles marges (donc une capa­ci­té limi­tée à absor­ber l’é­cart de coût par de moindres pro­fits). Il n’en est pas moins effec­tif dans de nom­breuses autres indus­tries fran­çaises ayant recours à un emploi hau­te­ment qua­li­fié. On peut ain­si s’in­ter­ro­ger sur le han­di­cap de com­pé­ti­ti­vi­té des sec­teurs auto­mo­bile, chi­mie, ingé­nie­rie, phar­ma­ceu­tique… où le vivier de com­pé­tences fran­çaises est concur­ren­cé par nos voi­sins euro­péens aux régimes socio-fis­caux plus favo­rables aux entreprises.

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