Pascal Pia et André Malraux.

Celui qui néant

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°708 Octobre 2015Rédacteur : Jonathan CHICHE (05)

En 1924 parais­sait, à l’enseigne reven­di­quée d’une « Librai­rie par­ti­cu­lière » de Bruxelles, par les soins de l’hypothétique Impri­me­rie de Sainte-Gudule, une pla­quette de dix-huit pages, dont quatre blanches, inti­tu­lée Com­plé­ment au bou­quet d’orties, que le sous-titre pré­sen­tait comme regrou­pant des « poé­sies de Pas­cal Pia déro­bées à l’auteur et ornées d’une pointe-sèche gra­vée par Pierre l’Espagnol », cette der­nière expres­sion dési­gnant Pere Creixams.

L’ouvrage, dont la jus­ti­fi­ca­tion de tirage ne men­tionne que trente exem­plaires, se com­po­sait de textes écar­tés, du fait de leur liber­té de ton, d’un recueil que Gal­li­mard se trou­vait sur le point d’éditer – d’où le titre.

Pas­cal Pia et André Malraux.

L’auteur ayant fina­le­ment déci­dé de détruire ce der­nier texte, il note­rait, des années plus tard, dans sa biblio­gra­phie des ouvrages de l’Enfer de la Biblio­thèque natio­nale, que ce Com­plé­ment n’était venu s’ajouter à rien.

Pas­cal Pia, né Pierre Durand en 1903, témoi­gnait d’une pré­co­ci­té cer­taine, à laquelle la guerre, où son père fut tué, n’était pro­ba­ble­ment pas étran­gère. S’il n’avait pas fait preuve publi­que­ment de ses talents lit­té­raires à l’âge auquel Minou Drouet s’exposait à l’inébranlable incré­du­li­té d’André Bre­ton comme à la vin­dicte indigne de Jean Coc­teau, c’est la tra­jec­toire de Rim­baud que son par­cours pour­rait davan­tage évo­quer, du moins par son refus, dans un second temps, de pré­tendre à la recon­nais­sance littéraire.

En ce domaine, aux rares pre­mières œuvres parues sous le pseu­do­nyme par lequel il est connu ne s’ajoutent guère que des textes publiés sous des noms d’emprunt aux­quels ils ne fai­saient géné­ra­le­ment point d’injure, qu’il s’agît d’Apollinaire, Baudelaire,

André Mal­raux ne sera du reste pas tou­jours étran­ger à ce genre d’entreprises édi­to­riales auda­cieuses, dont des édi­teurs de La Pléiade se mon­tre­ront dupes. S’il est désor­mais d’usage de décla­rer cer­tains de ces textes comme évi­dem­ment apo­cryphes, c’est qu’ils le sont de noto­rié­té publique – il n’en va pas de même de tous.

Le prin­ci­pal spé­cia­liste d’un de ces auteurs esti­mait pour sa part – car il se mon­trait de bonne foi, lui – les faux de Pia aus­si bons, sinon meilleurs, que les textes authentiques.

Par la suite, Pia s’effacera d’une autre façon der­rière les œuvres des autres, notam­ment par l’exercice de la cri­tique lit­té­raire, à laquelle il s’astreignit pour l’hebdomadaire Car­re­four de 1954 à 1977, cette œuvre fai­sant depuis bien­tôt trente-cinq ans l’objet d’un pro­jet de publi­ca­tion dont trois volumes ont déjà vu le jour. On peut espé­rer qu’ils fini­ront par per­mettre de pla­cer Pas­cal Pia, du moins dans ce domaine, à la place de pre­mier plan qui lui revient.

Il aimait à citer les vers de Ronsard,

Avant que l’homme passe outre la rive noire,
L’honneur de son tra­vail ne luy est point don­né.

Lui-même ne paraît pas avoir tenu à ce que son exis­tence démen­tît les paroles du poète. Quand on sait l’énergie qu’il déployait à s’imposer des tâches ingrates exté­nuantes et l’ardeur qu’il semble avoir mise à se détruire, on peut se trou­ver ten­té de lui appli­quer ce qu’il écri­vait de Michel Lei­ris : « Il n’a de dure­tés que pour lui-même, mais le trai­te­ment qu’il s’inflige s’accompagne de bon­heurs d’expression.

Bibliographie sélective :

Complément au bouquet d’orties, Bruxelles, Librairie particulière, 1924.
Pascal Pia, Les lettres nouvelles, 1981.
Feuilletons littéraires, Fayard, 1999–2000.
Histoires littéraires, numéro 35, 2008.
Chroniques littéraires, Tusson, du Lérot, 2012.

Il aurait droit à une place émi­nente dans une antho­lo­gie consa­crée au vice de l’homme, c’est-à-dire au maso­chisme. » Pia récla­mait le Barathre pour une œuvre per­son­nelle qu’il dépré­ciait, affir­mant non sans jus­tesse : « [Le] jour­na­lisme […] n’est jamais que de la sous-littérature. »

Qu’il s’agisse de jour­na­lisme ou de lit­té­ra­ture, il serait temps que l’honneur de son tra­vail lui soit donné.

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