Caractériser et comprendre les entreprises les plus performantes

Dossier : Gérer en période de criseMagazine N°638 Octobre 2008
Par Sylvie OUZIEL

Repères
L’Ins­ti­tut Accen­ture pour la haute per­for­mance, fon­dé en 1996 et basé à Bos­ton, a déve­lop­pé et bre­ve­té en 2004 une métho­do­lo­gie d’a­na­lyse des fac­teurs de la performance.

Repères
L’Ins­ti­tut Accen­ture pour la haute per­for­mance, fon­dé en 1996 et basé à Bos­ton, a déve­lop­pé et bre­ve­té en 2004 une métho­do­lo­gie d’a­na­lyse des fac­teurs de la performance.
Cette métho­do­lo­gie est uti­li­sée pour pas­ser au crible de la per­for­mance les 6 000 pre­mières entre­prises mon­diales mais éga­le­ment de manière plus foca­li­sée pour com­prendre cer­tains sec­teurs indus­triels ou cer­taines grandes fonc­tions de l’entreprise.
L’ob­jec­tif est d’i­den­ti­fier les acteurs sur­per­for­mants, d’a­na­ly­ser leurs carac­té­ris­tiques et d’en tirer des ensei­gne­ments ali­men­tant la pra­tique de conseil d’Ac­cen­ture auprès de ses clients.
L’Ins­ti­tut tra­vaille en étroite col­la­bo­ra­tion avec des uni­ver­si­taires et publie régu­liè­re­ment ses tra­vaux, notam­ment dans Har­vard Busi­ness Review.

Cinq critères financiers et boursiers

La métho­do­lo­gie déve­lop­pée par l’Ins­ti­tut pour la haute per­for­mance défi­nit objec­ti­ve­ment les High Per­for­mers à tra­vers cinq cri­tères finan­ciers et bour­siers : la » pro­fi­ta­bi­li­té » tra­duite par l’é­cart entre le coût moyen pon­dé­ré du capi­tal et le retour sur les capi­taux inves­tis ; la » crois­sance » mesu­rée par le taux de crois­sance moyen du chiffre d’af­faires ; la » lon­gé­vi­té » expri­mée par le retour total aux action­naires (divi­dendes et plus-value d’ac­tions) ; la » valeur des pro­messes » qui cor­res­pond à la dif­fé­rence entre la capi­ta­li­sa­tion bour­sière de l’en­tre­prise et la valeur nette actua­li­sée des cash­flows que l’en­tre­prise déga­ge­rait si on extra­po­lait ses per­for­mances actuelles ; la valeur des pro­messes per­met donc de cer­ner la part qui, dans le cours de l’ac­tion, anti­cipe dès à pré­sent une crois­sance future des cash­flows por­tée par de nou­veaux pro­duits, de nou­veaux ser­vices, une expan­sion géo­gra­phique ou encore par une réduc­tion des coûts amé­lio­rant la pro­fi­ta­bi­li­té ; et enfin, la » cohé­rence « , appro­chée à par­tir de l’a­na­lyse de la varia­bi­li­té des per­for­mances de l’en­tre­prise sur trois, cinq et sept ans sur les quatre cri­tères ci-des­sus ; la cohé­rence cap­ture le carac­tère sou­te­nu et durable de la per­for­mance de l’en­tre­prise par oppo­si­tion à une per­for­mance » en dents de scie » mar­quée par des » hauts et des bas « .

6000 entre­prises étu­diées rétrospectivement 

Ces cinq cri­tères sont étu­diés en rela­tif sur le panel des 6 000 entre­prises, sur une période rétros­pec­tive de trois, cinq et sept ans dans le but d’i­den­ti­fier les acteurs qui ont dépas­sé sys­té­ma­ti­que­ment leurs pairs, année après année, en dépit des cycles éco­no­miques plus ou moins favorables.

Le gra­phique ci-après pré­sente, sur l’é­chan­tillon étu­dié des 6 000 entre­prises, l’é­cart de per­for­mance sur les quatre pre­miers cri­tères, entre les High Per­for­mers, les Low Per­for­mers et la moyenne des entre­prises de l’échantillon.

Comprendre les caractéristiques des High Performers

Une fois les High Per­for­mers iden­ti­fiés à tra­vers une ana­lyse quan­ti­ta­tive, finan­cière et bour­sière, objec­ti­vant les per­for­mances sur un hori­zon à moyen et long terme, l’é­tude s’at­tache à com­prendre les carac­té­ris­tiques de ces entre­prises par rap­port à leurs pairs afin de tirer des cor­ré­la­tions éclai­rantes entre per­for­mances et carac­té­ris­tiques (sans pour autant pou­voir par­ler de lien de cause à effet, bien évidemment).

Être per­for­mant aujourd’hui tout en se réin­ven­tant pour demain 

Les carac­té­ris­tiques des entre­prises sont étu­diées dans trois dimen­sions com­plé­men­taires : le posi­tion­ne­ment mar­ché et le ciblage ; les capa­ci­tés dis­tinc­tives ; la culture et la capa­ci­té d’ac­tions col­lec­tives. Afin d’illus­trer les résul­tats de cette démarche métho­do­lo­gique, nous pou­vons par­ta­ger, au niveau de l’é­chan­tillon des 6 000 entre­prises, quelques obser­va­tions assez géné­rales sur les carac­té­ris­tiques des High Per­for­mers dans ces trois dimen­sions. En termes de posi­tion­ne­ment de mar­ché et de ciblage, les High Per­for­mers gèrent acti­ve­ment la créa­tion et la maxi­mi­sa­tion de valeurs pour l’ac­tion­naire ; pro­filent leur por­te­feuille d’ac­ti­vi­tés afin de res­ter posi­tion­nés sur des mar­chés pro­fi­tables et en crois­sance, ren­trant et sor­tant d’ac­ti­vi­tés en fonc­tion de l’é­vo­lu­tion des fon­da­men­taux éco­no­miques ; savent pilo­ter plu­sieurs hori­zons de temps : être per­for­mant aujourd’­hui tout en se réin­ven­tant pour demain ; s’at­tachent à maxi­mi­ser la valeur créée sur leurs acqui­si­tions au-delà de leur simple conso­li­da­tion finan­cière, cela peut pas­ser par une mutua­li­sa­tion sur cer­tains sujets ou par le déploie­ment sys­té­ma­tique de pra­tiques de ges­tion effi­cientes et dif­fé­ren­ciées (de type bench­mark, culture du résul­tat, démarche qua­li­té ou actions de pro­grès conti­nu à tout niveau de l’entreprise).

En termes de capa­ci­tés dis­tinc­tives, les High Per­for­mers sont agiles et rapides dans le déploie­ment d’i­ni­tia­tives sur l’en­semble de l’or­ga­ni­sa­tion, qu’il s’a­gisse de lan­ce­ment d’un pro­duit, de démarche de pro­grès conti­nu, d’ac­tions de réduc­tion de coûts ou de refo­ca­li­sa­tion ; allouent le capi­tal en cohé­rence avec la stra­té­gie, d’une manière très ali­gnée ; savent allier pro­grès conti­nu et inno­va­tion dis­rup­tive majeure ; équi­librent stra­té­gie de conquête et dis­ci­pline d’exé­cu­tion ; excellent par­ti­cu­liè­re­ment dans les pro­ces­sus liés au ser­vice client.

En termes de culture d’en­tre­prise et de capa­ci­tés d’ac­tions col­lec­tives, les High Per­for­mers revi­sitent régu­liè­re­ment leur orga­ni­sa­tion afin de s’as­su­rer qu’elle est en phase avec la stra­té­gie et les objec­tifs opé­ra­tion­nels : ils savent gérer les tran­si­tions orga­ni­sa­tion­nelles rapi­de­ment et effi­ca­ce­ment en tirant les béné­fices du chan­ge­ment tout en limi­tant et mini­mi­sant les per­tur­ba­tions et incer­ti­tudes ; empruntent dif­fé­rentes voies pour assu­rer effi­cience et réac­ti­vi­té de l’or­ga­ni­sa­tion : ils pri­vi­lé­gient les déci­sions cen­tra­li­sées et les sché­mas har­mo­ni­sés pour ce qui est des entre­prises nord-amé­ri­caines mais favo­risent, à l’in­verse, la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des enti­tés sur les résul­tats avec une forte liber­té sur les moyens (mis à part le contrôle ou l’har­mo­ni­sa­tion de quelques points cri­tiques iden­ti­fiés) pour ce qui est des entre­prises d’Eu­rope conti­nen­tale ; assurent acti­ve­ment la fer­ti­li­sa­tion croi­sée entre les acti­vi­tés de leur por­te­feuille par trans­ferts de tech­no­lo­gie, échanges de bonnes pra­tiques ou bench­mark sur les per­for­mances d’une part ou encore par la mobi­li­té des indi­vi­dus entre acti­vi­tés pour essai­mer les com­pé­tences ; dif­fusent une culture de pilo­tage et de résul­tat ; gèrent proac­ti­ve­ment la diver­si­té des talents notam­ment à tra­vers la mobi­li­té internationale.

L’in­dus­trie automobile
Cinq entre­prises asia­tiques (Toyo­ta, Nis­san, Suzu­ki, Hon­da, Hyun­dai) et une entre­prise euro­péenne (Porsche) répondent aux cri­tères finan­ciers et bour­siers des High Per­for­mers.
Le posi­tion­ne­ment et le ciblage des deux groupes sont clairs : gagner le mass mar­ket, d’une part, et notam­ment la clien­tèle des pays émer­gents pour laquelle il convient d’in­ven­ter des pro­duits répon­dant à leurs attentes en termes de prix de fonc­tion­na­li­tés et de canaux de dis­tri­bu­tion ; pré­emp­ter les caté­go­ries socio­pro­fes­sion­nelles aisées, d’autre part.
Deux capa­ci­tés dis­tinc­tives sont iden­ti­fiées pour l’in­dus­trie auto­mo­bile : l’ef­fi­cience opé­ra­tion­nelle (Lean Entre­prise) pas­sant par une opti­mi­sa­tion des achats (sur les plans tech­niques et com­mer­ciaux), une pro­duc­tion flexible et tirée par la demande, une qua­li­té pro­duit très maî­tri­sée et des fonc­tions » sup­port » pro­duc­tives ; la Cus­to­mer cen­tri­ci­ty repo­sant sur des cycles courts de déve­lop­pe­ment des pro­duits, une expé­rience client opti­mi­sée à tra­vers les dif­fé­rents canaux d’in­te­rac­tion avec celui-ci, la chasse à toute perte de temps ou temps d’at­tente dans le ser­vice client et, enfin, la mise en oeuvre de nou­veaux ser­vices télé­ma­tiques dans les véhi­cules selon un sché­ma répon­dant à des attentes et valo­ri­sé par le consommateur.
Enfin, en termes de culture et de capa­ci­tés d’ac­tions col­lec­tives, les High Per­for­mers auto­mo­biles se carac­té­risent par l’exis­tence d’un lea­der expri­mant et réa­li­sant une vision claire pour l’en­tre­prise ; un pro­ces­sus de déci­sion cen­tra­li­sé et un fort degré d’har­mo­ni­sa­tion des pra­tiques au niveau mon­dial ; une réelle ges­tion inter­na­tio­nale des talents.
Par ailleurs, les High Per­for­mers, quel que soit leur posi­tion­ne­ment, vont devoir se réin­ven­ter dans les années à venir pour inté­grer les consé­quences de la hausse du prix du pétrole et des pré­oc­cu­pa­tions envi­ron­ne­men­tales, condui­sant notam­ment à la mon­tée en puis­sance des véhi­cules élec­triques et hybrides.

Une approche qui s’applique à toute l’entreprise

Cette métho­do­lo­gie d’i­den­ti­fi­ca­tion des High Per­for­mers et d’a­na­lyse de leurs carac­té­ris­tiques propres est éga­le­ment appli­quée à des sec­teurs indus­triels (par exemple l’au­to­mo­bile : voir enca­dré), ou à des fonc­tions de l’entreprise.


En Europe, Porsche répond aux cri­tères finan­ciers et bour­siers des High Per­for­mers.

Par exemple, la métho­do­lo­gie a per­mis de consta­ter que les High Per­for­mers struc­turent leur fonc­tion » finance » autour de deux enjeux : être un par­te­naire pour le métier (un busi­ness part­ner) ; déli­vrer leurs ser­vices de manière effi­ciente (assu­rer la pro­duc­ti­vi­té transactionnelle).

Faire de la finance un busi­ness part­ner passe par la dif­fu­sion dans l’or­ga­ni­sa­tion d’une culture de pilo­tage et de résul­tat. Les mana­gers opé­ra­tion­nels sont habi­tués à réa­li­ser des busi­ness cases, à cal­cu­ler le retour sur inves­tis­se­ment de leurs déci­sions ou encore à pilo­ter le compte de résul­tat de leur enti­té. Cette ten­dance peut se résu­mer par » il n’y a pas que la finance qui fasse de la finance ! « . À l’in­verse, la finance ne fait pas que de la finance ! Les col­la­bo­ra­teurs finan­ciers s’im­pliquent de plus en plus dans des déci­sions stra­té­giques ou opé­ra­tion­nelles allant de la poli­tique d’ac­qui­si­tions et d’in­ves­tis­se­ments (afin de maxi­mi­ser la valeur créée pour l’en­tre­prise), à la revue opé­ra­tion­nelle des por­te­feuilles pro­duits et clients (pour ques­tion­ner notam­ment les lignes de pro­duits ou seg­ments de clients insuf­fi­sam­ment ren­tables) ou encore à la fixa­tion des objec­tifs de réduc­tion de stocks (afin d’op­ti­mi­ser le besoin en fonds de rou­le­ment de l’entreprise).

Le second axe de tra­vail porte sur les acti­vi­tés de la fonc­tion finance elle-même (comp­ta­bi­li­té géné­rale, comp­ta­bi­li­tés tiers, tré­so­re­rie, fis­ca­li­té, conso­li­da­tion, repor­ting…). Les High Per­for­mers attendent de cette fonc­tion qu’elle délivre ses ser­vices de manière pro­duc­tive, comme toute autre enti­té de pro­duc­tion de l’en­tre­prise. Il ne s’a­git pas seule­ment de réduire les coûts de la fonc­tion finance mais aus­si et sur­tout d’as­su­rer le bon niveau de qua­li­té et de sup­port, en éta­blis­sant une gou­ver­nance par­ta­gée du » rap­port qua­li­té prix » (de la value for money) de la fonc­tion finance. Quel délai de clô­ture, quel niveau de détail et de richesse dans les états de ges­tion… pour quel coût sup­por­té par l’entreprise ? 

Réduire les couts à qualité constante, ou améliorer la qualité à coût constant

Au-delà de l’é­ta­blis­se­ment de ce niveau de ser­vice et donc de coût atten­du, il est deman­dé à la fonc­tion finan­cière d’op­ti­mi­ser son propre » rap­port qua­li­té prix » dans la durée c’est-à-dire de réduire les coûts à qua­li­té constante ou d’a­mé­lio­rer la qua­li­té à coût constant, en déca­lant la courbe value for money vers le bas.

La fonc­tion finan­cière opti­mise son propre rap­port qualité-coût 

Les solu­tions mises en œuvre pour répondre à cette attente dif­fèrent d’une entre­prise à l’autre : bench­mark et déploie­ment des meilleures pra­tiques ; centres de ser­vices par­ta­gés gérés comme de véri­tables » usines de pro­duc­tion de ser­vices » per­met­tant de béné­fi­cier d’ef­fets d’é­chelle et d’ap­pren­tis­sage ain­si que d’un mana­ge­ment de proxi­mi­té s’axant sur le pro­grès conti­nu et la recherche de la pro­duc­ti­vi­té ; démarche de pro­grès conti­nu iden­ti­fiant les fac­teurs clés de qua­li­té pour un pro­ces­sus, éli­mi­nant les tâches ne contri­buant pas à ces fac­teurs de qua­li­té et met­tant sous contrôle sta­tis­tique les para­mètres qui, eux, vont influer sur les fac­teurs de qua­li­té (démarches de type Lean 6 Sig­ma) ; auto­ma­ti­sa­tion (scan­ning de fac­tures, recon­nais­sance optique de carac­tères, auto­fac­tu­ra­tion, EDI…).

Quels que soient les che­mins emprun­tés, la per­for­mance de la fonc­tion finance s’a­vère for­te­ment cor­ré­lée avec la per­for­mance géné­rale de l’entreprise.

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