Cantates, Chansons

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°678 Octobre 2012Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Une can­tate, éty­mo­lo­gi­que­ment, c’est « ce qui se chante » (can­ta­ta en ita­lien). Et si, grâce à Bach, nous clas­sons aujourd’hui les can­tates dans une caté­go­rie étroite et bien défi­nie, nous aurions toute lati­tude, pour peu que nous soyons pré­cieux ou pro­vo­ca­teurs, à consi­dé­rer qu’un Lied de Strauss ou une chan­son de Bras­sens sont des can­tates à une voix, avec accompagnement.

Bach et ses élèves

Saviez-vous que Bach, astreint par la muni­ci­pa­li­té de Leip­zig à pro­duire une nou­velle can­tate chaque dimanche, sub­sti­tuait sou­vent aux siennes, en toute léga­li­té, celles d’autres com­po­si­teurs et notam­ment de ses élèves (dix-huit fois dans la seule année 1726)?

Coffret du CD de l’ensemble vocal et instrumental Ex TemporeUn enre­gis­tre­ment récent de l’ensemble vocal et ins­tru­men­tal Ex Tem­pore1 pré­sente quatre de ces emprunts. Le Mag­ni­fi­cat de Johann Lud­wig Krebs est frais et bien écrit. La Mis­sa bre­vis du neveu Johann Lud­wig Bach est un très joli devoir d’élève. Mais la décou­verte inat­ten­due est celle des deux can­tates du jeune et célèbre cla­ve­ci­niste Johann Got­tlieb Gold­berg (que nous connais­sons bien par les Varia­tions qu’il aurait été, dit-on, le pre­mier à jouer), Durch die herz­liche Barm­ber­zi­gheit et Herr, die H e i l i g e n haben abge­nom­men : une merveille.

Elles sont évi­dem­ment très ins­pi­rées par l’exemple de Bach, mais elles sont (presque) du même niveau que celles du maître et de plus auda­cieu­se­ment nova­trices, ce qui est d’autant plus sur­pre­nant que Gold­berg avait, à l’époque, quinze ans. Quel maître, certes, mais quel disciple !

Deux autres disques per­mettent de faire la com­pa­rai­son avec le maître. Tout d’abord, par l’inégalable Col­le­gium Vocale Gent de Phi­lippe Her­re­we­ghe, quatre can­tates de 1723, la pre­mière année de Bach à Leip­zig2 : Herr, gehe nicht ins Gericht mit dei­nem Knecht ; Schauet doch und sehet, ob irgen­dein Schmerz sei ; Es is nichts Gesundes an mei­nem Leibe ; Warum betrübst du dich, mein Herr ? Les solistes sont excel­lents, en par­ti­cu­lier la sopra­no Hana Bla­zi­ko­va au timbre lim­pide et sans vibra­to, comme il se doit, Tho­mas Hobbs, ténor, et l’alto Damien Guillon.

Coffret du CD : Missa 1733, Bach par l'ensemble PygmalionSous le titre Mis­sa 1733, Pyg­ma­lion a enre­gis­tré, diri­gée par Raphaël Pichon, une mis­sa bre­vis de Bach qui se trouve être la ver­sion ori­gi­nale de la Messe en si et qui est com­po­sée du Kyrie et du Glo­ria3. L’effectif rela­ti­ve­ment réduit de l’orchestre (vingt-neuf ins­tru­men­tistes) et du choeur (vingt-cinq) ain­si que la jeu­nesse des inter­prètes confèrent à cette réa­li­sa­tion clar­té, trans­pa­rence et fraî­cheur, avec une grande rigueur tech­nique, et servent un qua­tuor de très bons solistes par­mi les­quels se détachent les deux sopra­nos Eugé­nie War­nier et Anna Reinhold.

Nueva España

Le vice-royaume de la Nou­velle- Espagne aura exis­té près de trois siècles avant de dis­pa­raître en 1821 après la guerre d’indépendance du Mexique.

Coffret du CD : Nueva Espana par l’ensemble Mare NostrumSa musique, qui a don­né nais­sance à la musique mexi­caine d’aujourd’hui, fait l’objet du disque enre­gis­tré par l’ensemble Mare Nos­trum avec la sopra­no Nora Tab­bush4.

On se méfie en géné­ral des exhu­ma­tions qui pré­sentent un inté­rêt essen­tiel­le­ment archéo­lo­gique. Rien de cela ici, car la musique mexi­caine, bien vivante, a si bien inté­gré ces apports his­pa­niques qu’on ne peut guère sépa­rer La media bam­ba qui ouvre le disque et qui date des années 1930 et El Tori­to, vieux de plu­sieurs siècles. Un disque joyeux, fin et dansant.

Ravel

Shé­hé­ra­zade, véri­table can­tate en trois mou­ve­ments – Asie, La flûte enchan­tée, L’indifférent – sur des poèmes de Tris­tan Kling­sor, a déjà été évo­quée dans ces colonnes dans la ver­sion de Renée Fle­ming. C’est la mez­zo-sopra­no fran­çaise Karine Deshayes qui l’interprète sur le disque récent de l’Orchestre phil­har­mo­nique du Luxem­bourg diri­gé par Emma­nuel Kri­vine, où figurent éga­le­ment ces valeurs sûres que sont Bolé­ro, La Valse, Albo­ra­da del gra­cio­so, Une barque sur l’océan, Pavane pour une infante défunte5.

Coffret du CD : Ravel par l’Orchestre philharmonique du Luxembourg dirigé par Emmanuel KrivineEmma­nuel Kri­vine, musi­cien fran­çais, est l’un des grands chefs d’aujourd’hui et l’Orchestre du Luxem­bourg, rela­ti­ve­ment peu connu, se révèle être l’un des meilleurs ensembles sym­pho­niques d’Europe, avec des cordes aus­si soyeuses que celles du Phil­har­mo­nique de Vienne et des bois subtils.

Mais la sur­prise la plus grande vient de la com­pa­rai­son entre l’interprétation de Karine Deshayes et la ver­sion de Renée Fle­ming, qui nous sem­blait jusqu’à ce jour inéga­lée : la pre­mière est ronde, mys­té­rieuse, envoû­tante sans sol­li­ci­ter l’auditeur, et plus en situa­tion avec le texte de Kling­sor et la musique sen­suelle et déli­cieu­se­ment véné­neuse de Ravel, qui gagne à ce que la voix observe une cer­taine dis­tance. De l’opium en musique.

RECTIFICATIF : LES DIXIE SENIORS
C’est au Petit Jour­nal Saint-Michel (et non Mont­par­nasse) que le sym­pa­thique groupe des Dixie Seniors (X 45) se pro­duit le 3e mer­cre­di de chaque mois (et non le 1er). Qu’on se le dise !

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1. CD RICERCARE
2. CD OUTHERE.
3. CD ALPHA
4. CD ALPHA
5. CD ZIG-ZAG.

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