Brevet, licence et stratégie d’entreprise

Dossier : La propriété intellectuelle : Défendre la créationMagazine N°672 Février 2012
Par Jean-Charles HOURCADE (75)

REPÈRES

REPÈRES
La fonc­tion pre­mière du bre­vet est d’assurer la pro­tec­tion d’une inno­va­tion tech­nique, pro­tec­tion sans laquelle nombre d’acteurs hési­te­raient à inves­tir dans des pro­grammes de recherche et déve­lop­pe­ment. Le bre­vet accorde à l’inventeur une exclu­si­vi­té dans l’exploitation du pro­cé­dé bre­ve­té, pen­dant une durée géné­ra­le­ment de vingt ans, pour le pays dans lequel le bre­vet est valide, et le pro­tège contre la contre­fa­çon. Si le déten­teur de bre­vet détecte un tiers contre­fac­teur, il a la pos­si­bi­li­té de lui inter­dire la pour­suite de la pro­duc­tion de pro­duits uti­li­sant indû­ment le pro­cé­dé protégé.

Des entre­prises en nombre crois­sant ont com­pris qu’il est impor­tant de dépo­ser des bre­vets pour pro­té­ger leurs inno­va­tions et leurs pro­duits. Celles qui les uti­lisent pour déga­ger des reve­nus addi­tion­nels en concé­dant des licences à des tiers sont en revanche beau­coup moins nom­breuses. Celles qui font de la ges­tion de leur pro­prié­té intel­lec­tuelle et de leurs bre­vets un fon­de­ment de leur stra­té­gie sont encore plus rares.

La concession de licences

Le refus d’Apple
Le refus de licen­cier peut s’observer dans des mar­chés comme l’électronique ou l’informatique. Apple en est un exemple : dis­po­sant d’une posi­tion com­mer­ciale très forte construite sur la faci­li­té d’utilisation de ses pro­duits, la firme refuse avec constance de licen­cier ses droits de pro­prié­té intel­lec­tuelle afin de pro­té­ger ses tarifs éle­vés. Apple déploie désor­mais cette stra­té­gie sur le ter­rain juridique.

Le déten­teur d’un bre­vet peut concé­der à des tiers des licences d’exploitation, c’est-à-dire les auto­ri­ser à exploi­ter le pro­cé­dé pro­té­gé, moyen­nant paie­ment de rede­vances. Il renonce impli­ci­te­ment au mono­pole que lui confère le bre­vet. D’un point de vue éco­no­mique, les rede­vances per­çues des indus­triels licen­ciés doivent com­pen­ser la baisse atten­due des marges de l’inventeur. Ce rai­son­ne­ment n’est pas tou­jours valable. Dans des mar­chés fer­més où inter­viennent peu d’acteurs, il est sou­vent pré­fé­rable de refu­ser la conces­sion de licences et d’exploiter plei­ne­ment la capa­ci­té d’exclusion confé­rée par le brevet.

Des licences non exclusives

Com­pen­ser des rede­vances faibles par de grands volumes

Dans des mar­chés très ouverts, comme l’électronique ou l’informatique, où inter­viennent un grand nombre d’acteurs, mar­qués par le foi­son­ne­ment des tech­no­lo­gies et des inno­va­tions, l’usage est de concé­der très lar­ge­ment des licences non exclu­sives. Les rede­vances uni­taires sont géné­ra­le­ment faibles, mais c’est com­pen­sé par de gros volumes de production.

Vente de produits et concession de licences

Il n’est pas for­cé­ment évident de faire coexis­ter deux modèles d’affaires fon­dés res­pec­ti­ve­ment sur la vente de pro­duits et sur la conces­sion de licences. En effet, si le licen­cié est un concur­rent direct, chaque vente qu’il réa­lise se tra­duit par une marge nette très infé­rieure à celle réa­li­sée par l’industrie du déten­teur. Certes les coûts mar­gi­naux et le risque indus­triel sont à peu près nuls (une fois l’investissement de recherche réa­li­sé), mais l’absorption de coûts de struc­ture est éga­le­ment qua­si nulle, et la géné­ra­li­sa­tion sans pré­cau­tion de ce modèle peut conduire à la dis­pa­ri­tion de l’activité pro­duc­tive en propre. Une acti­vi­té d’innovation per­ma­nente per­met au déten­teur de main­te­nir un dif­fé­ren­tiel constant à l’égard de ses licen­ciés. Cette acti­vi­té inven­tive per­ma­nente se tra­duit éga­le­ment par un flux de dépôts de nou­veaux bre­vets, qui vont ren­for­cer le por­te­feuille de droits.

Équi­table, rai­son­nable et non discriminatoire
Le « Graal » dans la conces­sion de licences est atteint quand un bre­vet pro­tège un pro­cé­dé néces­saire à la mise en confor­mi­té avec une norme inter­na­tio­nale. La déten­tion du bre­vet équi­vaut alors pra­ti­que­ment à un droit de battre mon­naie. Tout indus­triel sou­hai­tant pro­duire un pro­duit conforme est obli­gé d’utiliser le pro­cé­dé, et donc, s’il veut être en règle avec le droit inter­na­tio­nal, de prendre une licence et de ver­ser des rede­vances au déten­teur du bre­vet. Les contri­bu­tions aux orga­nismes de nor­ma­li­sa­tion sont étroi­te­ment enca­drées. Il est géné­ra­le­ment deman­dé aux contri­bu­teurs de s’engager à l’avance à concé­der des licences, de façon à empê­cher la for­ma­tion de mono­poles, et à le faire à des condi­tions équi­tables, rai­son­nables éco­no­mi­que­ment, et non dis­cri­mi­na­toires (d’où le fameux acro­nyme FRAND pour fair, rea­so­nable and non dis­cri­mi­na­to­ry ). L’interprétation de ces notions donne lieu à d’âpres dis­putes, le plus sou­vent litigieuses.

Se maintenir à la pointe de la technologie

L’innovation per­ma­nente per­met de main­te­nir un dif­fé­ren­tiel constant à l’égard des licenciés

Un excellent exemple est four­ni par la socié­té amé­ri­caine Dol­by, célèbre par son logo appo­sé sur des équi­pe­ments audio fabri­qués par des indus­triels licen­ciés. Dol­by conti­nue à conce­voir et à pro­duire des équi­pe­ments pro­fes­sion­nels, ce qui lui per­met de se main­te­nir à la pointe de la tech­no­lo­gie dans un contexte concur­ren­tiel, et de renou­ve­ler en per­ma­nence ses bre­vets. Dol­by tire les deux tiers de son chiffre d’affaires (près d’un mil­liard de dol­lars en 2010) de ses acti­vi­tés de licen­sing. On exploite ici la dua­li­té entre mar­chés pro­fes­sion­nels (faibles volumes, prix éle­vés, forte inten­si­té de recherche et déve­lop­pe­ment) et mar­chés grand public (grands volumes, prix bas, inten­si­té R&D moyenne).

Intégrer la propriété intellectuelle

Après la stra­té­gie indus­trielle et la stra­té­gie pro­duit, il faut inté­grer la stra­té­gie « pro­prié­té intel­lec­tuelle » comme élé­ment fon­da­men­tal de la stra­té­gie de l’entreprise. Il s’agit alors d’intégrer plei­ne­ment les effets de l’acceptation de ses tech­no­lo­gies par le mar­ché (par exemple, par un effort déter­mi­né de nor­ma­li­sa­tion) et de por­ter l’horizon de réflexion stra­té­gique à cinq ou dix ans.

Inver­ser l’équation
Une autre réponse peut consis­ter à inver­ser les termes de l’équation. Dans le cas des pro­duits audio MP3, les logi­ciels de codage-déco­dage étaient four­nis gra­tui­te­ment aux licen­ciés des bre­vets cou­vrant les tech­no­lo­gies sous-jacentes, les rede­vances étant cal­cu­lées en fonc­tion du volume de pro­duits. Ce modèle s’est révé­lé infi­ni­ment plus effi­cace pour la péné­tra­tion du MP3 que celui qui consiste à fac­tu­rer des licences de logi­ciels sans sup­port de bre­vets. Un concur­rent basé dans un pays à bas coût de main-d’œuvre peut faire bais­ser arbi­trai­re­ment le coût de pro­duc­tion du logi­ciel ; en revanche le prix de la licence ne dépend que de fac­teurs d’attractivité et d’acceptabilité, et est, in fine, cor­ré­lé à la marge brute moyenne réa­li­sée par l’industrie dans son ensemble sur le produit.

L’un des exemples les plus abou­tis de cette inté­gra­tion est four­ni par la socié­té amé­ri­caine Qual­comm, qui génère un tiers de son chiffre d’affaires (11 mil­liards de dol­lars) par les rede­vances de ses bre­vets. Cer­tains peuvent lui repro­cher de ne déve­lop­per des offres indus­trielles qu’à la seule fin de pro­mou­voir ses tech­no­lo­gies bre­ve­tées au sein des orga­nismes de nor­ma­li­sa­tion. D’autres observent qu’ils sont tout sim­ple­ment plus cohé­rents et plus métho­diques que leurs concur­rents, qu’ils pla­ni­fient plus long­temps à l’avance, ou qu’ils pèsent plus soi­gneu­se­ment dans chaque déci­sion les risques et oppor­tu­ni­tés dans la dimen­sion des pro­duits comme dans celle des licences.

La technologie avant les produits

Ce type de rai­son­ne­ment n’est nul­le­ment réser­vé à de très grandes entre­prises. Toute entre­prise réus­sis­sant à gagner une influence signi­fi­ca­tive dans le seg­ment de tech­no­lo­gie et de mar­ché qu’elle couvre, aus­si fin soit-il, est en mesure de le conce­voir et de le déployer. La condi­tion néces­saire est de s’astreindre à un rai­son­ne­ment stra­té­gique por­tant sur l’horizon du renou­vel­le­ment des tech­no­lo­gies sous-jacentes plu­tôt que des pro­duits, et bien enten­du de pour­suivre un inves­tis­se­ment au long cours en recherche et en inno­va­tion. La com­pré­hen­sion de cet enjeu devient capi­tale pour le suc­cès du tis­su indus­triel euro­péen. Face à l’activisme d’acteurs spé­cia­li­sés dans une approche liti­gieuse, face aux appé­tits des géants asia­tiques qui gran­dissent sur les aspects de la pro­prié­té intel­lec­tuelle, le bre­vet achève sa mue d’un objet défen­sif en un actif déli­bé­ré­ment tour­né vers la conquête et s’invite à l’agenda des conseils d’administration.

Commentaire

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Gwo­dog Pem Siegfridrépondre
3 juin 2017 à 16 h 53 min

ces­sion de licence d’ex­ploi­ta­tion
je suis deten­teur d’une demande de bre­vet dont le titre est sti­pu­lé : pro­cé­dé de cal­cul d’Am­pli­tude ther­mique du ther­mo­plat , une inven­tion d’un cha­pitre de phy­siques ; j’en recherche les conces­sion­naires ou uni­ver­si­tés qui sol­li­citent les chaires.

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