Rhinogrades, sous le lampadaire du changement climatique.

Biodiversité et climat : le janus du changement global

Dossier : Le changement climatique ........................ 1ere partie : Les ImpactsMagazine N°679 Novembre 2012
Par Robert BARBAULT
Par Jacques WEBER

La biodiversité, un mot neuf

La biodiversité, un mot neuf

La science du cli­mat a consi­dé­ra­ble­ment pro­gres­sé depuis la confé­rence de Stock­holm en 1972 et sur­tout depuis 1988, date de créa­tion du Groupe inter­gou­ver­ne­men­tal d’experts sur le cli­mat (GIEC). Le domaine de la bio­di­ver­si­té s’est consti­tué plus récem­ment, le mot lui-même étant créé par Wal­ter Rosen en 1985. Et c’est seule­ment en 2011 que l’équivalent du GIEC pour la bio­di­ver­si­té est créé à Nagoya, sous le nom de Groupe inter­gou­ver­ne­men­tal sur la bio­di­ver­si­té et les ser­vices éco­sys­té­miques (GIBSE ou, en anglais, IPBES).

REPÈRES
La bio­sphère consti­tue un sys­tème vivant unique, pla­né­taire, avec par­tout de l’ARN et de l’ADN dans tous les orga­nismes vivants. Ce sys­tème vivant a conquis l’ensemble de la pla­nète et pour ain­si dire tous les types de milieux, en quatre mil­liards d’années d’inventions, d’adaptation, d’évolution (bel exemple de déve­lop­pe­ment « durable »). On oublie que l’atmosphère actuelle a été créée par le monde vivant qui a rem­pla­cé le CO2 et le méthane ambiants anté­rieurs par de l’oxygène, his­toire enta­mée il y a plus de deux mil­liards d’années. Les cya­no­bac­té­ries et la pho­to­syn­thèse ont joué le rôle prin­ci­pal dans ce qui fut, ini­tia­le­ment, la pre­mière pol­lu­tion majeure : l’oxygène.

Les inter­ac­tions entre le monde du vivant et la pla­nète sont multiples

Peut-être faut-il voir dans ce déca­lage tem­po­rel de deux ensembles scien­ti­fiques la pré­émi­nence intel­lec­tuelle et poli­tique du chan­ge­ment cli­ma­tique et le fait que la ques­tion des rela­tions entre le monde vivant et le cli­mat soit géné­ra­le­ment pré­sen­tée en tant que « impacts du chan­ge­ment cli­ma­tique sur la bio­di­ver­si­té ». La bio­di­ver­si­té serait sim­ple­ment impac­tée, et non motrice dans la dyna­mique du climat.

Interactions multiples

Adap­ta­tion des espèces
Cer­taines espèces d’oiseaux, comme les mésanges, éclosent de plus en plus tôt tan­dis que les che­nilles dont les oisillons sont nour­ris n’ont pas modi­fié leur cycle : cette rup­ture de syn­chro­nie peut entraî­ner la dis­pa­ri­tion des mésanges et de graves inva­sions des frui­tiers par les che­nilles, mais il se peut aus­si que la syn­chro­nie se réta­blisse, du fait de la capa­ci­té d’adaptation du monde vivant. La sélec­tion natu­relle joue un rôle clé dans ces adap­ta­tions. Quelques mésanges sta­tis­ti­que­ment aber­rantes éclosent en syn­chro­nie avec les che­nilles et consti­tuent la garan­tie de sur­vie de l’espèce, alors même qu’elles n’auraient pas sur­vé­cu en envi­ron­ne­ment inchangé.

Si cette asy­mé­trie de sta­tuts assi­gnés au cli­mat et au vivant est his­to­ri­que­ment com­pré­hen­sible, elle n’en consti­tue pas moins une erreur de rai­son­ne­ment sus­cep­tible de lourdes consé­quences en matière de choix poli­tiques. Pour cla­ri­fier cet enjeu majeur, il faut se sou­ve­nir que les inter­ac­tions entre le monde du vivant et la pla­nète sont mul­tiples, comme en atteste la genèse de notre atmo­sphère. L’impact du chan­ge­ment cli­ma­tique sera donc un phé­no­mène com­plexe, non réduc­tible à une ana­lyse par espèces.

Le rôle des humains

La bio­di­ver­si­té réagit, migre, crée de nou­veaux écosystèmes

Les humains font par­tie inté­grante de la bio­sphère en tant qu’espèce – une espèce qui pèse de plus en plus dans l’écosystème, trans­forme les pay­sages, défo­reste, relargue du CO2 dans l’atmosphère par consu­ma­tion d’énergies fos­siles ; l’émission de CO2 en quan­ti­tés excé­dant les capa­ci­tés de sto­ckage du car­bone par les plantes, les sols, les océans ali­mente l’effet de serre et le réchauffement.

Rétroactions

Le chan­ge­ment cli­ma­tique, pro­duit de la dyna­mique de la bio­sphère, influe à son tour sur sa cause : il s’agit de boucles de rétro­ac­tion et non d’impacts uni­voques. Chan­ge­ment cli­ma­tique et dyna­mique de la bio­di­ver­si­té sont les deux faces d’un janus, le chan­ge­ment glo­bal. Déser­ti­fi­ca­tion, chan­ge­ment d’usages des terres, dégra­da­tion des sols, dépé­ris­se­ment des coraux, inva­sions d’espèces sont des élé­ments consti­tu­tifs de ces rétro­ac­tions cli­mat-bio­di­ver­si­té, autre­ment appe­lées chan­ge­ment glo­bal (voir figure 1).

La bio­di­ver­si­té réagit, migre, crée de nou­veaux écosystèmes

La bio­di­ver­si­té réagit, migre, crée de nou­veaux éco­sys­tèmes, les assem­blages d’espèces se modi­fient, et l’espèce clé de voûte pla­né­taire, celle des êtres humains, génère des inva­sions bio­lo­giques qui ali­mentent ces trans­for­ma­tions. Le chan­ge­ment cli­ma­tique conduit à l’effondrement des sys­tèmes agraires tro­pi­caux et contraint des popu­la­tions à migrer : comme tant d’autres espèces, les êtres humains réagissent aus­si par le dépla­ce­ment. Pour autant, les bilans ne sont pas faciles à éta­blir sous l’angle du chan­ge­ment. La perte de végé­ta­tion en milieu tro­pi­cal et l’envahissement de la toun­dra par les arbustes ne se com­pensent pas. Sous l’angle de la bio­di­ver­si­té, la plante cache la mul­ti­tude d’interactions qui dis­pa­raît avec elle.

Disparitions et migrations

Les impacts des chan­ge­ments cli­ma­tiques sont sou­vent envi­sa­gés sous l’angle des dis­pa­ri­tions pos­sibles d’espèces. En fait, l’impact sys­té­mique est le plus impor­tant. Le réchauf­fe­ment conduit les espèces à migrer, lorsqu’elles le peuvent, ou à dépérir.

FIGURE 1​
La bio­di­ver­si­té, ici des Rhi­no­grades (Gras­sé, 1962), sous le lam­pa­daire du chan­ge­ment cli­ma­tique. N.B. : l’impact de la diver­si­té des Rhi­no­grades sur le chan­ge­ment cli­ma­tique est peu connu, les cher­cheurs sus­pec­tant un rôle majeur de leur carac­tère, très réac­tif à la pol­lu­tion et à l’encombrement des sinus qui en résulterait.

Il en est ain­si des récifs coral­liens mas­si­ve­ment alté­rés par le réchauf­fe­ment. L’acidification des océans met en péril les cya­no­bac­té­ries pro­duc­trices d’oxygène et tous les orga­nismes qui fabriquent du cal­caire, tels les coraux et les coc­co­lithes qui offrent une grande capa­ci­té de sto­ckage du car­bone dans les océans. À terre, les boucles de rétro­ac­tion omni­pré­sentes sont illus­trées par la figure 2.

Intégrer le facteur temps

La variable essen­tielle à la com­pré­hen­sion des rétro­ac­tions entre bio­di­ver­si­té et chan­ge­ment cli­ma­tique est le temps. L’expansion du vivant sur l’ensemble de la pla­nète sur quatre mil­liards d’années prouve ample­ment sa capa­ci­té d’adaptation, liée à sa diver­si­té et à sa capa­ci­té d’innovation (Bar­bault et Weber, 2010). Cepen­dant, le chan­ge­ment cli­ma­tique n’est pas linéaire : il s’agit d’accélération et nul ne sait com­ment la vie peut s’adapter à des accé­lé­ra­tions du changement.

Il lui faut du temps, beau­coup de temps. La pré­dic­tion des impacts du chan­ge­ment cli­ma­tique sur la bio­di­ver­si­té est donc un exer­cice à risque (Thuillier, 2007, Love­joy, 2008).

L’approche uni­voque des inter­ac­tions entre cli­mat et bio­di­ver­si­té a des effets notables sur la défi­ni­tion et la concep­tion des poli­tiques d’atténuation. On par­le­ra de crois­sance « verte » pour des poli­tiques dans les­quelles il n’est ques­tion que d’énergie et pas de « ver­dure », de bio­di­ver­si­té. On défi­ni­ra des labels de haute qua­li­té « envi­ron­ne­men­tale » pour les­quels il ne s’agit que d’efficacité énergétique.

Repenser les politiques

Réa­li­ser que la bio­di­ver­si­té (les êtres humains, orga­nismes vivants, inclus) crée le chan­ge­ment cli­ma­tique et tente de s’adapter à ses impacts, agis­sant à son tour sur le cli­mat, conduit à pen­ser autre­ment ces politiques.

Le chan­ge­ment cli­ma­tique n’est pas linéaire

La sub­sti­tu­tion des éner­gies fos­siles par des éner­gies renou­ve­lables fait appel au monde vivant et, plus lar­ge­ment, à la nature, hydro­sphère et géo­sphère com­prises. Mais au lieu de pen­ser en termes de filières foca­li­sées sur la conver­sion mas­sive de terres à la pro­duc­tion d’agrocarburants, il est envi­sa­geable de com­bi­ner pro­duc­tion ali­men­taire et uti­li­sa­tion des sous-pro­duits pour la pro­duc­tion d’énergie. Au lieu de limi­ter les ins­tru­ments inci­ta­tifs à la seule taxe car­bone, il serait pos­sible de pro­cé­der à un bas­cu­le­ment pro­gres­sif des charges pesant sur le tra­vail vers des taxes sur les pré­lè­ve­ments dans la nature, à fis­ca­li­té et coûts de pro­duc­tion constants, favo­ri­sant ain­si la main­te­nance des poten­tiels natu­rels, et décou­ra­geant les com­por­te­ments nui­sibles à la bio­sphère et au cli­mat (Weber, 2009).

FIGURE 2
Méca­nismes d’in­te­rac­tion entre sol et atmosphère

BIBLIOGRAPHIE

■ BARBAULT R. et FOUCAULT A. (édi­teur), 2010 – Chan­ge­ments cli­ma­tiques et bio­di­ver­si­té. Col­loque de l’AFAS, Vui­bert, 282 p.

■ BARBAULT R., WEBER J. – 2010 – La vie, quelle entre­prise ! Paris, Seuil, 198 p.

■ GRASSÉ P. – 1962 – Ana­to­mie et bio­lo­gie des Rhi­no­grades. Mas­son, 86 p.

■ LEADLEY P. – 2009 – Impacts of Cli­mate Change on Bio­di­ver­si­ty. Confé­rence « impact de la bio­di­ver­si­té sur le chan­ge­ment cli­ma­tique », Paris, Orée, 2009. www.oree.org

■ LOVEJOY T. – 2008 – Cli­mate change and bio­di­ver­si­ty. Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2008, 27 (2), 00–00.

■ THUILLIER W. – 2007 – Cli­mate change and the eco­lo­gist. Nature, Vol 448|2 August 2007 : 5550–552.

■ WEBER J. – 2009 – Un monde plus res­pon­sable – Green eco­no­my et nou­velles régu­la­tions, res­sorts d’une nou­velle crois­sance ? Pros­pec­tive stra­té­gique, juin-juillet 2009 : 42–49.

Commentaire

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francois.bergeotrépondre
22 novembre 2012 à 18 h 12 min

Les rhi­no­grades
Je suis sur­pris de voir dans une des illus­tra­tions de l’ar­ticle et dans la biblio­gra­phie que l’ou­vrage « Ana­to­mie et bio­lo­gie des rhi­no­grades » est attri­bué à Pierre-Paul Grassé.
Sauf erreur de ma part, le livre tra­duit en fran­çais sous ce titre est dû au natu­ra­liste alle­mand Gerold Stei­ner, qui l’a publié sous le pseu­do­nyme de Harald Stümpke, le titre ori­gi­nal étant « Bau und Leben der Rhinogradentia ».
Pierre-Paul Gras­sé, qui a pré­fa­cé la tra­duc­tion fran­çaise, aurait tou­te­fois été le com­plice de Gerold Stei­ner dans ce canular.

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