Avant-propos : 2005, année mondiale de la physique

Dossier : La physique au XXIe siècleMagazine N°604 Avril 2005Par Gabriel CHARDIN

Inutile et dépen­sière ! C’est ain­si que l’homme de la rue pour­rait être ten­té, comme tel ministre du géné­ral de Gaulle, de qua­li­fier la recherche, com­pa­rée aux dan­seuses et aux courses de che­vaux pour leur effi­ca­ci­té dépen­sière. En dépit de ce juge­ment abrupt et pro­vo­ca­teur, les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs de l’a­près-guerre ont fait de la recherche une prio­ri­té et lui ont attri­bué jus­qu’à 2.5 % du PIB natio­nal au début des années quatre-vingt-dix. Depuis cette époque, le finan­ce­ment de la recherche a mal­heu­reu­se­ment connu dans notre pays une décrue lente et régu­lière, même si la France a su bâtir grâce à cette période rela­ti­ve­ment faste un sys­tème de recherche d’une excel­lence recon­nue, au moins dans les domaines de la phy­sique ou des mathématiques.

En fait, la recherche appa­raît comme l’un des meilleurs inves­tis­se­ments à long terme, si l’on en juge par le fait que les pays les plus avan­cés comme le Japon, les États-Unis ou la Suède consacrent envi­ron 3 % de leur richesse natio­nale à leurs acti­vi­tés de recherche, loin devant la France. Mais une vision poli­tique à trop court terme a conduit chez nous au malaise actuel, à la révolte des cher­cheurs de l’an­née 2004 et à la réflexion actuelle sur le rôle et l’im­por­tance de la recherche en Europe. Cette der­nière n’af­fiche-t-elle pas, sans d’ailleurs véri­ta­ble­ment prendre les moyens de l’at­teindre, l’ob­jec­tif de consa­crer 3 % de son PIB à la recherche en 2010 ?

Les défis qui nous attendent sont pour­tant gigan­tesques, face à un épui­se­ment accé­lé­ré des res­sources et un nombre d’ha­bi­tants qui pour­rait bien­tôt atteindre, voire dépas­ser, 9 mil­liards. Des réajus­te­ments d’une très grande bru­ta­li­té sont à craindre, lorsque se pré­sen­te­ra bien­tôt l’é­pui­se­ment de res­sources aus­si pré­cieuses que les hydro­car­bures, le gaz, les métaux pré­cieux ou même nos sols culti­vables, toutes res­sources que nous dila­pi­dons à un taux très supé­rieur à leur capa­ci­té de renou­vel­le­ment. L’ac­crois­se­ment de l’ef­fort de recherche, qui seul pour­ra nous don­ner les outils per­met­tant d’op­ti­mi­ser les res­sources et de com­po­ser avec la Nature quand elle nous rap­pel­le­ra ses lois, appa­raît donc aujourd’­hui plus essen­tiel que jamais.

Ce numé­ro spé­cial de La Jaune et la Rouge est consa­cré à des tra­vaux d’ex­cel­lence qui res­sortent prin­ci­pa­le­ment de la recherche fon­da­men­tale. Même si la recherche fina­li­sée, à laquelle un deuxième numé­ro spé­cial de La Jaune et la Rouge sera consa­cré, est à l’é­vi­dence éga­le­ment essen­tielle, c’est en effet prin­ci­pa­le­ment la recherche fon­da­men­tale qui est à l’o­ri­gine des appli­ca­tions majeures des décen­nies futures. L’ac­crois­se­ment fan­tas­tique des capa­ci­tés de cal­cul et de sto­ckage, la toile de l’In­ter­net, la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té par l’éner­gie nucléaire sont des appli­ca­tions fon­da­men­tales et pra­ti­que­ment impré­vi­sibles de déve­lop­pe­ments ini­tia­le­ment ésotériques.

Les auteurs de ce numé­ro spé­cial décrivent donc autant des domaines dont on sai­sit dès aujourd’­hui l’im­por­tance pour notre vie de demain, comme la fusion contrô­lée, la com­pré­hen­sion du cli­mat ou les nano­tech­no­lo­gies, que d’autres, comme la gra­vi­té répul­sive ou les bizar­re­ries de la méca­nique quan­tique, où cette vision nous échappe encore. Mais pour­rait-on envi­sa­ger de construire un ordi­na­teur quan­tique, rêve actuel des grands labo­ra­toires de recherche, sans com­prendre la notion d’in­tri­ca­tion des états quantiques ?

Ce numé­ro spé­cial nous four­nit éga­le­ment l’oc­ca­sion de regret­ter qu’au fil des années les élèves de l’X aient délais­sé de façon inquié­tante les car­rières de la recherche. Pour­tant, une large part des richesses actuelles de la France est due à des pro­grammes menés avec intel­li­gence et conti­nui­té par les ser­vi­teurs de la nation que sont – mais se consi­dèrent-ils encore ain­si ? – les élèves des grandes écoles.

Sou­hai­tons que les jeunes poly­tech­ni­ciens retrouvent le che­min de nos labo­ra­toires, et que la nation leur offre la recon­nais­sance de la « chose publique » qu’ils défen­dront ainsi.

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