Aux Deux Colombes

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°629 Novembre 2007Par : Sacha Guitry / mise en scène par J.-L. CochetRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Si vous aimez Sacha Gui­try, j’espère que vous irez voir, ou que vous avez vu – avec La Jaune et la Rouge, on ne sait jamais quand paraissent les papiers – Aux Deux Colombes, mon­tée, mise en scène et jouée par M. J.-L. Cochet au Pépi­nière-Opé­ra depuis les der­niers jours d’août. Une soi­rée de féli­ci­té vous y est assurée.

Affiche de théâtre : Aux deux colombesLa pièce fut créée en 1949, par l’auteur lui-même. Je l’avais vue alors, n’en avais gar­dé qu’un sou­ve­nir confus, sinon celui de m’être fol­le­ment amu­sé. Il en est d’ailleurs sou­vent de même du théâtre de notre Sacha : mises à part ses pièces his­to­riques, elles se res­semblent toutes, non pas par le sujet, chaque fois dif­fé­rent et chaque fois inat­ten­du, mais par le style, expres­sion d’une tour­nure d’esprit bien par­ti­cu­lière, avec quoi il est trai­té. À ce pro­pos, on parle par­fois de « mots d’auteur », avec comme une indul­gente petite moue. Il y a de cela certes, mais sans la moue indul­gente et sur­tout cela me semble une vision un peu courte des choses.

Flotte d’abord sur toute cette œuvre une bonne humeur, une vigou­reuse gaie­té, un sens de la cocas­se­rie des situa­tions, que, dans ce spec­tacle, la mise en scène de M. Cochet fait écla­ter, pour notre plus grande joie.

Le sujet ? Eh bien, une fois n’est pas cou­tume, il ne s’agit pas d’adultère, pré­sent ou pas­sé, mais de biga­mie, d’une biga­mie tout à fait invo­lon­taire sans doute, mais qui en est pas moins fort embar­ras­sante pour le bigame. Après cinq ans de mariage, un homme a per­du son épouse dans l’incendie d’une salle de ciné­ma, alors qu’elle se trou­vait en voyage aux USA. Il s’est rema­rié avec la sœur d’icelle. En fait, la pre­mière épouse n’a point péri, mais l’émotion l’a ren­due tota­le­ment amné­sique, suite de quoi elle a pas­sé vingt-cinq ans en cli­nique. Le psy­chiatre qui la sui­vait lui a fina­le­ment ren­du la mémoire au moyen d’un trai­te­ment de choc : il l’a enfer­mée dans une cabane en bois et y a mis le feu. Et la voi­là reve­nue en France, où elle retrouve son Jean-Pierre avec une joie non­pa­reille, et même plu­tôt expan­sive. Elle lui explique avec volu­bi­li­té qu’ils vont pou­voir reprendre leur vie d’autrefois, qu’elle est com­plè­te­ment gué­rie, qu’elle n’a aucune pré­cau­tion à prendre ; on lui a juste recom­man­dé d’éviter les incen­dies ! Il faut tout de même bien lui apprendre la véri­té. Le Jean-Pierre a beau y aller tout dou­ce­ment, très pro­gres­si­ve­ment, le choc est terrible.

La situa­tion, de soi déjà déli­cate, se trouve aggra­vée par la pré­sence d’une domes­tique aus­si sty­lée qu’envahissante. Elle a connu suc­ces­si­ve­ment chaque Madame, mais juge que la pré­sence à la mai­son des deux à la fois com­pli­que­ra son exis­tence au-delà du supportable.

Vous ima­gi­nez sans peine le par­ti que notre Sacha peut tirer d’un aus­si déli­cat ren­contre, et la délec­ta­tion avec quoi M. Cochet s’en est empa­ré, pour le plus grand bon­heur des spec­ta­teurs. Ce d’autant qu’il a confié le rôle de la pre­mière épouse, celle qui est décon­seillée d’incendies, à Mme Vir­gi­nie Pra­dal, plus véhé­mente et hal­lu­ci­née que jamais. Dans les autres rôles d’ailleurs, Mmes Paule Noelle, Cathe­rine Grif­fo­ni et Anne-Marie Mail­fer ne sont pas en reste, loin de là. On pou­vait admi­rer aus­si l’habituelle sobrié­té dans le geste de M. Cochet ; au trei­zième rang d’orchestre, on l’entendait mal­heu­reu­se­ment fort mal.

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