HOÀNG XUÂN HAN (X 1930).

Approche historique des relations de l’École polytechnique avec les élèves étrangers

Dossier : Les X étrangersMagazine N°559 Novembre 2000Par : Francine MASSON

La thèse d’Anousheh Karvar

La thèse d’Anousheh Karvar

La thèse qu’A­nou­sheh Kar­var a consa­crée aux poly­tech­ni­ciens étran­gers a mis en lumière la pro­blé­ma­tique des rela­tions entre l’É­cole poly­tech­nique et ses élèves étran­gers, de 1794 à 1985. Il semble bien que, pour la période consi­dé­rée, il n’y a jamais eu de poli­tique claire et volon­ta­riste, l’É­cole s’est pliée aux évo­lu­tions des rela­tions de la France avec d’autres pays. On peut déter­mi­ner plu­sieurs époques.


HOÀNG XUÂN HAN (X 1930). 
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE

Dans ses débuts, alors que la France a conquis un cer­tain nombre de dépar­te­ments sur ses voi­sins euro­péens, l’É­cole poly­tech­nique accueille des étran­gers qui deviennent fran­çais par conquête et on peut se deman­der si ce sont de » vrais » étran­gers. C’est aus­si l’é­poque de la grande renom­mée scien­ti­fique de l’É­cole qui attire les étran­gers par la qua­li­té uni­ver­sel­le­ment recon­nue de ses enseignants.

Après l’Em­pire, la situa­tion change : d’une part, l’ac­cès à l’É­cole pour les étran­gers devient plus dif­fi­cile, d’autre part l’at­trac­tion scien­ti­fique dimi­nue du fait de l’é­vo­lu­tion de l’É­cole mais aus­si de la pré­sence d’autres acteurs dans la for­ma­tion scien­ti­fique en France. Les rela­tions diplo­ma­tiques de la France vont jouer un rôle de plus en plus déter­mi­nant dans l’ac­cueil des élèves étran­gers, ce qui explique la pré­sence de cohortes d’é­tu­diants pro­ve­nant soit d’un pays, soit d’un autre, au gré des déci­sions politiques.

Les choix de la diplo­ma­tie se portent plus sur des étu­diants mili­taires que sur des étu­diants scien­ti­fiques, afin de favo­ri­ser les alliances dans une Europe en équi­libre fra­gile et de contrer les influences alle­mande et anglaise.

Le nombre des étu­diants étran­gers dimi­nue très sen­si­ble­ment après 1870. À cause de la défaite, l’É­cole se replie sur elle-même et tou­jours à cause de la défaite, son pres­tige à l’é­tran­ger est for­te­ment atteint. L’ac­cueil des étu­diants étran­gers devient de plus en plus difficile.

Il faut attendre 1920 pour que l’É­cole se pré­oc­cupe vrai­ment de ses élèves étran­gers en leur don­nant un sta­tut et un titre, vrai­sem­bla­ble­ment sous l’ins­ti­ga­tion des diplo­mates afin de contrer l’in­fluence allemande.

Cette ouver­ture n’a pas eu d’ef­fet immé­diat et le nombre d’é­tran­gers admis à l’É­cole reste très faible, en par­tie parce qu’ils doivent pas­ser le même concours que les élèves fran­çais, donc être de for­ma­tion française.

Ce n’est qu’à par­tir de 1954 que les effec­tifs des élèves étran­gers vont se gon­fler, avec la pré­pon­dé­rance des élèves ori­gi­naires des pays de l’Em­pire colo­nial accé­dant à l’indépendance.

Force est de consta­ter que l’É­cole n’a assu­ré aucun sui­vi de ces élèves – et ce n’est que par l’A.X. qu’on a une idée de leur car­rière et en par­ti­cu­lier du taux de retour dans le pays d’origine.

» Vrai » et » faux » étranger

Les débats qui ont entou­ré la thèse ont tous été mar­qués par le besoin de défi­nir ce qu’est un élève étran­ger pour l’É­cole poly­tech­nique. Peut-on consi­dé­rer comme un » vrai » étran­ger l’é­lève qui a sui­vi tout son cur­sus sco­laire dans le sys­tème fran­çais et qui sur­tout a fré­quen­té les classes pré­pa­ra­toires ? Les élèves étran­gers sont en fait tota­le­ment incor­po­rés dans un corps homo­gène consti­tué d’é­lèves ayant reçu le même type d’en­sei­gne­ment. Ils ne sont pas étran­gers à la culture fran­çaise. L’ou­ver­ture actuelle de l’É­cole remet en cause ce sché­ma en fai­sant une place aux » vrais » étran­gers, c’est-à-dire à des élèves qui ne sont pas de culture française.

La double vocation de l’École

L’un des pro­blèmes que ren­contre l’É­cole depuis sa créa­tion, pour recru­ter des élèves étran­gers, est sa double voca­tion, à la fois scien­ti­fique, donc très ouverte et sou­cieuse de par­ta­ger les connais­sances, et poli­tique pour for­mer la haute fonc­tion publique du pays, donc réser­vée aux seuls Fran­çais. La ques­tion se pose depuis les ori­gines : cette double voca­tion est-elle une contra­dic­tion insur­mon­table ou un enrichissement ?

La notion de modèle

N.D.L.R. : la cou­ver­ture de ce numé­ro est un por­trait du géné­ral Guillaume-Hen­ri Dufour (X 1807), qui joua un rôle émi­nent dans l’histoire de la Confé­dé­ra­tion hel­vé­tique. Son action lors de la guerre du Son­der­bund (1847) fut déter­mi­nante, et il par­ti­ci­pa étroi­te­ment à la créa­tion de la Croix-Rouge.
La Jaune et la Rouge a publié en mars 1988, sous la plume de Pierre Stroh (31), un article sur ce grand poly­tech­ni­cien suisse.

Les inter­ve­nants ont aus­si débat­tu du modèle poly­tech­ni­cien. Ce modèle est très cen­tré sur tout un sys­tème de for­ma­tion et sur une orga­ni­sa­tion sociale. On peut légi­ti­me­ment se deman­der s’il est expor­table en l’é­tat et quel est son taux de rece­va­bi­li­té dans les pays comme l’Es­pagne, la Rus­sie et l’É­gypte au XIXe siècle et les pays du Magh­reb au XXe.

L’élève » différent »

Les grandes écoles d’in­gé­nieurs ont été mar­quées par un ensei­gne­ment orga­ni­sé pour des élèves mas­cu­lins. L’in­tro­duc­tion des filles, comme celle des élèves étran­gers, impose une forte remise en cause de l’en­sei­gne­ment, de son orga­ni­sa­tion et de ses finalités.

Il res­sort des com­mu­ni­ca­tions et des débats de la mati­née que l’ou­ver­ture actuelle vers l’é­tran­ger sus­cite beau­coup d’in­ter­ro­ga­tions et qu’elle ne peut se faire qu’au prix d’une pro­fonde remise en cause de l’ins­ti­tu­tion et de son enseignement.

HOÀNG XUÂN HAN (X 1930).HOÀNG XUÂN HAN (1930), his­to­rien et phi­lo­logue, est cer­tai­ne­ment l’un des poly­tech­ni­ciens étran­gers les plus féconds du XXe siècle.

Né le 8 mars 1908 dans une famille de let­trés de la pro­vince de HÀ TINH dans le Nord-Viêt­nam, Hoàng Xuân Han reçoit une solide édu­ca­tion aux sources de deux cultures : viet­na­mienne (la tra­di­tion popu­laire) et fran­çaise. Après des études brillantes et un bac­ca­lau­réat au lycée Albert Sar­raut de Hanoï puis deux années au lycée Saint-Louis à Paris, il entre à l’École poly­tech­nique et passe deux années à l’École des ponts et chaus­sées (1932−1934).

Il rentre au Viêt­nam mais, devant la dif­fi­cul­té d’obtenir un poste de res­pon­sa­bi­li­té, il retourne en France où il passe l’agrégation de mathé­ma­tiques. Pro­fes­seur de méca­nique à la facul­té des sciences de Hanoï, il devient ministre de l’É­du­ca­tion natio­nale et des Beaux-Arts dans le pre­mier gou­ver­ne­ment d’in­dé­pen­dance natio­nale (1945). Il est recon­nu pour avoir appor­té la rigueur de l’esprit scien­ti­fique à l’étude de la langue, de l’histoire et de la lit­té­ra­ture ancienne du Viêt­nam ; auteur du pre­mier lexique viet­na­mien de ter­mi­no­lo­gie scien­ti­fique, il contri­bue à l’al­pha­bé­ti­sa­tion de son pays, à la créa­tion du Jour­nal des sciences (1940) et au déve­lop­pe­ment des pre­miers pro­grammes d’en­sei­gne­ment en viet­na­mien (1945). Il a sau­ve­gar­dé plu­sieurs docu­ments viet­na­miens d’une grande impor­tance his­to­rique et lit­té­raire et en a tiré des ouvrages qui ont fait date par leur métho­do­lo­gie scientifique.

Il laisse une édi­tion cri­tique du roman en vers Kim Van Kieu.

Hoàng Xuân Han décède en France le 10 mars 1996. La Jaune et la Rouge lui a ren­du hom­mage à cette époque (mai 1996 et jan­vier 1997).

Natio­na­liste et patriote il n’a ces­sé de croire en la plu­ra­li­té des cultures. Admi­ré en France comme au Viêt­nam, il res­te­ra comme l’un des plus brillants “ pas­seurs ” dont l’Histoire recon­naî­tra l’importance pour la construc­tion des socié­tés futures.

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