AMOURS DE VACANCES

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°647 Septembre 2009Rédacteur : Jean Salmona (56)

Vous avez quinze ans, vous cou­rez revoir un amour de vacances, chez elle, dans la ville. Et c’est un choc : sans le soleil, la source, le lit de feuilles mortes dans la forêt, elle vous appa­raît telle qu’en elle-même, banale, à pleu­rer. Ce n’était donc que cela !

Aus­si, lorsque vous vous apprê­tez à écou­ter la trans­crip­tion sur CD de l’enregistrement par Casals des Suites pour vio­lon­celle seul de Bach, dont la décou­verte, un jour, fut un éblouis­se­ment, vous avez brus­que­ment un doute : et si vous alliez être déçu ?

Pablo Casals
Eh bien non : c’est tou­jours le même émer­veille­ment. Mal­gré toutes les excel­lentes ver­sions que vous avez enten­dues depuis (Four­nier, Tor­te­lier, Yo-Yo Ma, etc.), la ver­sion Casals (1938−1939) reste la seule, la vraie, à la fois hors du temps et pro­fon­dé­ment humaine.

Les Suites de Bach ne sont qu’un des enre­gis­tre­ments de légende qui figurent, sous le titre Pablo Casals – The Com­plete Publi­shed EMI Recor­dings 1926–1955, dans un cof­fret qui vient de paraître1 : avec Alfred Cor­tot et Jacques Thi­baud, les Trios « À l’Archiduc » de Bee­tho­ven, n° 1 de Schu­bert, n° 1 de Men­dels­sohn, n° 1 de Schu­mann, n° 2 de Haydn, et deux séries de Varia­tions de Bee­tho­ven pour trio ; le Double Concer­to de Brahms avec Thi­baud et l’Orchestre Casals de Bar­ce­lone diri­gé par Cor­tot ; les Concer­tos de Dvo­rak avec le Phil­har­mo­nique tchèque diri­gé par George Szell, d’Elgar avec le BBC Sym­pho­ny et Boult, de Boc­che­ri­ni avec le Lon­don Sym­pho­ny ; les 5 Sonates de Bee­tho­ven et la 2e de Brahms avec Miec­zys­law Hors­zows­ki ou Otto Schul­hof ; et de nom­breuses autres pièces dont des trans­crip­tions, et même des sar­danes avec une cobla de Gérone. Mira­cu­leu­se­ment, la numé­ri­sa­tion a consi­dé­ra­ble­ment amé­lio­ré ces enre­gis­tre­ments sans les asep­ti­ser. Et ce qui fait le jeu de Casals unique, et pas seule­ment dans les Suites de Bach, cette rugo­si­té de pay­san cata­lan alliée à une séré­ni­té de moine boud­dhiste et cette capa­ci­té de vous emme­ner très loin, très haut, est épar­gné et même ravi­vé, et vous êtes ras­su­ré : oui, je ne m’étais pas trom­pé, c’était bien cela.

Maria Joao Pires – Chopin
Vous n’avez plus écou­té depuis long­temps vos enre­gis­tre­ments en disque vinyle des Valses et des deux Concer­tos de Cho­pin par Maria Joao Pires, mélange de fra­gi­li­té et de sen­sua­li­té mélan­co­lique dont vous avez gar­dé un sou­ve­nir ému, remi­sés dans un pla­card. Et vous abor­dez avec un peu d’inquiétude les nou­veaux enre­gis­tre­ments, après une longue période de silence, de cette pia­niste dis­crète et secrète : la Sonate n° 3 en si mineur, 2 Noc­turnes, 9 Mazur­kas, 3 Valses, la Polo­naise « Fan­tai­sie », et la Sonate pour vio­lon­celle et pia­no (avec le jeune Pavel Gom­zia­kov)2. Non seule­ment vous n’êtes pas déçu, mais c’est une nou­velle inter­prète que vous décou­vrez : moins de fra­gi­li­té, de mélan­co­lie, mais plus de séré­ni­té, de dis­tance, d’élévation. Le mou­ve­ment lent de la 3e Sonate, le Noc­turne en si majeur sont à pleu­rer, mais de plai­sir : jeunes – et moins jeunes – et bouillants pia­nistes du Fes­ti­val de La Roqued’Anthéron, écou­tez donc cela, nul n’a joué Cho­pin aus­si bien depuis Sam­son François.

Katia et Marielle Labèque
Les soeurs Labèque auront été des amours de vacances. Car ce sont bien des musiques de vacances qu’elles jouaient naguère, avec un inimi­table brio : les songs de Ger­sh­win, Sca­ra­mouche de Mil­haud, le Concer­to pour deux pia­nos de Pou­lenc… Vous les avez un peu per­dues de vue, et vous allez les écou­ter en juillet der­nier au Fes­ti­val de Radio France de Mont­pel­lier. Sous le nom De fue­go y de agua, un pro­gramme d’apparence étrange : avec la chan­teuse de fla­men­co et de tan­go Mayte Mar­tin, un ensemble de pièces espa­gnoles, chan­sons tra­di­tion­nelles, tan­gos de Gar­del, pièces de Fal­la, poèmes de Lor­ca, avec par­ties pour deux pia­nos écrites par Joan Albert Amar­gos3. Une véri­table mer­veille, inat­ten­due : une musique d’une grande sub­ti­li­té dans la lignée de Gra­na­dos et Albe­niz, aux har­mo­nies très recher­chées, jouée par des soeurs Labèque plus douées que jamais et qui ont aban­don­né leurs excès ges­tuels au pro­fit d’un tou­cher plus que fin, et tou­jours cette sym­biose assez rare dans les duos de pia­nistes ; enfin, last but not least, la voix fla­men­ca de Mayte Mar­tin qui vous sub­merge d’émotion. Adieu musiques com­pas­sées, vivent Casals, Pires, les sœurs Labèque, vivent les vacances !

1. 9 CD EMI.
2. 2 CD DGG.
3. 1 CD KML.

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