Adapter le tourisme en bouleversant la culture du voyage

Dossier : Le changement climatique ............................ 2e partie : Les MesuresMagazine N°680 Décembre 2012
Par Ghislain DUBOIS

Le chan­ge­ment cli­ma­tique concerne toutes les formes de tou­risme, avec des zones par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­rables en mon­tagne (baisse de l’enneigement), sous les tro­piques (bar­rières de corail, risque cyclo­nique), en Médi­ter­ra­née (étés chauds, élé­va­tion du niveau de la mer) ou dans des des­ti­na­tions éloi­gnées de leurs mar­chés (aug­men­ta­tion des prix du trans­port). La volon­té d’agir pour l’adaptation du sec­teur est actuel­le­ment forte et peut pous­ser les déci­deurs à deman­der des réponses que les experts ne sont pas encore en mesure de leur fournir.

REPÈRES
Le tou­risme est à la fois un contri­bu­teur, avec 5% des émis­sions mon­diales dont 75 % dues au trans­port et 42 % à l’aérien, et une vic­time poten­tielle du chan­ge­ment cli­ma­tique. On s’attend à plus d’un dou­ble­ment des émis­sions de CO2 du tou­risme mon­dial entre 2005 et 2035. Ces impacts se répar­tissent en effet en quatre caté­go­ries : les effets directs des évo­lu­tions de para­mètres cli­ma­tiques sur le confort des tou­ristes, les effets indi­rects du cli­mat sur les res­sources tou­ris­tiques (neige, niveau des cours d’eau), les effets des poli­tiques d’atténuation sur les prix de l’énergie et des trans­ports, enfin les effets plus géné­raux du chan­ge­ment cli­ma­tique sur la per­tur­ba­tion des socié­tés, qui condi­tionnent à la fois la demande et l’offre tou­ris­tique (pau­vre­té, ten­sions géopolitiques).

Une relation multiforme

Le cadre des rela­tions entre tou­risme et chan­ge­ment cli­ma­tique est main­te­nant bien connu.

Un dou­ble­ment des émis­sions de CO2 entre 2005 et 2035

Mais la com­plexi­té des rela­tions explique une prise de conscience plus tar­dive des acteurs, et cela d’autant plus que s’y ajoute le filtre des per­cep­tions et des repré­sen­ta­tions : si l’agriculture est influen­cée par des para­mètres comme la tem­pé­ra­ture ou les pré­ci­pi­ta­tions, le tou­risme l’est par le cli­mat per­çu (l’agrément, le confort), d’où le recours à des indices plus com­plexes et plus subjectifs.

Comprendre et agir

Ces der­nières années ont été mar­quées par une forte demande d’études d’impact et de stra­té­gies, que ce soit pour l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique ou son atté­nua­tion. Ces tra­vaux émanent de gou­ver­ne­ments ou de col­lec­ti­vi­tés locales, de bailleurs de fonds (AFD, GIZ alle­mande, etc.) et d’organisations inter­na­tio­nales (Orga­ni­sa­tion mon­diale du tou­risme, PNUE, OCDE, APEC), plus rare­ment d’acteurs privés.

Fera-t-il trop chaud en été autour de la Méditerranée ?

La grande majo­ri­té de ces ini­tia­tives a en com­mun un manque de pré­cau­tions métho­do­lo­giques. Comme toute approche pros­pec­tive, l’étude du chan­ge­ment cli­ma­tique est en effet sujette à une cas­cade d’incertitudes : sur les niveaux d’émissions à venir, sur la connais­sance du cli­mat glo­bal, sur la régio­na­li­sa­tion de ce cli­mat, sur la réponse des tou­ristes à ces évo­lu­tions et sur les impacts asso­ciés. En ce qui concerne l’impact des poli­tiques cli­ma­tiques sur la demande tou­ris­tique, on peut citer éga­le­ment les incer­ti­tudes sur des para­mètres clés comme l’élasticité de la demande au prix des transports.

Fera-t-il trop chaud en été dans les pays médi­ter­ra­néens pour y envoyer des tou­ristes ? Les plages résis­te­ront-elles à l’élévation du niveau de la mer ? Jusqu’à quel point le tou­risme est-il mena­cé par la régu­la­tion à venir du trans­port aérien ?

Les études d’impact se perfectionnent

Les études d’impact « sérieuses » devraient a mini­ma com­bi­ner plu­sieurs scé­na­rios d’émissions de gaz à effet de serre avec plu­sieurs modèles cli­ma­tiques et plu­sieurs méthodes de régio­na­li­sa­tion, afin de déter­mi­ner le « champ des pos­sibles » qui s’ouvre au tou­risme. Elles devraient ensuite prendre en compte la diver­si­té des exi­gences des clien­tèles, avant de quan­ti­fier de pos­sibles impacts.

Deux domaines sont par­ti­cu­liè­re­ment d’actualité : l’amélioration de la com­pré­hen­sion des exi­gences cli­ma­tiques des tou­ristes et l’usage de pré­vi­sions sai­son­nières et décen­nales par les acteurs du secteur.

À l’hypermobilité, faire suc­cé­der un « tou­risme lent » de proxi­mi­té. Ici, sur les routes d’Eure-et-Loir.
© DANIEL CHÉRUBIN – LA HOUSSINE

Des indices de confort touristiques

Sur le pre­mier thème, des tra­vaux récents se sont atta­chés à com­prendre la rela­tion entre le cli­mat et la demande tou­ris­tique – place du cli­mat par rap­port à d’autres fac­teurs expli­ca­tifs et détail de ces attentes climatiques.

Vive la canicule
La sen­si­bi­li­té au cli­mat n’est pas for­cé­ment là où on l’attend : si les tou­ristes déclarent fuir à la moindre pluie, en revanche ils se réjouissent dans les enquêtes de la pers­pec­tive de fortes cani­cules comme celle de 2003. Les seuils de tem­pé­ra­tures incon­for­tables ou sim­ple­ment trop chaudes décla­rées vont bien au-delà des recom­man­da­tions des auto­ri­tés sani­taires (seuils d’alerte cani­cule) : de quoi modé­rer l’idée « d’étés trop chauds » à l’avenir.

L’étape sui­vante consiste à mettre en équa­tion ces attentes, en amé­lio­rant les indices de confort tou­ris­tique (ICT) exis­tants, qui com­binent des para­mètres comme la tem­pé­ra­ture, l’humidité, le vent, l’insolation, pour tra­duire ce qu’est un cli­mat idéal pour le tourisme.

Il s’agirait in fine de modé­li­ser l’impact de scé­na­rios de chan­ge­ment cli­ma­tique sur l’évolution des flux.

Les tra­vaux et les com­pa­rai­sons réa­li­sés montrent la grande diver­si­té des résul­tats selon les âges, les natio­na­li­tés et les moti­va­tions des séjours. Des dif­fé­rences métho­do­lo­giques simples entre enquêtes peuvent impli­quer des dif­fé­rences d’appréciation des seuils d’acceptabilité de l’ordre de 3 °C, com­pa­rables au niveau du réchauf­fe­ment atten­du, et rendent donc illu­soire jusqu’à pré­sent la pers­pec­tive d’une modé­li­sa­tion digne de ce nom.

L’usage des prévisions météo

Sur les pré­vi­sions cli­ma­tiques et sai­son­nières, il s’agit d’accompagner et de trans­fé­rer des champs de recherche émer­gents de la cli­ma­to­lo­gie. La météo à 8, 10 puis 15 jours a bou­le­ver­sé les réser­va­tions tou­ris­tiques (plus de der­nière minute) ; l’amélioration des pré­vi­sions de ten­dances sai­son­nières (plu­sieurs mois à l’avance) pour­rait éga­le­ment influen­cer les com­por­te­ments, le mar­ke­ting et la pla­ni­fi­ca­tion des entre­prises et des des­ti­na­tions. De même, la pers­pec­tive de pré­vi­sions pro­ba­bi­listes à l’échelle de un à dix ans pour­rait aider les acteurs à anti­ci­per leur ren­ta­bi­li­té (ten­dances d’enneigement, risques de cyclones). La recherche est ici trop récente et trop incer­taine : il n’y a pas de consen­sus sur l’existence d’un signal sta­tis­tique signi­fi­ca­tif au niveau décen­nal pour le cli­mat, même au niveau mon­dial. Elle reste donc peu opérationnelle.

Atténuer les effets du tourisme

En ce qui concerne l’atténuation des émis­sions de gaz à effet de serre liées au tou­risme, la réflexion est à la fois macro et micro.

À un niveau macro, après une phase de mise en évi­dence de la contri­bu­tion du tou­risme aux émis­sions, jusqu’alors invi­sible dans les inven­taires car écla­tée dans dif­fé­rentes branches de l’économie, les tra­vaux s’attachent désor­mais à trou­ver des modes de déve­lop­pe­ment per­met­tant de réduire à long terme ces émis­sions, ou, plus sim­ple­ment et à titre conser­va­toire, d’anticiper l’impact des poli­tiques d’atténuation comme l’inclusion du trans­port aérien dans le méca­nisme euro­péen de per­mis négo­ciables. Cette der­nière mesure fait polé­mique mal­gré son indé­niable per­ti­nence économique.


© VÉRONIQUE CHÉRUBIN – LA HOUSSINE

Une mul­ti­tude d’études et de projets
L’APEC (Veryard 2009) a étu­dié l’impact de dif­fé­rentes hypo­thèses de prix du CO2 sur la redis­tri­bu­tion des flux de tou­ristes dans la zone Asie-Paci­fique. L’AFD (Dubois, Ceron et al 2010) s’est inter­ro­gée sur des scé­na­rios alter­na­tifs per­met­tant à l’outre-mer fran­çais de sor­tir de sa « dépen­dance au car­bone » (recours exclu­sif à l’aérien, mar­chés loin­tains et peu rému­né­ra­teurs). Le Plan d’action pour la Médi­ter­ra­née (Bourse 2012) a réa­li­sé une pros­pec­tive et réflé­chi aux leviers de poli­tique per­met­tant une crois­sance plus sobre, notam­ment par une atten­tion plus mar­quée au tou­risme domes­tique. Le pro­jet de recherches EUPORIAS va étu­dier la per­ti­nence de ser­vices cli­ma­tiques dans dif­fé­rents sec­teurs, dont le tou­risme, en com­men­çant par les pré­vi­sions sai­son­nières. Les études TEC-CREDOC (2009, Rut­ty and Scott 2010, Scott, Göss­ling et al. 2008) portent sur la rela­tion entre cli­mat et demande tou­ris­tique. Le sémi­naire de Frei­burg de juin 2012 avait pour sujet Psy­cho­lo­gi­cal and beha­viou­ral approaches to unders­tan­ding and gover­ning sus­tai­nable tou­rism mobility.

Ces tra­vaux, pour inté­res­sants qu’ils soient, sou­lignent l’importance des choix ini­tiaux : si l’exercice se limite au tou­risme inter­na­tio­nal, on conclut sou­vent qu’un trans­port plus cher implique une perte éco­no­mique, sans voir qu’une redis­tri­bu­tion vers des flux de proxi­mi­té et un tou­risme domes­tique peut être glo­ba­le­ment pro­fi­table pour le pays concer­né. Ils sou­lignent aus­si le besoin d’améliorer à la fois la connais­sance sta­tis­tique des flux (grande incon­nue de la demande domes­tique dans les pays émer­gents par exemple), les com­por­te­ments des tou­ristes, et la rela­tion entre tou­risme et trans­port (élas­ti­ci­té demande-prix, sub­sti­tu­tions modales, etc.).

Tourisme choisi ou subi ?

Un tou­risme lent après le « plus sou­vent, moins long­temps, plus loin »

Mais com­ment voya­ger moins quand on n’est pas obli­gé de le faire ? Pour répondre à cette ques­tion, on peut se pen­cher sur l’ensemble des déter­mi­nants (cadre de vie, rythmes pro­fes­sion­nels et fami­liaux, etc.) déclen­cheurs d’une mobi­li­té tou­ris­tique choi­sie ou subie, ou, de manière plus sub­ver­sive, ques­tion­ner les fon­de­ments d’une addic­tion au voyage, d’une mobi­li­té plus compulsive.

Il s’agit, entre fata­lisme (« vous ne pour­rez pas empê­cher les gens de voya­ger ») et angé­lisme, de mieux com­prendre les déter­mi­nants de la demande, pour défi­nir des options com­bi­nant moindre mobi­li­té et main­tien du bien-être à long terme.

Commentaire

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RIPOLL 55répondre
17 décembre 2012 à 17 h 21 min

com­ment cal­cu­lez vous le
com­ment cal­cu­lez vous le dou­ble­ment des émis­sions du tou­risme vers 2035 ?

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