ARN interférent : révolution en cours dans la recherche médicale

Le laboratoire Alnylam est un pionnier et un leader dans les thérapies basées sur l’ARN interférent. Quelles sont les réalisations et les perspectives de cette nouvelle classe thérapeutique ? Éclairages avec Jean-Baptiste Caquelin, directeur général de la filiale française du laboratoire.
Pouvez-vous nous présenter Alnylam ?
Alnylam est une entreprise biopharmaceutique indépendante qui a été créée en 2002 et qui possède des filiales dans une grande partie du monde. Nos fondateurs sont des chercheurs qui ont toujours été animés par la conviction que les thérapies à base d’ARNi pouvaient modifier fondamentalement le paysage scientifique et médical pour le bénéfice des patients. Actuellement, cinq médicaments provenant de la recherche d’Alnylam sont commercialisés dans une soixantaine de pays et emploie plus de 2 000 personnes dans le monde.
Alnylam est une société leader dans les traitements fondés sur l’ARNi. En quoi consistent-ils ?
Vous connaissez certainement l’ARN messager, puisqu’on en a beaucoup parlé pendant le Covid. L’ARN messager permet de fabriquer les protéines. L’ARN interférent a été découvert en 1998 : c’est un ARN double brin qui régule la fabrication de protéines. Les chercheurs qui l’ont découvert ont d’ailleurs été récompensés par le prix Nobel en 2006. Et ils se sont dit qu’il était possible de créer une nouvelle classe thérapeutique à partir de cette découverte. C’est ainsi qu’est né le laboratoire Alnylam.
Le laboratoire a été créé en 2002, puis il y a eu de grandes levées de fonds pour débuter la recherche. Après ces levées de fonds et plus de quinze ans de recherches, un premier traitement a pu voir le jour en 2018. Il a donc fallu beaucoup de persévérance ! Ce fut une vraie révolution parce qu’on s’est rendu compte qu’à partir de cette recherche « fondamentale » ou disons très approfondie, on a pu créer une nouvelle classe thérapeutique qui peut bénéficier aujourd’hui à des milliers de patients dans le monde.
De quoi s’agit-il plus précisément ?
L’ARN interférent, nous en avons tous dans l’ensemble de nos cellules. Il joue un peu le rôle de policier. Dans un grand nombre de maladies, des protéines sont produites en excès ou de façon anormale, c’est-à-dire de façon non fonctionnelle. C’est ici que l’ARN interférent joue un rôle.
“Les thérapies à base d’ARN interférent représentent une véritable révolution dans la prise en charge de nombreuses pathologies, offrant des solutions innovantes et efficaces pour des maladies jusqu’alors difficiles à traiter.”
L’ARN interférent va cliver l’ARN messager et empêcher la fabrication de la protéine anormale ou produite en excès. Les thérapeutiques à base d’ARN interférent vont mimer ce processus naturel, avec pour objectif de dégrader un ARN messager ciblé et donc d’empêcher la fabrication de la protéine qui est responsable de la pathologie. Ces traitements vont agir généralement en amont des traitements conventionnels, en bloquant à la source la production de la protéine. En agissant à la source de la maladie, l’ARN interférent peut ainsi bloquer précocement l’apparition et la progression des symptômes.
Quels types de pathologies avez-vous traitées d’abord ?
Le développement a d’abord été réalisé pour des maladies rares. Plusieurs traitements sont disponibles aujourd’hui sur le marché pour traiter des pathologies qui avaient très peu de solutions thérapeutiques ou même aucune, comme la porphyrie hépatique aiguë ou encore l’hyperoxalurie primitive de type 1.
Nous sommes également très présents dans le traitement des amyloses, avec deux médicaments déjà disponibles dans l’amylose héréditaire à transthyrétine. Pour l’un d’eux, une extension d’indication est attendue prochainement dans l’amylose cardiaque dite sauvage ou sénile et pour lequel Alnylam vient de déposer auprès des autorités françaises une demande d’accès précoce. On se rend compte aujourd’hui que l’ARNi peut également fonctionner sur des maladies prévalentes qui touchent des millions de patients dans le monde, de type hypercholestérolémie, hypertension, maladies du système nerveux, cancers, etc.
Quelle est la particularité du traitement du point de vue du patient ?
La majorité des traitements ARNi se font à base d’injections sous-cutanées. Pour la plupart des pathologies que nous traitons, nous essayons d’espacer les durées d’injection pour aller jusqu’à 3 mois, voire 6 mois. Il en résulte donc une prise en charge simplifiée des maladies chroniques. Mais ce n’est pas tout, dans le cas de l’Amylose cardiaque à transthyrétine, alors que les thérapies actuelles stabilisent la protéine, notre traitement engendre une réduction rapide et soutenue de sa production, ce qui peut permettre d’agir rapidement contre la progression de la maladie dès lors que le diagnostic est posé.
En combinant des traitements efficaces, sûrs, avec une prise en charge simplifiée, on améliore le parcours de soins des patients.
Cette nouvelle classe thérapeutique peut vraiment apporter une rupture positive dans la prise en charge des patients : pour soigner un grand nombre de pathologies, on prend un comprimé par jour ou plus, ce qui peut entraîner des problèmes d’observance. En passant à une injection sous-cutanée tous les 3 à 6 mois, l’observance est moins un sujet.
Comment vos recherches ont-elles progressé ?
La preuve du « concept » a été faite sur le traitement de l’amylose héréditaire, dont l’origine est hépatique. Le défi était de pouvoir amener l’ARN interférent à la cellule cible. Et c’est là où Alnylam a énormément travaillé, en développant des vecteurs qui permettent d’aller dans la cellule ciblée pour corriger le défaut de la protéine, ou limiter sa production. Le premier traitement est sorti en 2018.
Ce traitement a créé une onde de choc dans la communauté scientifique puisqu’il ouvrait la voie à une nouvelle classe thérapeutique. Depuis, nous continuons à développer des traitements de plus en plus efficaces avec des espacements de doses de plus en plus allongés. En parallèle, nous avons poursuivi nos recherches dans d’autres maladies rares comme la porphyrie hépatique aiguë et l’hyperoxalurie primitive, qui touche à la fois les enfants et les adultes. Cette pathologie signifiait pour nous l’entrée dans le monde de la pédiatrie, une étape très importante pour Alnylam. Par la suite, nous nous sommes rendu compte que la technologie développée pouvait aussi s’adresser à des maladies prévalentes.
À quels types de pathologies votre technologie peut-elle s’étendre ?
Il y a d’une part les maladies génétiques plus ou moins rares dont j’ai déjà parlé. D’autre part, nos recherches touchent aussi le domaine cardiovasculaire : l’amylose cardiaque, l’hypercholestérolémie, l’hypertension notamment. L’efficacité des traitements, leur tolérance auprès des malades, leur caractère moins contraignant sont susceptibles d’amener une vraie révolution dans leur prise en charge thérapeutique.
Le dernier domaine thérapeutique que nous avons abordé est celui des maladies du système nerveux central (SNC). Atteindre le SNC avec les ARNi, c’est potentiellement traiter des maladies comme l’Alzheimer, l’Angiopathie Amyloïde Cérébrale, ou encore la maladie de Huntington pour lesquelles le besoin thérapeutique est très important.
Vous dirigez la filiale française d’un laboratoire américain. Comment la France est-elle impliquée dans le développement de vos recherches ?
Les centres d’expertise français, appartenant aux filières maladies rares comme Filnemus ou Cardiogen, sont très bien reconnus d’un point de vue international. De nombreux centres français ont participé à la recherche de la phase I à la phase III pour l’ensemble de nos médicaments. Je pense notamment à nos recherches sur l’amylose, qui ont donné lieu au premier traitement, et pour lesquelles les centres français de référence ont été impliqués dès le début de l’aventure.
Aujourd’hui, la quasi-totalité des essais cliniques que nous développons impliquent des centres et des experts français. La France est donc très bien placée sur la recherche et les essais cliniques liés à l’exploration des indications médicales de l’ARN interférent.