ARN interférent : révolution en cours dans la recherche médicale

ARN interférent : révolution en cours dans la recherche médicale

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°804 Avril 2025
Par Jean-Baptiste CAQUELIN

Le labo­ra­toire Alny­lam est un pion­nier et un lea­der dans les thé­ra­pies basées sur l’ARN inter­fé­rent. Quelles sont les réa­li­sa­tions et les pers­pec­tives de cette nou­velle classe thé­ra­peu­tique ? Éclai­rages avec Jean-Bap­tiste Caque­lin, direc­teur géné­ral de la filiale fran­çaise du labo­ra­toire.

Pouvez-vous nous présenter Alnylam ?

Alny­lam est une entre­prise bio­phar­ma­ceu­tique indé­pen­dante qui a été créée en 2002 et qui pos­sède des filiales dans une grande par­tie du monde. Nos fon­da­teurs sont des cher­cheurs qui ont tou­jours été ani­més par la convic­tion que les thé­ra­pies à base d’ARNi pou­vaient modi­fier fon­da­men­ta­le­ment le pay­sage scien­ti­fique et médi­cal pour le béné­fice des patients. Actuel­le­ment, cinq médi­ca­ments pro­ve­nant de la recherche d’Alnylam sont com­mer­cia­li­sés dans une soixan­taine de pays et emploie plus de 2 000 per­sonnes dans le monde.

Alnylam est une société leader dans les traitements fondés sur l’ARNi. En quoi consistent-ils ?

Vous connais­sez cer­tai­ne­ment l’ARN mes­sa­ger, puisqu’on en a beau­coup par­lé pen­dant le Covid. L’ARN mes­sa­ger per­met de fabri­quer les pro­téines. L’ARN inter­fé­rent a été décou­vert en 1998 : c’est un ARN double brin qui régule la fabri­ca­tion de pro­téines. Les cher­cheurs qui l’ont décou­vert ont d’ailleurs été récom­pen­sés par le prix Nobel en 2006. Et ils se sont dit qu’il était pos­sible de créer une nou­velle classe thé­ra­peu­tique à par­tir de cette décou­verte. C’est ain­si qu’est né le labo­ra­toire Alnylam.

Le labo­ra­toire a été créé en 2002, puis il y a eu de grandes levées de fonds pour débu­ter la recherche. Après ces levées de fonds et plus de quinze ans de recherches, un pre­mier trai­te­ment a pu voir le jour en 2018. Il a donc fal­lu beau­coup de per­sé­vé­rance ! Ce fut une vraie révo­lu­tion parce qu’on s’est ren­du compte qu’à par­tir de cette recherche « fon­da­men­tale » ou disons très appro­fon­die, on a pu créer une nou­velle classe thé­ra­peu­tique qui peut béné­fi­cier aujourd’hui à des mil­liers de patients dans le monde.

De quoi s’agit-il plus précisément ?

L’ARN inter­fé­rent, nous en avons tous dans l’ensemble de nos cel­lules. Il joue un peu le rôle de poli­cier. Dans un grand nombre de mala­dies, des pro­téines sont pro­duites en excès ou de façon anor­male, c’est-à-dire de façon non fonc­tion­nelle. C’est ici que l’ARN inter­fé­rent joue un rôle.

“Les thérapies à base d’ARN interférent représentent une véritable révolution dans la prise en charge de nombreuses pathologies, offrant des solutions innovantes et efficaces pour des maladies jusqu’alors difficiles à traiter.”

L’ARN inter­fé­rent va cli­ver l’ARN mes­sa­ger et empê­cher la fabri­ca­tion de la pro­téine anor­male ou pro­duite en excès. Les thé­ra­peu­tiques à base d’ARN inter­fé­rent vont mimer ce pro­ces­sus natu­rel, avec pour objec­tif de dégra­der un ARN mes­sa­ger ciblé et donc d’empêcher la fabri­ca­tion de la pro­téine qui est res­pon­sable de la patho­lo­gie. Ces trai­te­ments vont agir géné­ra­le­ment en amont des trai­te­ments conven­tion­nels, en blo­quant à la source la pro­duc­tion de la pro­téine. En agis­sant à la source de la mala­die, l’ARN inter­fé­rent peut ain­si blo­quer pré­co­ce­ment l’apparition et la pro­gres­sion des symptômes.

Quels types de pathologies avez-vous traitées d’abord ?

Le déve­lop­pe­ment a d’abord été réa­li­sé pour des mala­dies rares. Plu­sieurs trai­te­ments sont dis­po­nibles aujourd’hui sur le mar­ché pour trai­ter des patho­lo­gies qui avaient très peu de solu­tions thé­ra­peu­tiques ou même aucune, comme la por­phy­rie hépa­tique aiguë ou encore l’hyperoxalurie pri­mi­tive de type 1.

Nous sommes éga­le­ment très pré­sents dans le trai­te­ment des amy­loses, avec deux médi­ca­ments déjà dis­po­nibles dans l’amylose héré­di­taire à trans­thy­ré­tine. Pour l’un d’eux, une exten­sion d’indication est atten­due pro­chai­ne­ment dans l’amylose car­diaque dite sau­vage ou sénile et pour lequel Alny­lam vient de dépo­ser auprès des auto­ri­tés fran­çaises une demande d’accès pré­coce. On se rend compte aujourd’hui que l’ARNi peut éga­le­ment fonc­tion­ner sur des mala­dies pré­va­lentes qui touchent des mil­lions de patients dans le monde, de type hyper­cho­les­té­ro­lé­mie, hyper­ten­sion, mala­dies du sys­tème ner­veux, can­cers, etc.

Quelle est la particularité du traitement du point de vue du patient ?

La majo­ri­té des trai­te­ments ARNi se font à base d’injections sous-cuta­nées. Pour la plu­part des patho­lo­gies que nous trai­tons, nous essayons d’espacer les durées d’injection pour aller jusqu’à 3 mois, voire 6 mois. Il en résulte donc une prise en charge sim­pli­fiée des mala­dies chro­niques. Mais ce n’est pas tout, dans le cas de l’Amylose car­diaque à trans­thy­ré­tine, alors que les thé­ra­pies actuelles sta­bi­lisent la pro­téine, notre trai­te­ment engendre une réduc­tion rapide et sou­te­nue de sa pro­duc­tion, ce qui peut per­mettre d’agir rapi­de­ment contre la pro­gres­sion de la mala­die dès lors que le diag­nos­tic est posé.

En com­bi­nant des trai­te­ments effi­caces, sûrs, avec une prise en charge sim­pli­fiée, on amé­liore le par­cours de soins des patients.

Cette nou­velle classe thé­ra­peu­tique peut vrai­ment appor­ter une rup­ture posi­tive dans la prise en charge des patients : pour soi­gner un grand nombre de patho­lo­gies, on prend un com­pri­mé par jour ou plus, ce qui peut entraî­ner des pro­blèmes d’observance. En pas­sant à une injec­tion sous-cuta­née tous les 3 à 6 mois, l’observance est moins un sujet.

Comment vos recherches ont-elles progressé ?

La preuve du « concept » a été faite sur le trai­te­ment de l’amylose héré­di­taire, dont l’origine est hépa­tique. Le défi était de pou­voir ame­ner l’ARN inter­fé­rent à la cel­lule cible. Et c’est là où Alny­lam a énor­mé­ment tra­vaillé, en déve­lop­pant des vec­teurs qui per­mettent d’aller dans la cel­lule ciblée pour cor­ri­ger le défaut de la pro­téine, ou limi­ter sa pro­duc­tion. Le pre­mier trai­te­ment est sor­ti en 2018.

Ce trai­te­ment a créé une onde de choc dans la com­mu­nau­té scien­ti­fique puisqu’il ouvrait la voie à une nou­velle classe thé­ra­peu­tique. Depuis, nous conti­nuons à déve­lop­per des trai­te­ments de plus en plus effi­caces avec des espa­ce­ments de doses de plus en plus allon­gés. En paral­lèle, nous avons pour­sui­vi nos recherches dans d’autres mala­dies rares comme la por­phy­rie hépa­tique aiguë et l’hyperoxalurie pri­mi­tive, qui touche à la fois les enfants et les adultes. Cette patho­lo­gie signi­fiait pour nous l’entrée dans le monde de la pédia­trie, une étape très impor­tante pour Alny­lam. Par la suite, nous nous sommes ren­du compte que la tech­no­lo­gie déve­lop­pée pou­vait aus­si s’adresser à des mala­dies prévalentes.

À quels types de pathologies votre technologie peut-elle s’étendre ?

Il y a d’une part les mala­dies géné­tiques plus ou moins rares dont j’ai déjà par­lé. D’autre part, nos recherches touchent aus­si le domaine car­dio­vas­cu­laire : l’amylose car­diaque, l’hypercholestérolémie, l’hypertension notam­ment. L’efficacité des trai­te­ments, leur tolé­rance auprès des malades, leur carac­tère moins contrai­gnant sont sus­cep­tibles d’amener une vraie révo­lu­tion dans leur prise en charge thérapeutique.

Le der­nier domaine thé­ra­peu­tique que nous avons abor­dé est celui des mala­dies du sys­tème ner­veux cen­tral (SNC). Atteindre le SNC avec les ARNi, c’est poten­tiel­le­ment trai­ter des mala­dies comme l’Alzheimer, l’Angiopathie Amy­loïde Céré­brale, ou encore la mala­die de Hun­ting­ton pour les­quelles le besoin thé­ra­peu­tique est très important.

Vous dirigez la filiale française d’un laboratoire américain. Comment la France est-elle impliquée dans le développement de vos recherches ?

Les centres d’expertise fran­çais, appar­te­nant aux filières mala­dies rares comme Fil­ne­mus ou Car­dio­gen, sont très bien recon­nus d’un point de vue inter­na­tio­nal. De nom­breux centres fran­çais ont par­ti­ci­pé à la recherche de la phase I à la phase III pour l’ensemble de nos médi­ca­ments. Je pense notam­ment à nos recherches sur l’amylose, qui ont don­né lieu au pre­mier trai­te­ment, et pour les­quelles les centres fran­çais de réfé­rence ont été impli­qués dès le début de l’aventure.

Aujourd’hui, la qua­si-tota­li­té des essais cli­niques que nous déve­lop­pons impliquent des centres et des experts fran­çais. La France est donc très bien pla­cée sur la recherche et les essais cli­niques liés à l’exploration des indi­ca­tions médi­cales de l’ARN interférent. 

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