Antoine Moreau (X89) Un pianiste parmi les grands

En disant d’Antoine Moreau qu’il est « pianiste », on parle par euphémisme, puisqu’en 2014 il reçut, après avoir joué le premier Scherzo de Frédéric Chopin et le Choral et variations d’Henri Dutilleux, le premier prix du prestigieux concours des grands amateurs de piano.
Dans une partition musicale, lorsque le compositeur veut laisser à l’interprète le choix entre deux versions d’un même passage, il intitule ossia la partie alternative, soit « ou » en italien. En clin d’œil à sa passion pour la musique, lorsque Antoine Moreau, trader et pianiste, quitta en 2009 les salles des marchés des grandes banques, fragilisées par la crise financière, pour créer une petite société de gestion, il la nomma Ossiam, contraction du terme italien avec « am », pour asset management : Ossiam, une autre manière d’administrer vos actifs !
Une vocation contenue
C’est à Grasse, la ville des parfums, que ce benjamin d’une fratrie de trois, né à Vichy de parents ingénieurs chimistes, contracta le doux virus de la musique. Il y commença l’apprentissage du piano à six ans et, cinq ans plus tard, à l’occasion d’un déménagement familial à Bruxelles, il compléta sa formation à l’Académie musicale d’Uccle, où il se lia d’amitié avec Emmanuel Pahud, aujourd’hui flûtiste de renommée internationale. À seize ans, bien qu’admis sur titre au Conservatoire royal de Bruxelles, il y renonce, « conscient des difficultés et des incertitudes liées à une carrière de musicien professionnel ».
La richesse de la scolarité à l’X
Mais, puisque, selon Leibniz, « la musique est un exercice caché d’arithmétique », c’est tout naturellement vers les mathématiques qu’il se tourne alors, en entrant en classes préparatoires au lycée Pasteur. Il intègre Polytechnique deux ans plus tard et fait son service militaire à Tours, au sein du « train des équipages » – ce qui lui laisse le temps de lire, cette année-là, À la recherche du temps perdu, un livre où il est parfois question de casernes et de stratégie militaire. De sa scolarité à Palaiseau, il garde le souvenir marquant du cours de physique quantique de Jean-Louis Basdevant, mais aussi de sa participation au Binet Livres et à la Diskhalle Moderne (car, en plus du classique, il apprécie le rock indépendant).
On le retrouve aussi à Bandol, en stage ouvrier dans les vignobles – ce qui lui donnera le goût de l’œnologie, une discipline qu’il compare à la critique musicale, puisqu’il s’agit de mettre des mots sur des sensations fugaces. Et surtout il rencontre Pascale, condisciple qui deviendra son épouse. Ces deux-là ne se sont pas trouvés par hasard : le pianiste de haut niveau s’est épris d’une jeune fille qui, au lycée, avait choisi des horaires aménagés pour suivre une intensive formation de danseuse. Ils auront quatre enfants, tous musiciens amateurs, dont Juliette, X23, violoncelliste.
Un passage par les finances
À sa sortie de l’X, il envisage un temps de concilier science et musique en se spécialisant dans le traitement du signal, mais choisit finalement d’intégrer l’Ensae. S’ensuit une carrière dans la finance, dans les salles des marchés de la Caisse des Dépôts, puis de la Société générale et de Cacib. Vient alors l’aventure Ossiam, société qu’il revend à Natixis en 2017. Aujourd’hui, il joue les business angels auprès de différentes entreprises aux noms poétiques, comme 73 Strings, qui mobilise l’intelligence artificielle pour valoriser les entreprises non cotées, ou Space Dreams, qui « développe des solutions interopérables révolutionnaires pour les lanceurs et les ports spatiaux ».
Le retour au piano
Mais le piano demeure la grande passion de notre camarade. Il s’est perfectionné auprès d’interprètes renommés, comme Éric Le Sage ou Geoffroy Couteau – dont l’intégrale de l’œuvre de Brahms a marqué les mélomanes –, ou encore Germaine Devèze, alors nonagénaire, autrefois élève de Marguerite Long. Six mois après sa victoire au concours des grands amateurs, il a pu réaliser un rêve d’enfant : jouer, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le Quatrième Concerto de Beethoven, avec l’orchestre de la Garde républicaine.
Il donne cinq à six concerts par an, parfois dans des lieux inattendus, comme la maison de Christian Dior à Granville, ou pour des causes philanthropiques, comme l’association Imagine for Margo, qui finance la recherche sur les cancers pédiatriques. À raison d’au moins deux heures de pratique par jour, il continue par ailleurs à étendre son répertoire pianistique.
En cette année du 150e anniversaire de la naissance de Maurice Ravel, il s’est fixé un objectif ambitieux : interpréter Gaspard de la nuit, œuvre d’une telle virtuosité que le compositeur, pourtant pianiste aguerri, en avait confié la création à son ami Ricardo Viñes.