Antoine Moreau (X89) Un pianiste parmi les grands - dessin de Laurent Simon

Antoine Moreau (X89) Un pianiste parmi les grands

Dossier : TrajectoiresMagazine N°806 Juin 2025
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

En disant d’Antoine Moreau qu’il est « pia­niste », on parle par euphé­misme, puisqu’en 2014 il reçut, après avoir joué le pre­mier Scher­zo de Fré­dé­ric Cho­pin et le Cho­ral et varia­tions d’Henri Dutilleux, le pre­mier prix du pres­ti­gieux concours des grands ama­teurs de piano.

Dans une par­ti­tion musi­cale, lorsque le com­po­si­teur veut lais­ser à l’interprète le choix entre deux ver­sions d’un même pas­sage, il inti­tule ossia la par­tie alter­na­tive, soit « ou » en ita­lien. En clin d’œil à sa pas­sion pour la musique, lorsque Antoine Moreau, tra­der et pia­niste, quit­ta en 2009 les salles des mar­chés des grandes banques, fra­gi­li­sées par la crise finan­cière, pour créer une petite socié­té de ges­tion, il la nom­ma Ossiam, contrac­tion du terme ita­lien avec « am », pour asset mana­ge­ment : Ossiam, une autre manière d’administrer vos actifs !

Une vocation contenue

C’est à Grasse, la ville des par­fums, que ce ben­ja­min d’une fra­trie de trois, né à Vichy de parents ingé­nieurs chi­mistes, contrac­ta le doux virus de la musique. Il y com­men­ça l’apprentissage du pia­no à six ans et, cinq ans plus tard, à l’occasion d’un démé­na­ge­ment fami­lial à Bruxelles, il com­plé­ta sa for­ma­tion à l’Académie musi­cale d’Uccle, où il se lia d’amitié avec Emma­nuel Pahud, aujourd’hui flû­tiste de renom­mée inter­na­tio­nale. À seize ans, bien qu’admis sur titre au Conser­va­toire royal de Bruxelles, il y renonce, « conscient des dif­fi­cul­tés et des incer­ti­tudes liées à une car­rière de musi­cien professionnel ».

La richesse de la scolarité à l’X

Mais, puisque, selon Leib­niz, « la musique est un exer­cice caché d’arithmétique », c’est tout natu­rel­le­ment vers les mathé­ma­tiques qu’il se tourne alors, en entrant en classes pré­pa­ra­toires au lycée Pas­teur. Il intègre Poly­tech­nique deux ans plus tard et fait son ser­vice mili­taire à Tours, au sein du « train des équi­pages » – ce qui lui laisse le temps de lire, cette année-là, À la recherche du temps per­du, un livre où il est par­fois ques­tion de casernes et de stra­té­gie mili­taire. De sa sco­la­ri­té à Palai­seau, il garde le sou­ve­nir mar­quant du cours de phy­sique quan­tique de Jean-Louis Bas­de­vant, mais aus­si de sa par­ti­ci­pa­tion au Binet Livres et à la Dis­khalle Moderne (car, en plus du clas­sique, il appré­cie le rock indépendant).

On le retrouve aus­si à Ban­dol, en stage ouvrier dans les vignobles – ce qui lui don­ne­ra le goût de l’œnologie, une dis­ci­pline qu’il com­pare à la cri­tique musi­cale, puisqu’il s’agit de mettre des mots sur des sen­sa­tions fugaces. Et sur­tout il ren­contre Pas­cale, condis­ciple qui devien­dra son épouse. Ces deux-là ne se sont pas trou­vés par hasard : le pia­niste de haut niveau s’est épris d’une jeune fille qui, au lycée, avait choi­si des horaires amé­na­gés pour suivre une inten­sive for­ma­tion de dan­seuse. Ils auront quatre enfants, tous musi­ciens ama­teurs, dont Juliette, X23, violoncelliste.

Un passage par les finances

À sa sor­tie de l’X, il envi­sage un temps de conci­lier science et musique en se spé­cia­li­sant dans le trai­te­ment du signal, mais choi­sit fina­le­ment d’intégrer l’Ensae. S’ensuit une car­rière dans la finance, dans les salles des mar­chés de la Caisse des Dépôts, puis de la Socié­té géné­rale et de Cacib. Vient alors l’aventure Ossiam, socié­té qu’il revend à Natixis en 2017. Aujourd’hui, il joue les busi­ness angels auprès de dif­fé­rentes entre­prises aux noms poé­tiques, comme 73 Strings, qui mobi­lise l’intelligence arti­fi­cielle pour valo­ri­ser les entre­prises non cotées, ou Space Dreams, qui « déve­loppe des solu­tions inter­opé­rables révolu­tionnaires pour les lan­ceurs et les ports spatiaux ».

Le retour au piano

Mais le pia­no demeure la grande pas­sion de notre cama­rade. Il s’est per­fec­tion­né auprès d’interprètes renom­més, comme Éric Le Sage ou Geof­froy Cou­teau – dont l’intégrale de l’œuvre de Brahms a mar­qué les mélo­manes ­–, ou encore Ger­maine Devèze, alors nona­gé­naire, autre­fois élève de Mar­gue­rite Long. Six mois après sa vic­toire au concours des grands ama­teurs, il a pu réa­li­ser un rêve d’enfant : jouer, dans le grand amphi­théâtre de la Sor­bonne, le Qua­trième Concer­to de Bee­tho­ven, avec l’orchestre de la Garde républicaine.

Il donne cinq à six concerts par an, par­fois dans des lieux inat­ten­dus, comme la mai­son de Chris­tian Dior à Gran­ville, ou pour des causes phi­lan­thro­piques, comme l’association Ima­gine for Mar­go, qui finance la recherche sur les can­cers pédia­triques. À rai­son d’au moins deux heures de pra­tique par jour, il conti­nue par ailleurs à étendre son réper­toire pianistique.

En cette année du 150e anni­ver­saire de la nais­sance de Mau­rice Ravel, il s’est fixé un objec­tif ambi­tieux : inter­pré­ter Gas­pard de la nuit, œuvre d’une telle vir­tuo­si­té que le com­po­si­teur, pour­tant pia­niste aguer­ri, en avait confié la créa­tion à son ami Ricar­do Viñes.

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