« Anticiper pour rebondir : le rôle méconnu de l’administrateur judiciaire »


Fondateur de Stilla Technologies, Rémi Dangla (X05) revient sur les heures complexes traversées par son entreprise et sur l’accompagnement déterminant de l’administratrice judiciaire Hélène Charpentier. Un témoignage à deux voix qui met en lumière le potentiel méconnu d’un métier au service de la continuité de l’activité économique et de la sauvegarde de l’emploi.
Monsieur Dangla, pourriez-vous retracer les grandes lignes de votre parcours et les fondements de votre engagement entrepreneurial ?
Rémi Dangla : Je suis issu de la promotion X05, et j’ai ensuite poursuivi une thèse à l’École polytechnique, au sein du laboratoire d’Hydrodynamique (LadHyx). Mes recherches ont porté sur la microfluidique, un domaine scientifique passionnant qui étudie le comportement des liquides à très petite échelle. C’est dans ce cadre que j’ai conçu des technologies innovantes permettant de manipuler des micro-gouttelettes sur des puces plastiques. Ce socle technologique m’a conduit à réfléchir aux débouchés concrets de ces découvertes, en particulier dans le domaine de la biologie moléculaire.
Cette réflexion a abouti à la création, en 2013, de Stilla Technologies. Notre ambition : développer et commercialiser des outils d’analyse génétique de nouvelle génération, d’une précision et d’une sensibilité inégalées. Nous avons ainsi conçu une nouvelle forme de test PCR, améliorant la sensibilité de détection d’un facteur 10 à 100. Ce saut technologique ouvre des perspectives inédites, notamment dans le suivi de pathologies complexes comme les cancers, via de simples prélèvements sanguins.
Comment vos innovations ont-elles trouvé leur place dans l’écosystème scientifique et industriel ?
R.D. : Très rapidement, nos solutions ont suscité l’intérêt d’acteurs de premier plan dans le domaine du diagnostic et de la recherche pharmaceutique. Le caractère transversal de la technologie nous a permis d’adresser des besoins variés : détection de pathogènes, contrôle qualité dans l’industrie pharmaceutique ou en agroalimentaire, surveillance environnementale, etc. Nous avons développé une gamme complète d’instruments, de consommables microfluidiques et de réactifs, désormais utilisés par plusieurs centaines de laboratoires dans le monde. Cette reconnaissance internationale est le fruit d’une approche rigoureuse, mêlant innovation scientifique et exigences industrielles.
Mais au-delà des avancées techniques, la structuration financière est demeurée un enjeu permanent. Le développement rapide implique des cycles d’investissement soutenus, ce qui peut fragiliser la trésorerie, en particulier dans un contexte économique incertain. C’est précisément dans ces zones de tension que le rôle d’un accompagnement juridique et stratégique s’est révélé décisif.
Quel a été le chemin parcouru par Stilla Technologies depuis sa création ?
R.D. : L’entreprise, que je dirige depuis douze ans, a connu un développement soutenu, tant sur le plan technologique que commercial. Aujourd’hui, nos dispositifs sont utilisés dans le monde entier, dans des domaines variés : santé, industrie pharmaceutique, agroalimentaire, environnement. Nous comptons près de 85 collaborateurs. Mais cette trajectoire n’a pas été linéaire : nous avons traversé plusieurs épisodes critiques, en particulier des tensions de trésorerie, qui ont nécessité de repenser notre structuration financière.
C’est dans ce contexte, au croisement d’un fort potentiel technologique et de contraintes économiques aiguës, que nous avons été amenés à faire appel à l’expertise d’Hélène Charpentier. Son rôle d’administratrice judiciaire a été déterminant pour franchir cette étape cruciale.
Quel regard portez-vous sur les interventions de l’administratrice judiciaire ?
R.D. : L’apport d’Hélène Charpentier a été fondamental. Elle a su nous accompagner dans un moment où l’entreprise devait à la fois restaurer la confiance de ses créanciers, alléger sa structure, et poursuivre des discussions stratégiques, notamment avec des partenaires industriels internationaux. Son action a permis de créer un espace de respiration, de restaurer le dialogue avec les institutions financières, et d’organiser des procédures complexes avec rigueur, indépendance et efficacité. En tant que dirigeant, j’ai pleinement mesuré à quel point il est salutaire, voire vital, de pouvoir s’appuyer sur un tiers extérieur, compétent et indépendant, dans les moments de bascule. Sans cette intervention, il aurait été difficile de préserver l’activité et de construire une sortie par le haut.
Madame Charpentier, dans quelles circonstances précises votre cabinet a-t-il été sollicité ?
Hélène Charpentier : La première prise de contact a eu lieu à l’initiative du conseil juridique de Stilla, alors que l’entreprise faisait face à un resserrement de ses capacités de financement. Nous avons entamé en 2022 une première procédure de conciliation, qui s’inscrit dans un cadre strictement confidentiel. L’objectif était de réunir les partenaires bancaires autour de la table, d’évaluer les leviers disponibles, et d’éviter une cessation de paiements.
“ Notre rôle est d’offrir un avenir aux entreprises, pas d’entériner leur disparition.”
Hélène Charpentier
Nous avons rapidement obtenu un premier accord, permettant une restructuration de dette et un financement relais. Cette phase a permis à l’entreprise de retrouver un cap. Mais les difficultés n’étaient pas totalement résolues, et une nouvelle étape a été franchie par la suite.
Et ensuite ?
H.C. : L’année suivante, face à une situation encore fragile, une procédure de sauvegarde a été engagée. Elle suspend les paiements des créanciers et permet d’imaginer un plan à long terme. Dans ce cadre, nous avons accompagné Stilla à la fois sur la restructuration opérationnelle, avec une adaptation de la masse salariale, et sur l’organisation du processus de cession. Le tribunal a adopté le plan de sauvegarde en mai dernier.
Monsieur Dangla, quelle est votre vision de cette expérience ?
R.D. : Les procédures prévues par le droit français sont trop peu connues. Elles offrent pourtant des solutions précieuses. La conciliation ou la sauvegarde permettent au dirigeant de sortir la tête de l’eau, de ne pas consacrer toute son énergie à la gestion du passé, et de se reconcentrer sur l’avenir de l’entreprise. Il faut dédramatiser le recours à l’administrateur judiciaire. C’est un partenaire de redressement, pas un liquidateur.
“ Quand un dirigeant consacre toute son énergie à gérer le passé, il ne peut pas construire l’avenir.”
Rémi Dangla
Vous rejoignez cette analyse ?
H.C. : Absolument. Notre mission est de préserver les entreprises viables. Nous sommes indépendants, formés, soumis à d’importants devoirs déontologiques et contrôles réguliers. Nous connaissons les mécanismes financiers, juridiques, mais aussi humains. Le regard extérieur que nous apportons permet de renouer la confiance avec les parties prenantes, de pacifier les discussions, de rendre possible l’impossible. Et quand cela réussit, comme avec Stilla, c’est une immense satisfaction.
Auriez-vous un conseil à adresser aux dirigeants confrontés à des difficultés financières ou opérationnelles, mais qui hésitent à se tourner vers un administrateur judiciaire ?
H.C. : Oui, très clairement : il ne faut pas attendre d’être acculé pour chercher de l’aide. Trop souvent, les dirigeants perçoivent encore notre intervention comme un aveu d’échec, alors qu’elle peut être un levier de relance. Se rapprocher d’un administrateur judiciaire en amont, c’est pouvoir envisager des solutions préventives, confidentielles, parfois plus souples, et surtout disposer du temps nécessaire pour restructurer. Notre métier est fondamentalement tourné vers la sauvegarde de l’activité, la préservation de l’emploi et la défense de la valeur créée. Ce que nous offrons, c’est une méthode, une expérience, une indépendance bienveillante au service de l’intérêt collectif de l’entreprise. Chaque mois gagné dans l’anticipation, c’est potentiellement une issue bien meilleure pour toutes les parties concernées.





