Agir pour réduire les inégalités sociales en milieu scolaire

Enseigner les mathématiques pendant quatre mois dans un collège de Villepinte m’a permis de constater que les réalités du terrain ne correspondaient guère aux idées généralement répandues et d’identifier des leviers d’action pour réduire les inégalités sociales dont souffrent nombre de jeunes issus de l’immigration.
À ma sortie de l’X, j’ai passé trois ans aux USA. Tout d’abord au MIT où j’ai fait ma « 4e année » en me spécialisant sur l’intelligence artificielle, puis pendant trois ans chez Google à San Francisco, où j’ai pu mettre en pratique mes connaissances en IA dans le domaine de la santé. De retour en France, j’ai eu envie d’apporter une contribution à la société avec un impact à long terme.
Ayant une mère enseignante, j’ai rapidement vu l’éducation comme un moyen de relier mon contexte familial avec les problématiques de mixité et d’échelle sociale. Je suis parti du constat établi par France Stratégie, selon lequel le milieu social d’origine a une influence considérable sur la réussite professionnelle d’une personne. Beaucoup de mes amis (jeunes âgés de 22 à 30 ans) sont conscients de ce problème et désireux d’agir, mais en réalité personne ne le fait, malgré l’existence de nombreuses associations qui le permettent. J’ai donc décidé de rejoindre l’Éducation nationale pour quatre mois, de décembre 2023 à avril 2024, afin d’aller à la rencontre des jeunes et de comprendre leurs modes de pensée.
À la découverte du collège Camille-Claudel de Villepinte
En tant qu’enseignant dans un collège public en REP (réseau d’éducation prioritaire), j’ai pu voir de quelle façon des classes de 4e et 5e reflètent les inégalités sociales. Premier constat : l’environnement matériel est proche de celui des collèges accueillant des jeunes issus de « milieux favorisés ». Les infrastructures scolaires sont du même niveau, voire supérieures, avec moins d’élèves par classe et des outils (règles, calculatrices, etc.) à disposition des élèves. Second constat : le corps professoral est très jeune, donc peu expérimenté et unanimement motivé par un objectif unique « faire progresser le groupe classe ». Les professeurs sont convaincus que leur collège est laissé pour compte par l’Éducation nationale, bénéficiant de moins de moyens que les lycées « privilégiés ». Ce sentiment ne me semble pas fondé, au premier abord, et est en contradiction avec les chiffres officiels.

À la rencontre des élèves
En faisant connaissance avec les élèves, j’ai observé un certain nombre de différences avec ce que j’avais connu durant ma scolarité. Une des premières choses frappantes est la diversité culturelle au sein des classes. Tous les élèves m’ont demandé : « Monsieur, quelle est votre origine ? », réaction qui pose la question suivante : « Doit-on avoir des origines pour faire partie des leurs ? » Deuxième observation : en dépit des clichés sur ces jeunes issus de l’immigration, j’ai été surpris par leur profonde gentillesse et leur respect envers l’autorité. Et, de façon moins surprenante, j’ai rapidement pu discerner des lacunes scolaires, notamment en matière de capacité de concentration et de connaissances de base (français, mathématiques élémentaires).
Cerner les effets des inégalités sociales
En approfondissant ma relation avec les élèves, j’ai pu constater les effets des inégalités sociales. À commencer par la grande disparité de leurs centres d’intérêt. En fait, il y a une forte diversité de niveau au sein d’une classe avec trois types d’élèves : ceux qui ont abandonné et, ayant des lacunes « incurables », ne se sentent pas concernés par le succès scolaire (« ce n’est pas fait pour moi ») ; la majeure partie du groupe qui rassemble des élèves ayant les capacités de comprendre mais se laissent facilement disperser par les premiers ; enfin une autre minorité qui surnage complètement et donne l’impression de s’ennuyer. Curieusement, les meilleurs en sport sont les meilleurs en maths, ce qui semble mettre en évidence un manque de combativité chez la plupart des élèves. Enfin, les centres d’intérêt des élèves semblent très réduits, avec une importance particulière des jeux vidéo.
Résorber ces inégalités
Je me suis attaché à comprendre comment le système éducatif cherche à réduire ces inégalités. Tout d’abord, beaucoup d’activités extrascolaires (cinéma, intervention, interclasse, etc.) sont organisées, mais sur le temps des cours – ce qui ne rend finalement pas service aux élèves puisque cela accentue des inégalités scolaires. De plus, les professeurs sont convaincus que l’action de l’État ne fait qu’accroître ces inégalités, ce qui les amène à contester les réformes. Cela s’est traduit par de nombreuses grèves (six journées en trois mois). Enfin, les élèves ne voient pas de menace à ne pas travailler : il n’y a plus de redoublement et ils ne réalisent pas l’importance de l’école. La seule peur est celle de la punition familiale.
Une réforme controversée :
Mon stage a eu lieu pendant la réforme du collège, au terme de laquelle les élèves de 6e et 5e seront affectés à des groupes de niveau en maths et français. La présentation de cette réforme du collège, dite du choc des savoirs, peut être trouvée sur le site de l’Éducation nationale (https://www.education.gouv.fr/choc-des-savoirs-une-mobilisation-generale-pour-elever-le-niveau-de-notre-ecole-380226?Cookies=true). Les points essentiels en sont : primo, une clarification et une uniformisation du programme, permettant aux élèves d’atteindre des objectifs concrets, mais réduisant la liberté des professeurs ; secundo, la mise en place de groupes de niveau en classes de 6e et 5e ; tertio, avoir une approche plus exigeante de l’éducation (donc plus élitiste peut-être). Mon expérience étant limitée pour donner un avis étayé sur les points 1 et 3, je m’attarderai donc sur le second point.
Au premier abord, la littérature scientifique démontre que les classes de niveau favorisent les bons élèves et défavorisent les moins bons. Par ailleurs, ces classes désavantagent plus les mauvais qu’elles ne permettent aux bons élèves de s’améliorer. Le niveau moyen diminue donc avec ces classes. Cependant, en approfondissant, le système actuel tend à uniformiser le niveau au sein d’une classe et le niveau d’une classe tendra donc vers le niveau de l’élève moyen, y compris pour les meilleurs élèves. Dès lors, un élève dans un moins bon collège ne pourra atteindre le niveau d’un élève dans un bon collège. Ainsi, les classes de niveau semblent être un moyen de permettre une mixité sociale, mais cela se fait au détriment des moins bons élèves.
Cette réforme me semble donc une bonne idée seulement si elle est accompagnée d’une remise en question du collège unique et de la valorisation des filières professionnelles des plus jeunes classes.
L’environnement familial, clé de la réussite scolaire
Certains élèves, même très perturbateurs ou ayant de grosses lacunes, rendent toujours leurs devoirs et travaillent pour les interrogations. La famille joue alors un rôle essentiel pour éviter un décrochage qui pourrait être rédhibitoire dans quelques années. La préoccupation première de leur environnement semble être le manque d’argent. À la question « qu’est-ce qui vous manque ? », tous répondent « l’argent » sans réfléchir davantage. Cependant, peu d’entre eux voient l’école comme une solution pour « gagner de l’argent ». Un élève, doté de très bonnes capacités, m’a expliqué qu’il voulait être chômeur, et très peu imaginent le travail leur ouvrant des portes inattendues.
Un défi ardu
Comment des jeunes entre 20 et 30 ans, issus de milieux favorisés, peuvent-ils aider ceux des REP ? Les solutions ne sont pas évidentes. Tout d’abord, parce que les élèves ne réalisent pas ce qui leur manque : il ne faut donc pas se positionner en tant que « sauveur », puisqu’ils n’en ressentent pas le besoin. Ensuite, l’éducation et le mentorat ne remplaceront jamais la famille, dans laquelle l’enfant passe le plus de temps. Enfin, les jeunes se reconnaissent très peu dans ceux d’un milieu plus favorisé ; il est donc important de créer une relation de confiance et d’inspiration.
Un soutien matériel sur des besoins « faciles »
Je qualifie ici de besoins faciles ceux dont les élèves ont conscience (ceux dont eux se rendent compte). L’aide peut revêtir trois formes : la possibilité d’offrir des cours particuliers, sur recommandation des professeurs, pour aider les élèves motivés ; l’accueil en stage des élèves de 3e, mais avec la difficulté, dans de nombreux cas, de trouver comment rendre un stage « derrière un ordinateur » attrayant ; et enfin, pour ceux qui le souhaitent, un système d’aide à l’orientation, sans entrer en conflit avec l’école qui offre déjà ce service, mais en complément de celui-ci.
Un soutien « immatériel » pour inculquer des valeurs fondamentales
Il est essentiel de partager avec ces élèves des valeurs fondamentales. Pour cela, trois voies me paraissent possibles : ouvrir de nouveaux centres d’intérêt et donner le goût de l’effort (lecture, énigmes, sport, arts) ; donner envie de réussir scolairement en mettant en avant les chances que cela fournit ; permettre une plus grande mixité sociale, afin que les enfants de milieux plus favorisés puissent rencontrer ceux des REP, et ainsi comprendre comment cela se passe ailleurs.
Donner une suite pratique
Les élèves sont fondamentalement bienveillants et attachants, dotés de réelles compétences. Le système leur fournit de nombreux outils matériels, même s’ils sont convaincus du contraire. Nous devons donc les aider à avoir foi en l’éducation actuelle et leur donner l’envie de lui faire confiance. Il semble que les enfants soient durement touchés par un environnement social et familial qui les confine dans leur situation, sans envisager d’autres possibilités. Vouloir se positionner en opposition à cet environnement est néanmoins une erreur, puisque cela ne ferait qu’augmenter la fracture sociale.
“Il faut associer au mieux la famille.”
A contrario, lorsqu’une difficulté se présente avec un élève, il faut associer au mieux la famille, sinon on va à l’échec, ce qui peut être délicat. J’ai ainsi connu le cas avec un élève dont le père refusait de considérer la scolarité comme importante et ne voyait pas en quoi le comportement perturbateur de son fils était répréhensible. Un chemin d’action visible est le stage de 3e. Actuellement, au cours de ce stage, les élèves se retrouvent dans ce qu’il y a autour d’eux (sandwicherie, supermarché, etc.) et ne découvrent pas de nouvelles opportunités.
Il paraît donc intéressant de proposer aux élèves de 3e de rejoindre les entreprises de jeunes diplômés soucieux de les aider, afin de découvrir leur métier et peut-être de faire naître des vocations. Ces constats m’ont amené à créer en décembre 2024 une association qui a déjà permis à cinq jeunes de banlieue de rejoindre de jeunes cadres dans leur entreprise.