Accompagner les équipes de management dans la transformation

Jean-Laurent Poitou (X85) et Rénald Béjaoui partagent leur vision du private equity, un secteur en pleine mutation, et leurs perspectives sur la transformation des entreprises, un sujet intrinsèquement lié à l’entrepreneuriat. Avec une approche centrée sur la création de valeur et l’innovation, ils offrent des recommandations précieuses aux entrepreneurs.
Quel est votre parcours ?
Rénald Béjaoui : J’ai grandi à Paris et suivi un parcours universitaire que l’on peut qualifier de relativement classique – prépa, EM Lyon et un MBA à l’Insead. J’ai ensuite débuté ma carrière comme investisseur à New York, pour un fonds australien, Macquarie. Mon rôle consistait, en particulier, à développer les investissements dans des mid caps américaines, dans un contexte initial de forte croissance brutalement interrompue par la crise financière de 2008. C’est ainsi qu’en 2009 je suis rentré en France pour rejoindre AIG Europe en tant que bras droit du PDG. Il s’agissait en réalité d’une mission de sauvegarde de l’entreprise, notamment en raison de la vente des assurances vie d’AIG hors des États-Unis.
Après cette expérience, j’ai rejoint Alvarez & Marsal (A&M) entre 2012 et 2017 au sein du bureau parisien, avant de renouer avec l’investissement chez Bain Capital Credit à Londres pendant trois ans. Au terme de ces trois années, j’ai finalement choisi de revenir chez A&M en 2020 en vue de développer l’offre PEPI, Private Equity Performance Improvement.
Jean-Laurent Poitou : Diplômé de Polytechnique en 1985, j’ai rejoint Arthur Andersen, devenu Andersen Consulting, puis Accenture. J’y ai passé toute ma carrière, de 1988 à 2020, en me spécialisant dans les secteurs des télécoms, des médias et de la tech, y compris l’aéronautique et la défense (TMT). J’ai travaillé en Asie, notamment à Tokyo, et collaboré avec des entreprises comme Huawei, Sony, Samsung et LG. Après des rôles mondiaux comme patron de la stratégie et du conseil d’Accenture pour le secteur TMT, j’ai passé une décennie à lancer et développer Accenture Digital, pour finir comme responsable de l’activité data-analytique-intelligence artificielle. En 2020, j’ai quitté Accenture pour travailler en freelance pour des fonds comme EQT en tant que senior advisor. En 2021, après avoir rencontré Tony Alvarez III, j’ai rejoint A&M pour développer la practice numérique et technologique pour la région EMEA.
A&M en quelques mots ?
JLP : A&M, ce sont 11 000 personnes dont 3 000 en Europe. Nos trois métiers sont la restructuration d’entreprises en difficulté, les fusions acquisitions et les programmes de transformation pour des grands corporates ou bien pour des entreprises détenues par des fonds de private equity.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans votre démarche d’accompagnement de la transformation ?
RB : Ce qui m’anime dans notre démarche d’accompagnement d’équipes de management sous LBO (Leveraged buy-out), c’est la satisfaction intellectuelle de voir nos idées se concrétiser et se traduire en valeur pour l’entreprise. Nous travaillons étroitement avec ces équipes pour identifier des gisements de création de valeur, documenter ces idées, puis les exécuter. Nous jouons un rôle de facilitateur entre les investisseurs financiers, qui cherchent à maximiser l’EBITDA, et les équipes de management qui connaissent leur business en profondeur mais n’ont pas forcément les réflexes et les codes pour dire : « Voilà, derrière cette idée, il y a tant de chiffre d’affaires et de potentiel EBITDA dans deux ans. Et surtout, voici comment on va faire pour atteindre ces objectifs. »
JLP : Nous aimons traduire les besoins technologiques en solutions concrètes pour les équipes marketing, commerciales ou opérationnelles. Nous faisons le lien entre les équipes techniques et les équipes business pour garantir que les investissements technologiques apportent une valeur tangible, mesurable par leur impact sur l’EBITDA, en combinant réduction des coûts ou croissance. Aujourd’hui, tout le monde parle de l’IA et les entreprises sont obligées d’en parler. Mais les équipes de management voient surtout les risques : problèmes de sécurité, de protection des données ou de passage à l’échelle. Elles sont inquiètes, mais doivent raconter une belle histoire sur l’IA à leur comité exécutif ou à leur board. Réconcilier cette vision des investisseurs qui exigent un discours sur l’IA et celle des équipes de direction qui savent que ça va être plus compliqué, cela fait partie de notre métier et représente un beau défi.
Pour un entrepreneur fondateur, quelles sont les premières étapes pour faire entrer un investisseur financier dans son tour de table ?
RB : Pour un fondateur souhaitant faire évoluer son capital en faisant entrer un investisseur financier, il est crucial de se préparer et de bien s’entourer. Avec une banque d’affaires, le fondateur écrira l’equity story, c’est-à-dire le business plan et les jalons de la vision stratégique des cinq années suivantes. Les fondateurs convoités doivent se poser la question : « Ce fonds d’investissement, quel soutien va-t-il m’apporter quotidiennement ? »
JLP : D’un point de vue numérique et technologique, il y a des thèmes récurrents dans les théories de création de valeur qui intéressent les fonds. Il y a l’internationalisation (ou le passage à l’échelle), le build-up par acquisitions, et la numérisation des processus, produits ou canaux de distribution. Le numérique a donc une place essentielle dans l’accompagnement des plans de réalisation de valeur des sociétés dans lesquelles investissent les fonds. Cela est particulièrement vrai des start-up qui sont des pure players du numérique. Par exemple, nous avons accompagné une plateforme de consultation en ligne médicale, dont les fondateurs étaient experts en médecine mais pas en numérique.
Pouvez-vous nous parler du secteur du private equity et de ses tendances ?
RB : On observe trois grandes tendances. En premier lieu, une concurrence accrue dans le secteur du PE ; depuis 2005, le nombre de fonds a augmenté, intensifiant la concurrence pour déployer du capital et conduisant à des valorisations plus élevées. Deuxièmement, une évolution vers la création de valeur opérationnelle. Les fonds internalisent de plus en plus des compétences opérationnelles, notamment à travers le rôle d’operating partner, pour améliorer la performance des entreprises dans lesquelles ils investissent. Enfin, l’intégration des équipes opérationnelles et financières : l’investisseur « augmenté » de demain maîtrisera à la fois les questions financières et les questions opérationnelles.
JLP : Les fonds intègrent également, en plus des operating partners, des digital partners pour apporter une expertise technologique et numérique. Cette tendance est de plus en plus courante, notamment dans les très gros fonds. Les digital partners aident à identifier les leviers de création de valeur liés à la technologie et à la data, et à mettre en œuvre des projets concrets.

Quels sont les enjeux de la due diligence pour un fondateur et les critères d’investissement des fonds de PE ?
RB : La phase de préparation est essentielle pour un fondateur souhaitant lever du capital ou vendre son entreprise. Il doit se préparer aux différentes due diligences : stratégique, financière, opérationnelle, technologique, légale, fiscale et ESG. Les critères d’investissement des fonds de PE incluent la profondeur du marché, la capacité de croissance, la prévisibilité des cash-flows et le potentiel de l’équipe de management. Il est crucial que l’équipe soit agile, et le savoir partagé.
JLP : Il est en effet important pour le fondateur d’être remplaçable. Dans le cas contraire, cela peut créer des problèmes pour l’entreprise après son départ et donc faire peur à un fonds voulant investir. Il y a une valeur particulièrement importante à mes yeux, le stewardship, être capable de laisser ce qu’on a créé avec des possibilités de carrière et d’enrichissement pour la génération suivante.
Au-delà du secteur d’activité de l’entreprise, quels sont les facteurs pour que l’entrée d’un fonds de PE soit une réussite pour les différentes parties prenantes ?
RB : À mon sens, le facteur clé est la confiance. Si la confiance est là, l’alignement des intérêts aussi. Lorsqu’elle est présente, l’alignement des intérêts suit naturellement. Les deals de LBO les plus réussis sont ceux où règne une confiance totale entre l’actionnaire majoritaire, le fondateur et les équipes. Si chacun communique ouvertement, notamment sur ce qui peut aller moins bien, il devient possible de soulever des montagnes. En revanche, au moindre problème dans cette relation, la dynamique peut facilement s’enrayer.
“Le facteur clé est la confiance.”
JLP : Pour un entrepreneur, il est préférable de choisir un investisseur avec lequel il y a une alchimie personnelle et une relation de confiance, même si cela signifie accepter une offre financière légèrement moins avantageuse. Les fonds d’investissement sont des partenaires à long terme, capables de soutenir les entreprises dans leur croissance et de les aider à surmonter les défis.
Comment préparer la sortie du fonds ?
RB : La sortie se prépare dès le début du cycle d’investissement. Il faut rapidement se projeter sur l’histoire du tour d’après et être à même de prouver deux choses. Premièrement, avoir réussi à développer et structurer l’entreprise, ce qui légitimera le retour sur investissement. Deuxièmement, montrer qu’il reste du potentiel : conquérir de nouveaux marchés, lancer de nouvelles offres ou produits.
JLP : Une sortie peut se faire avec un autre fonds de PE, avec le même fonds via un autre véhicule, ou vers un acquéreur industriel. Les sorties vers des industriels sont intéressantes, car elles permettent de valoriser des synergies que les investisseurs financiers ne peuvent pas toujours intégrer. Les industriels sont souvent prêts à payer un prix plus élevé pour des entreprises qui sont pour eux des catalyseurs de croissance.
Comment le secteur du private equity est-il perçu aujourd’hui ?
RB : Le private equity s’est largement démocratisé. Le capital investissement en France est un catalyseur de création d’emplois et irrigue l’économie. L’une des tendances actuelles tient dans l’élargissement de la répartition de la valeur. Les fonds d’investissement en France font attention à ce que la valeur soit équitablement répartie. Sur certains LBO, une grande partie des salariés peut investir dans le tour de table.
JLP : En France, la BPI joue un rôle d’accélération et de réduction du risque pour les acteurs privés, avec de l’argent public. La BPI et les fonds français sont clés dans le développement de la French Tech et la souveraineté numérique. La conjonction d’interventions publiques-privées est assez vertueuse.
Quelles recommandations faire à un entrepreneur dans le contexte actuel de guerre commerciale avec les États-Unis ?
JLP : En France, nous avons l’atout de nos formations scientifiques et informatiques d’excellence, et le marché américain reste incontournable malgré les turbulences actuelles. Pour devenir un acteur mondial, il est recommandé de garder un centre de décision et d’innovation en France ou en Europe, où les talents sont nombreux et moins coûteux qu’à Palo Alto, et d’avoir une force commerciale sur le marché nord-américain. L’innovation et la décision en Europe, l’expansion aux États-Unis : c’est une recette d’expansion dans la tech quasi incontournable.
Pour en savoir plus : Alvarez & Marsal