« Accélérer le déploiement de l’IA sur l’ensemble du tissu économique français »

Déployer l’IA sur tout le tissu économique français et la faire rayonner à l’échelle européenne : la mission de Hub France IA est ambitieuse mais noble. Éthique, souveraineté et responsabilité sont les maîtres mots de l’association, active depuis 2017.
Pouvez-vous nous présenter Hub France IA et ses principales missions ?
Le Hub France IA est une association à but non lucratif créée en 2017 sous l’impulsion d’entreprises, grands groupes et start-up, d’académiques et d’experts IA qui avaient anticipé le besoin de se regrouper pour faire avancer les sujets IA en France et en Europe.
Depuis sa création, l’association s’est donnée pour mission d’accélérer le déploiement de l’IA sur tout le tissu économique français avec un rayonnement à l’échelle européenne principalement. C’est ainsi que très rapidement le Hub France IA a souhaité accompagner la stratégie nationale et s’impliquer dans de grands projets européens. Aujourd’hui, le Hub France IA accompagne le développement et l’adoption d’une IA souveraine, éthique et responsable et se positionne comme fédérateur de l’écosystème IA. L’association regroupe la plus grande communauté IA en France avec plus de 250 membres et une cinquantaine de partenaires en France et en Europe. Ses membres sont des entreprises : des start-up, scale-up mais aussi des PME, ETI ou Grands Groupes ; des institutions, des collectivités ou des écoles et centres de recherche ; des fonds d’investissement, des associations, des cabinets d’avocat, mais aussi des experts indépendants bénévoles, tous mobilisés sur des sujets stratégiques en lien avec l’Intelligence Artificielle.
“L’enjeu est de faire de la France un leader dans le domaine de l’intelligence artificielle tout en respectant nos valeurs éthiques.”
Pour remplir sa mission, d’intérêt général, le Hub France IA produit plusieurs publications annuelles sous la forme de rapports, d’études, de notes ou de guides permettant de répondre à des questions pour lesquelles il n’existe pas toujours de réponse structurée et facilement accessible. C’est en mobilisant ses membres, principalement au travers de groupes de travail, que l’association peut produire régulièrement du contenu ouvert et utile à tous.
Quelques mots sur vos principaux membres et parties prenantes
En 2017, le Hub France IA comprenait quelques dizaines d’entreprises et organisations membres ce qui représentait une petite centaine de personnes adhérentes, principalement des profils techniques et experts IA dans des grands groupes ou des start-up, ainsi que des chercheurs en IA qui évoluaient dans les meilleurs centres de recherche et laboratoires. Aujourd’hui, la typologie des membres de l’association a beaucoup évolué, en même temps que leur nombre a suivi une croissance quasiment exponentielle depuis fin 2020.
L’association est depuis toujours soutenue par des grands groupes qui ont compris qu’il était primordial de s’engager et de collaborer pour faire avancer l’IA en France dans un contexte où la concurrence internationale a toujours été particulièrement pesante pour l’Europe. C’est ainsi que des groupes comme La Poste, France Télévisions, SNCF, L’Oréal… ont été dès la création du Hub France IA particulièrement engagés dans la définition de sa feuille de route et la réalisation de ses activités. Par la suite, de grandes banques comme Société Générale et BNP Paribas ont rejoint l’association pour travailler conjointement sur des sujets en lien avec la définition et l’opérationnalisation des risques spécifiques liés aux systèmes d’IA. Avec les premières discussions sur le règlement européen sur l’IA, le Hub France IA a vu des profils plus juridiques rejoindre ses groupes de travail pour suivre la mise en place progressive de ce qui deviendra l’AI ACT.
“Le Hub France IA accompagne le développement et l’adoption d’une IA souveraine, éthique et responsable et se positionne comme fédérateur de l’écosystème IA.”
Mais le Hub France IA c’est surtout une association ouverte et diversifiée. L’association regroupe ainsi plus de 200 start-up et scale-up qui façonnent le paysage de l’IA, établies en France ou dans des pays limitrophes. C’est aussi grâce à cette communauté que l’association est en mesure de valoriser le savoir-faire français en IA sur toute la chaîne de valeur.
Depuis un peu plus d’un an, l’association a également eu la chance d’accueillir des fonds d’investissement, Cathay Innovation fut le premier fonds à rejoindre le Hub France IA ; ainsi que des métropoles, la Métropole du Grand Paris a été la première à s’appuyer sur l’association pour accompagner sa stratégie IA auprès des collectivités.
Grâce à son écosystème grandissant, la qualité de ses productions et son réseau européen, le Hub France IA est régulièrement sollicité par les pouvoirs publics pour accompagner leur stratégie IA. C’est tout particulièrement avec ECOLAB (ministère de la Transition Écologique) et la DGE (ministère des Finances) que le Hub France IA travaille plus étroitement.
Dans cette continuité, quelles sont les principales actions que vous déployez ?
La feuille de route de l’association est organisée en 5 grandes thématiques qui ont été établies à la nomination de la nouvelle Présidente, Rim Tehraoui, en 2023 : IA de confiance ; Adoption & Usages ; Impacts ; Écosystèmes et Technologies. Ces thématiques visent à cadrer les grands axes de travail de l’association qui se déclinent sous différents formats : production de rapports, réalisation de projets, mise en place de conférences ou de webinaires… toujours en visant la mise à disposition de contenus utiles à tous.
Ainsi, depuis un peu plus d’un an, le Hub France IA a lancé 4 groupes de travail transverses et prioritaires sur des sujets à fort impact pour les organisations : IA générative : usages, risques, bonnes pratiques ; AI ACT : comment accompagner la mise en conformité ; Transition Écologique : IA frugale et évaluation de l’impact environnemental de l’IA ; Cybersécurité : sécurisation des systèmes d’IA.
« Aider les PME à se lancer dans l’IA par la mise en plus d’un premier projet concret et à fort ROI. »
Mais le Hub France IA est également un environnement neutre et de confiance pour traiter des sujets plus sectoriels ou spécialisés : Maintenance ; Transport & Logistique ; Santé ; Voix & Langage ; RH… autant de sujets que de problèmes à résoudre pour aider les organisations à s’approprier l’IA, maîtriser sa mise en œuvre et en comprendre les impacts.
Au-delà des groupes de travail, le Hub France IA est également impliqué dans de grands projets européens. Le Hub France IA participe par exemple au projet DeployAI financé dans le cadre du programme européen Digital Europe : 28 millions d’euros pour financer la mise en place d’une plateforme européenne AI-on-Demand. Dans ce projet le Hub France IA porte plusieurs études annuelles en lien avec les besoins des entreprises à travers l’Europe vis-à-vis de l’IA, mais également la mise en place d’une ambitieuse cartographie des start-up IA à l’échelle européenne.
Le Hub France IA est également copilote d’un dispositif de financement porté par la Région Île-de-France qui vise à aider les PME à se lancer dans l’IA par la mise en plus d’un premier projet concret et à fort ROI. C’est plus de 130 entreprises franciliennes qui ont déjà été financées et accompagnées par des prestataires de confiance sur le territoire.
Quels sont les temps forts organisés et soutenus par l’association ?
Une grande partie de l’activité de l’association passe par la réalisation et la publication de livrables issus de ses groupes de travail. Ce sont les communs de l’IA dont l’ambition est d’aider les entreprises ou les institutions à mieux comprendre les enjeux. Ainsi, plusieurs temps forts dans l’année sont mis en place sous la forme d’événements, de prises de parole ou de webinaires permettant de restituer le contenu des livrables.
Mais de manière récurrente, depuis 4 ans maintenant, le Hub France IA publie, au printemps, la mise à jour du volet français de la cartographie des start-up IA. Ce projet, initialement lancé en 2020 avec l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas, vise à structurer et rendre accessible l’écosystème IA européen au sein d’une plateforme commune. Depuis 2024, ce projet a pris une toute nouvelle envergure en étant transféré dans le cadre du projet DeployAI. La cartographie européenne vise à terme à mettre en lumière les start-up des 27 pays membres de l’Union européenne.
Un projet ambitieux, mais dans lequel le Hub France IA s’investit tout particulièrement pour soutenir et valoriser les compétences européennes, mais aussi pour permettre aux entreprises et aux institutions d’identifier plus facilement les acteurs en mesure de les accompagner dans leurs projets. C’est aussi un projet utile pour les pouvoirs publics, les fonds et les grandes entreprises, tant l’Europe regorge de talents, mais parfois difficiles à identifier.
“C’est en mutualisant nos forces et en harmonisant nos actions que l’IA pourra être également plus accessible.”
Le Hub France IA a aussi pour ambition de soutenir les actions portées par ses partenaires, c’est ainsi que l’association se fait le relais des actions d’autres associations, des syndicats professionnels et s’allient à des associations en région. Car c’est en mutualisant nos forces et en harmonisant nos actions que l’IA pourra être également plus accessible. Mais c’est au niveau européen que le Hub France IA a structuré avec ses partenaires historiques un véritable écosystème, en créant officiellement une association européenne, l’EAIF (European AI Forum), qui siège à Bruxelles et qui sert de relais aux différentes actions nationales des 9 associations fondatrices.
Alors que le déploiement de l’IA s’accélère, pourquoi est-ce essentiel pour la France de se structurer à ce niveau ?
En 2017, juste avant la création du Hub France IA, la France avait lancé des groupes de travail pour consolider une première version de la future stratégie nationale en IA, qui avait été officiellement annoncée en 2018 par Cédric Villani.
Déjà à l’époque, le gouvernement français avait identifié l’urgence de structurer le déploiement de l’IA en France et de consolider une vision européenne. La France n’était clairement pas en retard sur cette prise de conscience, car des pays comme la Chine et les États-Unis lançaient également leur stratégie sur cette même période. Ainsi, la France a mis en place plusieurs actions pour aider les organisations à penser leur stratégie IA en s’appuyant sur le transfert technologique (car en France nous avons toujours eu des talents et des compétences scientifiques reconnus en IA) et en mettant l’accent sur certaines filières stratégiques comme la santé.
Cette stratégie a porté ses fruits, car aujourd’hui nous comptons en France un vivier de start-up IA en santé assez important, ainsi qu’un nombre conséquent de projets déployés sur le secteur (le Hub France IA a lancé il y a 1 mois une grande enquête sur l’adoption de l’IA en santé avec le soutien de la DGE et la dynamique est assez impressionnante !).
« La deuxième phase de la stratégie nationale IA s’orientait plus spécifiquement sur 2 choses : le soutien aux PME et la formation. »
La deuxième phase de la stratégie nationale IA s’orientait plus spécifiquement sur 2 choses : le soutien aux PME et la formation. La France – et c’est aussi vrai plus largement en Europe – est composée d’un très grand nombre de petites entreprises, TPE, PME et ETI qui n’ont pas toujours le temps et les moyens de se pencher sur la numérisation et encore moins sur l’IA. Soutenir cet écosystème dans leur adoption de l’IA est primordial car devenir un pays champion de l’IA passe par deux choses : construire un écosystème d’offreurs de solutions IA en pleine croissance et voir émerger des champions qui pourront garantir à nos entreprises d’avoir le choix des solutions à déployer au-delà des géants américains ou chinois ; mais également doter nos entreprises des moyens pour leur permettre d’intégrer, de développer, de déployer en production des systèmes d’IA.
C’est en suivant ce niveau d’adoption qu’on pourra vraiment juger de la capacité de l’ensemble du tissu économique français à se positionner face à la concurrence. Et la stratégie nationale vise donc d’une part à fournir les moyens aux petites et moyennes entreprises pour « dérisquer » la mise en place d’un premier projet d’IA : accompagnement par des experts, aide au financement… (via le programme IA Booster de la BPI ou le programme PACK IA de la Région Île-de-France par exemple), mais aussi de mettre en place des grands plans de création de formation à l’IA pour les « gens des métiers ».
« Il y a un enjeu pour la France de s’équiper en data centers et en puissance de calcul. »
Aujourd’hui, les annonces du Sommet pour l’Action sur l’IA démontrent qu’il y a aussi un enjeu pour la France de s’équiper en data centers et en puissance de calcul. Ce n’est pas nouveau, car la France a déjà plusieurs supercalculateurs dédiés à la recherche (public ou privé) avec par exemple Jean Zay (GENCI), mais cela s’accélère nettement. Pour aider les start-up à grandir plus vite et les entreprises en général à déployer des projets d’IA, cela peut être clairement intéressant d’avoir à la fois les ressources techniques, mais aussi le support d’experts pour les accompagner. C’est aussi un enjeu de souveraineté, de frugalité (en lien avec la création de la Sustainable AI Coalition) et de partage des données (en lien avec la création de CurrentAI).
Aujourd’hui, en matière d’IA, quels sont les enjeux et les freins qui persistent ?
Bien que l’IA soit devenue un sujet particulièrement d’actualité et que les organisations au sens large s’intéressent au sujet, il ne faut pas oublier que l’IA aussi intrigue, fait peur… et que certains y vont clairement à reculons. Il y a aussi des niveaux de maturité assez disparates et des budgets alloués à l’IA qui ne sont pas les mêmes dans toutes les organisations. Un des grands enjeux c’est la formation ! Aujourd’hui, on n’est pas encore arrivé à un stade où tout le monde peut s’approprier le sujet si facilement.
Alors oui, il y a et il y aura de plus en plus de solutions IA sur étagère, et avec la déferlante de l’IA générative et des agents conversationnels vraiment fonctionnels, l’IA est soudainement devenue plus accessible. Mais dans la sphère professionnelle concrètement où en est-on ? Encore au stade de l’expérimentation, de la recherche de valeur… aussi, car les utilisateurs ne comprennent pas tout à fait les technologies sous-jacentes, ni les risques.
Au Hub France IA, nous sommes régulièrement sollicités pour réaliser des actions de sensibilisation à l’IA : reposer les bases, l’histoire, les enjeux et les impacts, mais surtout donner un coup d’accélérateur, de déclencheur et apaiser les craintes pour donner envie de s’y mettre.
« Il y aura de plus en plus de solutions IA sur étagère. »
Il y a des secteurs où on se pose aussi beaucoup de questions sur l’impact de l’IA, par exemple les services RH sont depuis un peu plus d’un an très actifs sur le sujet et en 2024 de nombreuses conférences IA dédiées au secteur RH ont vu le jour. Cela se comprend pour différentes raisons : d’une part les RH sont les premiers à accompagner les collaborateurs dans l’évolution de leurs métiers et il est clair que l’IA aura un impact parfois important sur certaines tâches ; d’autre part, déployer l’IA dans les RH est catégorisé à haut risque dans le règlement européen sur l’IA (AI ACT), ce qui nécessite pour ce secteur de bien comprendre les enjeux et justement les risques pour pouvoir « passer à l’échelle » en IA.
Il y a donc un très grand enjeu sur l’adoption de l’IA : par les petites entreprises, sur certains secteurs encore peu numérisés et par des services qui doivent clairement se structurer. Mais il y a aussi des enjeux techniques : avec l’IA générative se tient une course incroyable à la mise en place de grands modèles de langages de plus en plus performants au point qu’il devient de plus en plus difficile d’être à jour et d’assurer une veille pertinente sur ces modèles.
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Il faut arrêter de traîner des pieds, l’IA est déjà partout dans le quotidien, et ce depuis bien avant que la lumière soit faite sur l’IA générative. Ce qui a changé fin 2022, c’est que le grand public a pu toucher du doigt ce qu’on peut entendre par IA. Bien sûr, l’IA est un domaine vaste, qui inclut de nombreuses solutions ou technologies, mais l’appropriation soudaine et hyper rapide des solutions à base d’IA générative reste quand même une première pour le domaine de l’IA ! Et depuis, tout le monde s’y met de bonne volonté ou par la force des choses, et c’est bien, il faut y aller avant de se faire dépasser. Il faut se former, sans nécessairement devenir des experts techniques, mais comprendre comment cela fonctionne, à quoi ça sert surtout, l’impact et les risques.
« L’IA est déjà partout dans le quotidien, et ce depuis bien avant que la lumière soit faite sur l’IA générative. »
Ensuite, il ne faut pas non plus se dire de faire de l’IA à tout prix, il faut surtout réfléchir à ses problèmes, à son métier, à ce qu’on aurait envie d’améliorer et le retour sur investissement que cela peut amener. Ce retour n’est pas toujours chiffrable parfaitement, mais l’IA, aujourd’hui encore en tout cas, cela a un coût que ce soit pour développer, pour intégrer ou pour exécuter et c’est important de l’avoir en tête. Non pas pour laisser tomber son projet, car potentiellement on trouve cela « trop cher », mais plus pour mettre en face les bénéfices que ce projet peut apporter en termes de temps gagné, en bien-être des collaborateurs, en optimisation de ses processus métiers, peut-être en chiffre d’affaires, en positionnement par rapport à la concurrence.
Il y a plusieurs métriques à avoir en tête, car comme tout projet de transformation, ce n’est pas toujours évident de trouver les bons leviers. Mais il faut à minima lancer la réflexion de ce que l’IA pourrait nous apporter, sensibiliser ses équipes et s’appuyer sur les bons partenaires pour réaliser les projets quand on n’a pas les ressources internes.