Cop 26

À quoi a servi la COP26 ? Pas totalement à rien

Dossier : ExpressionsMagazine N°771 Janvier 2022
Par Mounia MOSTEFAOUI (M2012)

Mou­nia Moste­faoui ter­mine sa thèse au LMD (Insti­tut Pierre-Simon-Laplace). Après avoir suivi plusieurs COP, elle a été invitée comme con­féren­cière et panéliste au pavil­lon sci­en­tifique de la zone bleue des négo­ci­a­tions de la COP26 à Glas­gow, dans la délé­ga­tion française, avec le sou­tien de la direc­tion du Lab­o­ra­toire de météorolo­gie dynamique.
La par­tic­i­pa­tion fidèle à cette grand-messe cli­ma­tique dev­enue rit­uelle per­met de décrypter, par-delà les décep­tions inévita­bles, les signes qui per­me­t­tent d’espérer un pas­sage à l’action dans la société civile.

Après deux semaines de négo­ci­a­tions inter­na­tionales sur le cli­mat, la COP26, décalée d’un an en rai­son de la crise san­i­taire – du jamais vu dans l’histoire des COP –, s’est achevée avec un jour de retard. Cette COP était por­teuse d’enjeux par­ti­c­ulière­ment cru­ci­aux dont notam­ment : le relevé des ambi­tions dans les con­tri­bu­tions nationales des États depuis l’Accord de Paris en 2015 ; l’article 6 de l’Accord de Paris à pro­pos du marché du car­bone et d’un cadre de trans­parence ; le finance­ment des pertes et dom­mages pour les pays les plus vul­nérables avec la promesse des pays dévelop­pés, non tenue en 2020 avec seule­ment env­i­ron 80 mil­liards par an, de fournir 100 mil­liards de dol­lars par an aux pays plus modestes.

Un autre enjeu majeur de la COP était l’introduction dans le texte final, dit Pacte de Glas­gow pour le cli­mat, de mots impor­tants com­plète­ment absents depuis l’Accord de Paris, comme « éner­gies fos­siles » et « charbon ».

Un texte affaibli à l’ambition floue

Le pro­jet d’introduire pour la pre­mière fois dans le texte de Glas­gow la notion d’« élim­i­na­tion des éner­gies fos­siles » s’est trou­vé con­tré à la dernière minute par l’Inde notam­ment qui a obtenu le choix de l’expression plus floue de « réduc­tion pro­gres­sive ». Cette sit­u­a­tion était prévis­i­ble compte tenu de l’échec du G20 quelques jours avant la COP26 à inclure la notion d’élimination pro­gres­sive. En ce qui con­cerne l’autre ques­tion épineuse des pertes et dom­mages, mal­gré la pres­sion forte des pays en développe­ment pour la créa­tion d’un fonds pour les paiements asso­ciés à la ques­tion de la jus­tice cli­ma­tique, les pays dévelop­pés n’ont pas accep­té cette propo­si­tion. Les États-Unis notam­ment s’y sont forte­ment opposés par la voie de l’envoyé cli­mat John Ker­ry, arguant d’un manque de clarté en ter­mes de respon­s­abil­ité juridique. Finale­ment un accord au rabais a sim­ple­ment été trou­vé pour met­tre en place un dia­logue sur le sujet à l’occasion des futures COP. Les modal­ités d’une tar­i­fi­ca­tion car­bone effi­cace pour l’ensemble des émis­sions sont par ailleurs encore à élaborer.

Chaises vides pour trois grands absents

La présence des chefs d’État aux COP, bien que sym­bol­ique, reste un sig­nal impor­tant urbi et orbi. Or les absences de Vladimir Pou­tine, de Xi Jin­ping et de Jair Bol­sonaro ont par­ti­c­ulière­ment été remar­quées et regret­tées pour le plus impor­tant moment diplo­ma­tique annuel des dis­cus­sions sur le climat.

L’illusion tragique de la prévalence des intérêts visibles de court terme 

Le min­istre indi­en de l’Environnement a notam­ment plaidé que, avec 70 % de son élec­tric­ité nationale issue du char­bon pour une pop­u­la­tion de 1,38 mil­liard d’habitants, son pays ne pou­vait raisonnable­ment pas se pronon­cer en faveur d’un arrêt des éner­gies fos­siles même pro­gres­sif. Déploy­er le nucléaire en Inde prendrait par ailleurs une dizaine d’années, entre la mise en place des infra­struc­tures et la for­ma­tion des ingénieurs. En con­séquence, soutenu par d’autres impor­tants émet­teurs de GES, le pays a défendu et obtenu la val­i­da­tion de l’expression vague d’« usage respon­s­able des éner­gies fos­siles ». Les autres États qui pro­mou­vaient une plus grande ambi­tion, préférant un accord faible et flou à l’absence d’accord, se sont résignés à accepter mal­gré tout ce mau­vais deal.

Imposture des mots

La for­mule sim­ple de Gre­ta Thun­berg « blablabla » pour dénon­cer l’imposture des paroles poli­tiques vides a été large­ment reprise, y com­pris par des respon­s­ables poli­tiques et des chefs d’entreprise dans les nom­breux dis­cours offi­ciels et side events qui ont jalon­né la COP. Le secré­taire général de l’ONU António Guter­res a lui-même déploré le manque de volon­té poli­tique pour dépass­er les con­tra­dic­tions entre les intérêts indi­vidu­els immé­di­ats de chaque pays et la vision de long terme pour le monde.

La tragidémocratie ou le drame du consensus 

Alors que le dis­posi­tif des COP nous sem­ble s’être net­te­ment amélioré autant du point de vue des organ­isa­teurs, des respon­s­ables de la Con­ven­tion cadre des Nations unies sur le change­ment cli­ma­tique (CCNUCC), que des par­ties prenantes, le prin­ci­pal point de blocage du plein suc­cès de la pro­tec­tion de la planète par un texte ambitieux réside trag­ique­ment dans la place même per­mise à la con­tra­dic­tion, comme dans tout proces­sus démoc­ra­tique qui se respecte. Le principe du con­sen­sus étant qu’il n’y ait « pas d’opposition exprimée », une seule oppo­si­tion néces­saire et suff­isante est la cause prin­ci­pale du car­ac­tère mutilé de la portée du texte final de Glas­gow. On touche là aux lim­ites de l’exercice de la négo­ci­a­tion mul­ti­par­tite démoc­ra­tique. Dans la même veine, du fait du fonc­tion­nement par prési­dence tour­nante au niveau mon­di­al des COP, la COP28 se tien­dra… aux Émi­rats arabes unis, ce qui n’est pas sans ironie compte tenu du pro­fil en ter­mes d’émissions de GES de l’heureux État élu.

Le pessimisme des scientifiques 

Une récente étude parue dans Nature (Tollef­son, J., 2021) mon­tre qu’une majorité de sci­en­tifiques sur un pan­el de plus de 90 auteurs du six­ième rap­port du GIEC sont pes­simistes quant à la capac­ité des États à con­cré­tis­er leurs engage­ments et que, d’après eux, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique sera supérieur à +3 °C à la fin du siè­cle. Pour­tant, mal­gré un flou artis­tique savam­ment orchestré par les pays réti­cents à sor­tir du par­a­digme de la crois­sance car­bonée, le texte de Glas­gow laisse une place pour un espoir non nul, même si peu prob­a­ble, de rester sous les 1,5 °C à l’horizon 2100. Mal­gré les décep­tions sus­men­tion­nées, il serait exces­sif de dire que la COP26 n’a servi à rien.

Des négociateurs de plus en plus militants

La COP25 avait pour la pre­mière fois été le théâtre d’actions du mou­ve­ment Extinc­tion Rebel­lion au sein de l’espace fort policé des salles de négo­ci­a­tion dans la zone bleue des COP. Lau­rence Tubiana, ex-cham­pi­onne de COP elle-même, por­tait osten­si­ble­ment le badge mil­i­tant en pleine con­férence de presse. De nom­breuses autres actions de ce genre, y com­pris des man­i­fes­ta­tions où plusieurs négo­ci­a­teurs offi­ciels ont pris part, ont eu lieu de nou­veau en zone bleue à la COP26.

L’émergence de la société civile à la table des discussions

Certes, la société civile n’a pas encore offi­cielle­ment sa place en tant que par­ty, mais des obser­va­teurs et des jeunes sont très présents aux ses­sions de négo­ci­a­tion comme aux mul­ti­ples side events. De toute l’histoire des COP, la présence du nom­bre d’observateurs accrédités n’a peut-être jamais été aus­si élevée que lors de la COP26, ce qui a accru l’effet de pres­sion par les pairs. De nom­breuses actions mil­i­tantes ont eu lieu en plus de la tra­di­tion­nelle marche pour le cli­mat dans les rues de Glas­gow. Notons que la délé­ga­tion des négo­ci­a­teurs du Pana­ma comp­tait la moyenne d’âge la plus basse de la COP (26 ans env­i­ron), avec davan­tage de femmes que d’hommes dans la délégation.

Une attention portée à la jeunesse

La jeunesse a été non seule­ment présente mais aus­si enten­due, à défaut d’être écoutée et pleine­ment exaucée. L’égérie sué­doise de la cause cli­ma­tique, désor­mais âgée de 18 ans, a lais­sé sa cama­rade de lutte la mil­i­tante ougandaise Vanes­sa Nakate, 25 ans, cette année en une du Time, pren­dre le relai médi­a­tique de porte-parole de la jeunesse à la COP26. Plus nuancée dans sa rhé­torique que sa très médi­a­tique sœur de lutte, Vanes­sa Nakate a toute­fois souligné que la jeunesse ne fai­sait pas con­fi­ance aux promess­es poli­tiques, mais qu’elle ne demandait qu’à être con­tred­ite dans son incré­dulité sur la capac­ité des respon­s­ables poli­tiques à pren­dre des déci­sions idoines en matière de lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique. Prove us wrong !, a‑t-elle martelé en séance plénière de négo­ci­a­tion. Sans angélisme, cette atten­tion à la voix de la jeunesse est aus­si claire­ment née d’un effet de pres­sion médi­a­tique et par intérêt élec­toral, financier et de réputation.

Le retour d’une présence ministérielle française conséquente

Depuis la COP22 à Mar­rakech, nous n’avions plus beau­coup vu les min­istres français de la Tran­si­tion écologique et sol­idaire rester plus de trois jours à la COP. Or nous avons été agréable­ment sur­pris de voir à Glas­gow Bar­bara Pom­pili assis­ter à une bonne par­tie de l’événement et de la crois­er régulière­ment en salle plénière de négo­ci­a­tion, y com­pris assez tard le soir, même aux réu­nions par­fois très tech­niques de l’Organe sub­sidi­aire de con­seil sci­en­tifique et tech­nologique (Sub­sidiary Body for Sci­en­tif­ic and Tech­no­log­i­cal Advice, SBSTA).

Rites, mythes, tribus

On retrou­ve dans le moment des COP le sché­ma du trip­tyque cher au pro­fesseur de ges­tion des organ­i­sa­tions Claude Riv­e­line (56) « rites, mythes, tribus » dévelop­pant l’hypothèse de Durkheim dans Les formes élé­men­taires de la vie religieuse, selon laque­lle « une tribu a besoin de recon­naître péri­odique­ment ses ressor­tis­sants par des gestes con­venus, et une idée ne survit que si un groupe y souscrit et lui donne une exis­tence manifeste ».
Au fond, cette vision résume bien l’utilité pre­mière (voire, dans cer­tains cas, unique) des COP : répon­dre à ce besoin pro­fondé­ment humain d’un moment rit­uel partagé par la grande tribu des négo­ci­a­teurs, poli­tiques et mem­bres de la société civile inter­na­tionaux chaque année, autour de la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique. Ain­si, en dépit des nom­breuses cri­tiques à pro­pos des résul­tats de la COP26, celle-ci a au moins eu le mérite de con­stituer un moment humain mal­gré tout utile en lui-même, je dirais même essen­tiel au sens soci­ologique, a for­tiori dans un con­texte san­i­taire ayant réduit les liens entre les tribus proches et élar­gies de l’humanité.

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