Numérique et environnement

Étymologie :
À propos de Numérique
et Environnement

Dossier : Numérique et environnementMagazine N°754 Avril 2020
Par Pierre AVENAS (X65)

La rubrique Éty­mologiX présente par­fois des rap­proche­ments inat­ten­dus. Ain­si, en avril 2019, on y lisait que l’origine du mot envi­ron­nement remonte au verbe vibr­er, en août-sep­tem­bre 2017, que le verbe compter ren­voie à… l’élagage des arbres, en févri­er 2018, que le verbe cal­culer provient de l’usage ancien de petits cail­loux, et en juin-juil­let 2019, que les doigts de la main sont à l’origine du mot dig­i­tal. À ce pro­pos, plutôt que de dig­i­tal, l’Académie recom­mande d’employer numérique, mot dont juste­ment il est ques­tion ici.

Du nombre au numérique 

Le latin numerus a d’abord désigné une par­tie d’un tout (cf. en français : être au nom­bre de « faire par­tie de »), puis de là le nom­bre d’éléments de cette par­tie, ou sa quan­tité pour une matière indénom­brable, et finale­ment un nom­bre en général, par­fois un grand nom­bre, ou un numéro d’ordre. De numerus vient nom­bre, et numéro via l’italien numero « nom­bre », alors que l’anglais num­ber est un emprunt à l’ancien français. En latin, on trou­ve innu­merus « innom­brable », (e)numer­are « dénom­br­er, énumér­er », numero­sus « nom­breux »… mais pas *numer­i­cus, car le mot numérique (comme numer­i­cal en anglais) n’est attesté qu’au XVIIe siè­cle, et de for­ma­tion dite savante, sur numerus.

En pra­tique, numérique a pour syn­onyme dig­i­tal, certes plutôt lié aux chiffres qu’aux nom­bres, mais les pre­miers nom­bres sont des chiffres, et un chiffre d’affaires, par exem­ple, c’est un nom­bre. De fait, nom­bre et chiffre sont insé­para­bles séman­tique­ment, ils sont aux antipodes, étymologiquement.

Du nombre au chiffre

Le mot nom­bre, d’origine latine et peut-être lié au verbe grec nemein « répar­tir, partager », sous-entend une notion de sous-ensem­ble, alors que le mot chiffre a une tout autre his­toire liée à l’invention du zéro. Ni les Grecs en effet, ni les Romains, n’ont eu l’idée du zéro et de la numéra­tion déci­male, dite de posi­tion. Ce sont les Indi­ens qui ont dévelop­pé l’usage de ces con­cepts. Dans leur numéra­tion, le zéro était d’abord indiqué par une posi­tion vide, et c’est pourquoi le san­skrit śūnya « vide » a désigné aus­si le zéro, représen­té ensuite par un o. À par­tir du VIIIe siè­cle, les math­é­mati­ciens arabes ont trans­mis cette numéra­tion indi­enne en Europe, en désig­nant le zéro par le mot « vide » en arabe, sifr, emprun­té en latin médié­val, cifra « zéro », repris en français cifre, puis chiffre, sig­nifi­ant d’abord « zéro ». Enfin, à par­tir du XVe siè­cle, alors que le mot zéro arrivait d’Italie, chiffre a pris son sens actuel : les signes de 0 à 9, ou aus­si par exten­sion, tout code secret.

En ital­ien en effet, à côté de cifra, l’arabe sifr « zéro » était latin­isé en zephirum (attesté chez Fibonac­ci en 1202), devenant zefiro et en ital­ien zero, emprun­té par la plu­part des langues voisines. Cette longue his­toire math­é­ma­tique et lin­guis­tique se traduit aujourd’hui par des dou­blets éty­mologiques très dis­sem­blables, zéro/chiffre, comme en ital­ien zero/cifra, espag­nol cero/cifra, anglais zero/cipher, mais pas en alle­mand Null « zéro », sans rap­port avec Zif­fer « chiffre ». En anglais, cipher est surtout un code (secret) et le chiffre numérique se nomme dig­it, ou fig­ure, du latin figu­ra « dessin, forme », un vrai « faux ami » avec le français.

Épilogue

Le numérique emploie des nom­bres à base 2, avec les chiffres 0 et 1, où le zéro, qui fait fig­ure de chiffre-clé, retrou­ve son sens éty­mologique dans les niveaux logiques 1/0 nom­més selon les cas marche/arrêt, on/off, vrai/faux, oui/non, tout/rien ou plein/vide

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