CHAOS, 1841, HUILE SUR TOILE, IVAN AIVAZOVSKY

Étymologie :
À propos de gaz et transition énergétique

Dossier : ExpressionsMagazine N°725 Mai 2017
Par Pierre AVENAS (X65)

C’est au milieu du XVIIe siè­cle que le savant néer­landais Van Hel­mont a créé en latin le nom du gaz, à par­tir de celui du chaos, qui, lui, est attesté en grec (khaos) dans la Théo­go­nie du poète Hésiode, au VIIIe siè­cle avant J.-C. Un grand écart qui mérite des explications.

Un alchimiste universel

Jean-Bap­tiste Van Hel­mont (1579- 1644) était à la fois philosophe, médecin, physi­cien et, comme son illus­tre prédécesseur suisse Paracelse, adepte de l’alchimie.
Il a beau­coup étudié les inter­ac­tions entre physique et phys­i­olo­gie (où l’on retrou­ve des dou­blets éty­mologiques ! — cf. Éty­mologiX jan­vi­er 2017 À pro­pos de physique -), et il a cher­ché par exem­ple à com­pren­dre la nature de la fumée qui s’élève au-dessus d’une flamme et qui sem­ble dis­paraître dans l’air.

Ce qui part en fumée, retourne au chaos originel

Van Hel­mont pub­li­ait en latin, mais aucun terme exis­tant ne lui con­ve­nait pour désign­er cette fumée : ni vapor « vapeur », ni aer « air », ni spir­i­tus « souf­fle, esprit », qu’en ancien français on tradui­sait par esprit pour le résul­tat d’une dis­til­la­tion, comme l’esprit de vin pour les vapeurs éthyliques (d’où les vins et spir­itueux !).

Faute de mieux, il nom­mait la fumée spir­i­tus sil­vester, où sil­vester (dérivé de sil­va « forêt »), qui devien­dra l’adjectif sylvestre, sig­ni­fie ici « sauvage, qui s’échappe ».

Finale­ment, devant une telle « pau­vreté de vocab­u­laire », Van Hel­mont en est arrivé à pro­pos­er un mot latin nou­veau : gas, « proche dérivé du nom chaos des Anciens », avec l’initiale/g-/ cor­re­spon­dant à la pronon­ci­a­tion de ch- en flamand.

Se référ­er au chaos, ce que fai­sait aus­si Paracelse, cela sem­ble chercher loin, mais ces savants étaient imprégnés de cul­ture gré­co-latine et par le mot gas, Van Hel­mont évo­quait la matière ramenée par le feu au temps du dieu grec Chaos, temps antérieur à la créa­tion, où aucun ordre n’était encore imposé aux élé­ments du monde (avant le big bang, si l’on ose dire !).

Ce nom latin gas a été adop­té tel quel par la plu­part des langues d’Europe, sous la forme gaz en français (d’ailleurs pronon­cé gass dans le Midi), pour désign­er finale­ment le gaz en général. Avec une excep­tion notable : en grec mod­erne, le gaz en général se dit aerio, dérivé du nom de l’air (aeras), un peu comme on pressen­tait jadis la notion de gaz sous le nom de flu­ide aériforme.

Dans le même temps, les expéri­ences de Lavoisi­er mon­traient que la fumée nom­mée gas par Van Hel­mont n’était autre que du gaz car­bonique (mêlé de vapeur d’eau et d’un peu de suie).

Épilogue

Ce lien entre gaz et CO2, c’est une dou­ble ironie de l’histoire : d’une part, gas, venant de chaos, a d’abord désigné le CO2, dont la pro­liféra­tion sans lim­ites dans l’atmosphère ne peut qu’entraîner la Terre dans le chaos ; d’autre part, à côté des états solide et liq­uide, où règne un ordre, au moins local, le gaz est l’état de la matière le plus désor­don­né, pour ne pas dire le plus chao­tique justement.

En out­re, le nom gas /gaz a désigné d’abord le CO2, puis le gaz en général, mais dans le con­texte de l’énergie, gaz tout court désigne main­tenant le gaz naturel, dont la com­bus­tion dégage du CO2… comme un cycle des mots qui accom­pa­gne celui du carbone !


En illus­tra­tion : On peut rap­procher le verbe grec khainein « béer, être grand ouvert » au khaos, un gouf­fre totale­ment désor­don­né. Chaos, 1841, huile sur toile, Ivan Aiva­zovsky, Domaine public.

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