Étymologie :
À propos de gaz et transition énergétique
C’est au milieu du XVIIe siècle que le savant néerlandais Van Helmont a créé en latin le nom du gaz, à partir de celui du chaos, qui, lui, est attesté en grec (khaos) dans la Théogonie du poète Hésiode, au VIIIe siècle avant J.-C. Un grand écart qui mérite des explications.
Un alchimiste universel
Jean-Baptiste Van Helmont (1579- 1644) était à la fois philosophe, médecin, physicien et, comme son illustre prédécesseur suisse Paracelse, adepte de l’alchimie.
Il a beaucoup étudié les interactions entre physique et physiologie (où l’on retrouve des doublets étymologiques ! – cf. ÉtymologiX janvier 2017 À propos de physique -), et il a cherché par exemple à comprendre la nature de la fumée qui s’élève au-dessus d’une flamme et qui semble disparaître dans l’air.
Ce qui part en fumée, retourne au chaos originel
Van Helmont publiait en latin, mais aucun terme existant ne lui convenait pour désigner cette fumée : ni vapor « vapeur », ni aer « air », ni spiritus « souffle, esprit », qu’en ancien français on traduisait par esprit pour le résultat d’une distillation, comme l’esprit de vin pour les vapeurs éthyliques (d’où les vins et spiritueux !).
Faute de mieux, il nommait la fumée spiritus silvester, où silvester (dérivé de silva « forêt »), qui deviendra l’adjectif sylvestre, signifie ici « sauvage, qui s’échappe ».
Finalement, devant une telle « pauvreté de vocabulaire », Van Helmont en est arrivé à proposer un mot latin nouveau : gas, « proche dérivé du nom chaos des Anciens », avec l’initiale/g-/ correspondant à la prononciation de ch- en flamand.
Se référer au chaos, ce que faisait aussi Paracelse, cela semble chercher loin, mais ces savants étaient imprégnés de culture gréco-latine et par le mot gas, Van Helmont évoquait la matière ramenée par le feu au temps du dieu grec Chaos, temps antérieur à la création, où aucun ordre n’était encore imposé aux éléments du monde (avant le big bang, si l’on ose dire !).
Ce nom latin gas a été adopté tel quel par la plupart des langues d’Europe, sous la forme gaz en français (d’ailleurs prononcé gass dans le Midi), pour désigner finalement le gaz en général. Avec une exception notable : en grec moderne, le gaz en général se dit aerio, dérivé du nom de l’air (aeras), un peu comme on pressentait jadis la notion de gaz sous le nom de fluide aériforme.
Dans le même temps, les expériences de Lavoisier montraient que la fumée nommée gas par Van Helmont n’était autre que du gaz carbonique (mêlé de vapeur d’eau et d’un peu de suie).
Épilogue
Ce lien entre gaz et CO2, c’est une double ironie de l’histoire : d’une part, gas, venant de chaos, a d’abord désigné le CO2, dont la prolifération sans limites dans l’atmosphère ne peut qu’entraîner la Terre dans le chaos ; d’autre part, à côté des états solide et liquide, où règne un ordre, au moins local, le gaz est l’état de la matière le plus désordonné, pour ne pas dire le plus chaotique justement.
En outre, le nom gas /gaz a désigné d’abord le CO2, puis le gaz en général, mais dans le contexte de l’énergie, gaz tout court désigne maintenant le gaz naturel, dont la combustion dégage du CO2… comme un cycle des mots qui accompagne celui du carbone !
En illustration : On peut rapprocher le verbe grec khainein « béer, être grand ouvert » au khaos, un gouffre totalement désordonné. Chaos, 1841, huile sur toile, Ivan Aivazovsky, Domaine public.
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