À la recherche de Dieu, l’approche d’un physicien

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°521 Janvier 1997Par : André ROUSSET (51)Rédacteur : Maurice ALLÈGRE (51)

À la fin des voy­ages ini­ti­a­tiques au pays de la physique mod­erne qui étaient le sujet de son livre Les nou­velles fonc­tions de la con­nais­sance pub­lié en 1993, André Rous­set lais­sait devin­er qu’il envis­ageait d’aller encore plus loin dans sa recherche, au-delà de la con­nais­sance elle-même.

Voici donc un nou­veau livre À la recherche de Dieu, l’approche d’un physi­cien pub­lié par ce physi­cien athée qui, avec ses remar­quables tal­ents de vul­gar­i­sa­tion, n’hésite pas à pos­er d’entrée de jeu la grande ques­tion : l’existence de Dieu est-elle com­pat­i­ble avec la physique ? L’auteur répond caté­gorique­ment par la néga­tive puisque n’ayant pas trou­vé le Dieu-créa­teur au fond des trous noirs, il ne légitime pas davan­tage le Dieu-amour comme fonde­ment de la morale.

La démon­stra­tion est bril­lante et nour­rie. Est-elle pour autant convaincante ?

La quête du Dieu-créa­teur est le domaine sur lequel un spé­cial­iste de physique mod­erne peut apporter un éclairage nou­veau à l’éternel débat entre la Sci­ence et l’Église dans lequel tout le monde sait depuis Galilée que l’Église n’a pas tou­jours tenu le beau rôle.

Effec­tive­ment, André Rous­set n’a aucune peine à nous con­va­in­cre que la Bible n’est pas un texte sci­en­tifique, comme pou­vait l’être le mémoire d’Einstein fon­dant la théorie de la rel­a­tiv­ité. La Bible est un livre his­torique – dont l’archéologie mod­erne a d’ailleurs cor­roboré bien des péripéties – et aus­si un livre sym­bol­ique que l’Église a eu tort de pren­dre à la let­tre pen­dant aus­si longtemps.

Après tout, Cuvi­er croy­ait encore – en s’appuyant sur la Genèse – que le monde n’avait que 4 000 ans. Lord Kelvin à la fin du XIXe siè­cle a été le pre­mier à par­ler en mil­lions d’années et il a fal­lu l’invention de la radioac­tiv­ité et cinquante ans d’efforts sci­en­tifiques pour remet­tre à l’heure la pen­d­ule de notre planète qui avoue main­tenant 4,6 mil­liards d’années.

Là où la démon­stra­tion d’André Rous­set est con­testable c’est lorsqu’il pense que la sci­ence – c’està- dire pour lui la seule physique – suf­fit à expli­quer le com­ment et le pourquoi du Monde du seul fait que qua­tre forces fon­da­men­tales suff­isent à expli­quer toute la physique. Il n’y aurait donc plus besoin d’un créa­teur. La physique expli­quant com­ment les élec­trons se frayent un chemin dans l’enchevêtrement des atom­es (p. 35), expli­querait donc aus­si pourquoi il existe une loi d’Ohm.

Mais l’auteur s’est-il demandé pourquoi pour bâtir ses théories, le physi­cien a besoin de principes fon­da­men­taux, c’est-à-dire d’affirmations non démon­trées (p. 55) et de huit con­stantes fon­da­men­tales (p. 105). L’existence d’un nom­bre lim­ité de lois et de forces pour com­pren­dre l’ensemble de la physique per­me­telle de savoir pourquoi ces lois exis­tent ? L’univers flou quan­tique per­met-il de régler défini­tive­ment le débat clas­sique entre le déter­min­isme et le libre arbitre ?

Certes, la sci­ence et la tech­nique n’ont été don­nées qu’à l’homme (p. 73). Mais n’est-ce pas parce que lui seul était doté d’une pen­sée, d’une con­science et d’une intel­li­gence ? Pour l’auteur au con­traire, l’animal évolué que nous sommes n’a qu’à s’incliner sur l’autel de la ratio­nal­ité devant la Sci­ence qui explique à elle seule le Monde, son passé et sans doute son avenir.

“ Le vide du physi­cien étant rem­pli d’un bouil­lon­nement aléa­toire de par­tic­ules virtuelles (p. 94), une fluc­tu­a­tion plus impor­tante, d’une durée très courte, peut con­duire au Big Bang ” et créer ain­si l’Univers et toute son his­toire “ à par­tir de rien ”… et nul besoin de Dieu pour cela. “ L’arbitre suprême n’a plus rien à arbi­tr­er ” (p. 115). N’est-ce pas là une affir­ma­tion quelque peu arbitraire ?

Dans la deux­ième par­tie de son livre, l’auteur tente ensuite de nous prou­ver que le Dieu-amour ne serait qu’une pure inven­tion de l’homme, dont d’ailleurs celui-ci n’aurait pas besoin. Se trans­for­mant en philosophe, le physi­cien André Rous­set démon­tre – ce qui est facile – que les reli­gions ont engen­dré des mon­u­ments d’intolérances et d’horreurs. Il essaye aus­si de prou­ver – ce qui est beau­coup plus con­testable – qu’un fonde­ment pure­ment sci­en­tifique de la morale uni­verselle est tout à fait possible.

D’autres s’y sont essayés avant lui. Richard Dawkins, avec sa théorie du gène égoïste (non reprise par André Rous­set) ne va pas aus­si loin mais il explique aus­si que la Nature, inac­ces­si­ble à la pitié, n’a pas eu besoin de grand hor­loger pour en assem­bler les rouages com­plex­es. Jacques Mon­od pré­tendait pour sa part retrou­ver le social­isme à par­tir de l’ADN.

Pour­tant, de nom­breux sci­en­tifiques n’ont pas cru pou­voir tout expli­quer à par­tir de la sci­ence seule. Le pourquoi de l’organisation du Monde et son infinie com­plex­ité demeurent pour eux des mys­tères. Au-delà des reli­gions établies, la gnose de Prince­ton, par exem­ple, tradui­sait ces inter­ro­ga­tions fondamentales.

Sans doute la rai­son et la sci­ence ne parvien­dront-elles jamais à con­va­in­cre tous les hommes qu’ils n’ont pas d’âme. Le mérite d’André Rous­set est d’avoir con­tribué à ali­menter ce débat sur Dieu dont l’existence, par essence tran­scen­dante, ne pour­ra jamais être prou­vée ni infir­mée par des méth­odes sci­en­tifiques pour la seule rai­son que cette ques­tion échappe au domaine de la science.

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N.D.L.R. : nous ne pen­sons pas que la recen­sion par Mau­rice Allè­gre de l’ouvrage d’André Rous­set soit en con­tra­dic­tion avec les statuts de l’A.X. exclu­ant de son activ­ité les dis­cus­sions poli­tiques ou religieuses. Mais bien enten­du nous ne for­mulerons aucun avis à pro­pos de ce livre et encore moins du sujet traité. Nous esti­mons d’ailleurs que La Jaune et la Rouge se doit de citer les livres édités par nos cama­rades sans exclure de sujet ni pra­ti­quer de sélec­tion ou de cen­sure, les auteurs étant cen­sés assumer leurs responsabilités.

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