Galvanomètre de Thomson

À la découverte de quelques inventeurs et de leurs instruments scientifiques

Dossier : La mesure au cœur des sciences et de l'industrieMagazine N°649 Novembre 2009
Par Christian BOZON

REPÈRES

REPÈRES
Les instru­ments sci­en­tifiques les plus anciens con­servés à la bib­lio­thèque de l’École poly­tech­nique provi­en­nent des con­fis­ca­tions révo­lu­tion­naires, ain­si que de cab­i­nets d’amateurs de la fin du XVI­I­Ie siè­cle, d’autres des col­lec­tions de l’Académie royale dis­soute en 1793. Lors de la créa­tion de l’École, Carny est chargé de l’établissement des lab­o­ra­toires et pour cela il fouille dans les divers dépôts nationaux de Paris. Sur les inven­taires on peut lire l’origine des objets : cer­tains sont tirés du dépôt de la mai­son d’Aiguillon, ou de la mai­son d’Harcourt rue de l’Université, ou de l’hôtel de Nesle, rue de Beaune. Cer­tains de ces instru­ments ont été conçus et (ou) fab­riqués par d’anciens élèves ou par des pro­fesseurs de l’École. Ils ser­vaient à l’expérimentation en lab­o­ra­toire, d’ailleurs on retrou­ve leur descrip­tion et mode de fonc­tion­nement dans les cours de l’École de l’époque.

Cet arti­cle utilise le cat­a­logue édité pour l’ex­po­si­tion, avec l’ac­cord de Madame Marie-Chris­tine Thooris, respon­s­able du Cen­tre de ressources his­toriques, que nous remer­cions ici. Toutes les pho­tos sont Copy­right Col­lec­tions École polytechnique.

La con­cep­tion de ce type d’in­stru­ments sci­en­tifiques remonte au XVIe siè­cle. La sci­ence four­nit alors des out­ils avant tout dans le but de représen­ta­tion. Le spec­ta­cle étant d’abord réservé aux grands de ce monde, la présen­ta­tion doit être à la hau­teur de l’évène­ment, ce qui con­fère aux out­ils un car­ac­tère esthé­tique. Au siè­cle suiv­ant, l’in­térêt pour la sci­ence est tel que les gens for­tunés créent ces cab­i­nets de curiosités cités qui com­pren­nent entre autres des instru­ments sci­en­tifiques. En pein­ture, les instru­ments de mesure sont sou­vent repro­duits dans des tableaux, que l’on pense à Ver­meer avec Le géo­graphe, Hol­bein le Jeune Les ambas­sadeurs, Dür­er Mélan­col­ie. Le plus représen­té étant sans doute celui qui rap­pelle l’homme à sa mod­este con­di­tion et à son bref pas­sage sur terre, le sablier.

Une instruc­tion solide­ment basée sur l’ex­péri­ence en laboratoire

Dès l’o­rig­ine, le souci d’une instruc­tion solide­ment basée sur l’ex­péri­ence en lab­o­ra­toire. L’A­vant-pro­pos du pre­mier cahi­er du Jour­nal de l’É­cole en témoigne. Il définit la mis­sion de l’É­cole cen­trale des travaux publics, dev­enue ” École poly­tech­nique ” en 1795, et indique les impor­tants moyens mis à sa dis­po­si­tion : Par rap­port au cours de physique, on a l’in­ten­tion que les expéri­ences qui s’y seront en présence des élèves, aient pour objet […], ou de con­stater quelques phénomènes nou­veaux, ou de redress­er des erreurs dans les expli­ca­tions des faits déjà con­nus. Dans cette vue on for­mera le pro­jet d’une série d’ex­péri­ences les plus intéres­santes à ten­ter ; et la pub­lic­ité qui leur sera don­née, à mesure qu’elles seront exé­cutées, con­tribuera effi­cace­ment au pro­grès de la sci­ence.1

QUELQUES INVENTEURS ET LEURS INSTRUMENTS

Biot, Jean-Baptiste (1774–1862) X 1794

Exam­i­na­teur d’ad­mis­sion à l’É­cole poly­tech­nique de (1799–1806), invente le sac­cha­rimètre (1839) : appareil des­tiné à déter­min­er la con­cen­tra­tion d’une solu­tion de sucre.

Ampère, André-Marie (1775–1836)

En 1804, il entre à l’É­cole poly­tech­nique comme répéti­teur d’analyse math­é­ma­tique. Il par­ticipe active­ment à la vie de l’É­cole : pro­fesseur de mécanique (1809–1827), il est égale­ment exam­i­na­teur d’ad­mis­sion (1808), mem­bre du con­seil de per­fec­tion­nement (1809), mem­bre du con­seil d’ad­min­is­tra­tion (1814–1818) et exam­i­na­teur des élèves (1815).

C’est en physique qu’il fait ses prin­ci­pales décou­vertes : il étudie les actions récipro­ques des courants et des aimants, crée une sci­ence nou­velle ; l’élec­tro­dy­namique. Il est à l’o­rig­ine d’une par­tie du vocab­u­laire de l’élec­tric­ité : c’est à lui que l’on doit les ter­mes tels que ” courants ” ou ” ten­sion ” et l’u­nité d’in­ten­sité du courant élec­trique qui porte son nom. 

Gal­vanomètre de Thom­son Paris : Ate­liers Ruhmko­rff, J. Car­pen­tier [1880]
 
Ce type de gal­vanomètre peut décel­er un mil­liardième d’ampère et même moins. Il fut con­stru­it par Jules Car­pen­tier (1850- 1921 ; X1871), ingénieur des man­u­fac­tures de l’État. En 1878, il rachète les ate­liers Ruhmko­rff et les trans­forme en une mai­son spé­cial­isée dans les instru­ments de haute pré­ci­sion. Des ate­liers Car­pen­tier sor­tiront les pre­miers gal­vanomètres, ampèremètres et voltmètres.


Cagniard de Latour, Charles (1777–1859) X1794
Son nom reste surtout attaché à deux décou­vertes impor­tantes : l’instrument con­nu sous le nom de « Sirène » qui a fourni une méth­ode d’évaluation numérique des sons ; la volatil­i­sa­tion en vase clos sous cer­taines con­di­tions de l’alcool, de l’éther et de l’eau.

Sirène

Sirène Paris : B. Bianchi [1820–1845]
Ain­si nom­mée parce qu’on peut lui faire ren­dre des sons sous l’eau. Cet instru­ment a fourni une méth­ode d’évaluation numérique des sons. Inven­té en 1820, le pre­mier appareil est con­stru­it en 1845 et per­met de pro­duire du son au moyen d’un mécan­isme qui est com­biné pour frap­per l’air avec la même vitesse et la même régularité.


Gay-Lus­sac, Louis Joseph (1778–1850) X1797
Répéti­teur à l’École poly­tech­nique (1804), pro­fesseur de chimie (1810–1840). Il mit au point l’alcoomètre cen­tési­mal, le chloromètre et l’alcalimètre (éval­u­a­tion du degré d’alcool et de la quan­tité de chlore ou de potasse purs con­tenus dans un liquide).

Dulong, Pierre Louis (1785–1838) X1801
Exam­i­na­teur à l’École poly­tech­nique à la fois pour la physique et la chimie, pro­fesseur de physique (1820–1829) et directeur des études (1830–1838). Auteur de recherch­es sur la chaleur, la ther­mométrie, la vitesse du son dans les gaz, il est l’inventeur du cathé­tomètre et du ther­momètre à poids. Les « Lois de Dulong » ont fondé l’analyse des min­erais insolubles.

Cathé­tomètre Paris : Per­reaux [1848]
 
En dépôt au Pry­tanée nation­al mil­i­taire de La Flèche Le cathé­tomètre est employé le plus sou­vent pour mesur­er la dif­férence de niveau de deux colonnes liq­uides en équili­bre. Il a été imag­iné par Dulong (X 1801) et Petit à l’occasion de leurs recherch­es sur la dilata­tion des liq­uides. Pouil­let (pro­fesseur de physique à l’École poly­tech­nique en 1830 et 1831) l’a ensuite agran­di et lui a don­né le nom de cathé­tomètre (du grec kathetos sig­nifi­ant ver­ti­cal). Enfin, Reg­nault (X 1830) en a fait le plus fréquent usage.

Cethétomètre


Ara­go, Dominique François Jean (1786–1853) X1803

Ara­go élu­cide la couleur bleue du ciel

Pro­fesseur d’analyse appliquée, de géodésie et d’arithmétique sociale à l’École poly­tech­nique (1816–1828). Met au point le cyano-polarimètre des­tiné à l’étude de la polar­i­sa­tion de la lumière du ciel, et plus par­ti­c­ulière­ment à l’étude de la pro­por­tion de lumière polar­isée con­tenue dans la couleur bleue du ciel.

Pouil­let, Claude (1790–1868)
Physi­cien français, il naît à Cusance (Doubs) et meurt à Paris.On lui doit l’invention du pyrhéliomètre avec lequel il pro­pose de déter­min­er la quan­tité de chaleur que nous envoie le Soleil à chaque époque de l’année.

Boussole des sinus et des tangentes

Bous­sole des sinus et des tan­gentes de Pouil­let [1839]
 
Cet appareil per­met de mesur­er directe­ment les inten­sités de courants en unités absolues. Il se com­pose d’une aigu­ille aiman­tée, mobile dans un plan hor­i­zon­tal, à l’intérieur d’un loge­ment de pro­tec­tion pos­sé­dant un cad­ran divisé en 360 degrés. Une deux­ième aigu­ille de cuiv­re argen­té est mobile avec la pre­mière, à laque­lle elle est fixée, et sert à repér­er les dévi­a­tions sur le cadran.


Bec­quer­el, Antoine César (1788–1878) X1806
Sous-inspecteur de l’École poly­tech­nique (1813). Il imag­ine la bal­ance élec­tro­mag­né­tique qui per­met de mesur­er avec facil­ité l’intensité des courants électriques.

Babi­net, Jacques (1794–1872) X1812

L’hy­gromètre à cheveu donne l’é­tat de l’hu­mid­ité par sim­ple lecture

Il per­fec­tionne l’hygromètre à cheveu, out­il capa­ble de don­ner l’état de l’humidité par une sim­ple lec­ture. Invente un polar­iscope, un goniomètre et un photomètre.

Col­lardeau-Duheaume, Charles Félix (1796–1869) X1815
Il se livre spé­ciale­ment à l’étude et à la fab­ri­ca­tion des instru­ments de pré­ci­sion. Par­mi les appareils inven­tés ou améliorés par ses soins, on peut citer des bal­ances, des aéromètres, des équian­gles, des appareils gradués.

UN MAÎTRE DE LA CHIMIE

Reg­nault, Hen­ri Vic­tor (1810–1878) X1830
Père du pein­tre Hen­ri Reg­nault, tué à Buzen­val pen­dant la guerre de 1870. En 1840, il suc­cède à Gay-Lus­sac comme pro­fesseur de chimie à l’École poly­tech­nique. Ses travaux sont remar­quables par la pré­ci­sion des mesures qu’ils com­por­tent. Ils por­tent surtout sur les change­ments d’états, comme la compressibilité,la dilata­tion, l’ébullition. Il imag­ine l’hygromètre à condensation.

Fro­ment, Paul Alexan­dre Gus­tave (1815–1864) X1835
Il ouvre à Paris des ate­liers où la vapeur, la pho­togra­phie et l’électricité con­stituent le cen­tre de ses travaux. Out­re les inven­tions qui lui appar­ti­en­nent en pro­pre, Fro­ment a con­tribué par ses soins et ses con­seils à la réal­i­sa­tion des vues d’un grand nom­bre d’autres ingénieurs et mécani­ciens. Il est l’auteur dans ses ate­liers du gyro­scope de Fou­cault (fameux pen­d­ule) et de son appareil à miroir tour­nant, per­me­t­tant sur quelques mètres de mesur­er la vitesse de la lumière.

Bous­sole d’inclinaison Paris : Fro­ment [1850]
 
On nomme incli­nai­son d’un lieu, l’angle aigu que fait la moitié aus­trale d’une aigu­ille aiman­tée, mobile dans le méri­di­en mag­né­tique, avec la ligne hor­i­zon­tale menée par son cen­tre, dans le plan du méri­di­en. Autrement dit, une aigu­ille aiman­tée mobile dans un plan ver­ti­cal, autour d’un axe hor­i­zon­tal, et ori­en­tée dans le méri­di­en mag­né­tique, s’inclinera de façon à faire un cer­tain angle avec l’horizon.

Boussole d'inclinaison


Mal­lard, François Ernest (1833–1894) X1851
On lui doit un appareil pré­cieux pour la mesure des petits cristaux : le goniomètre (de Mal­lard). Cet instru­ment mesure des angles mais aus­si des indices de réfraction.

LES ÉLÉMENTS D’UN SYSTÈME OPTIQUE

Cor­nu, Marie Alfred (1841–1902) X1860
Répéti­teur (1864) puis pro­fesseur (1867) de physique aux Mines et à Poly­tech­nique. Il met au point un instru­ment : le focomètre, des­tiné à déter­min­er les prin­ci­paux élé­ments d’un sys­tème optique.

Breguet, Antoine (1851–1882) X1872
Représen­tant de la qua­trième généra­tion de Breguet, famille de con­struc­teurs illus­tres. Il fab­rique la machine de Gramme par­mi d’autres instru­ments de lab­o­ra­toire, invente un ané­momètre enreg­istreur mû par l’électricité (1875).

Jobin, Marie Amédée Louis (1861–1945) X1881
Directeur d’un étab­lisse­ment indus­triel des­tiné à la con­struc­tion d’instruments de lab­o­ra­toire. Il est le four­nisseur presque unique de savants tels que Macé de Lépinay, Pérot (X1882), Fab­ry (X 1885), etc.

LE MÈTRE EN LONGUEUR D’ONDE

Pérot, Jean-Bap­tiste Alfred (1863–1925) X1882
Pro­fesseur de physique à l’École poly­tech­nique de 1906 à 1925. Avec son col­lègue Charles Fab­ry (X1885), il crée un inter­féromètre à lames semi-argen­tées, à l’aide duquel il déter­mine la valeur du mètre inter­na­tion­al en longueur d’onde.

Fab­ry, Mau­rice Paul Charles (1867–1945) X1885
Il suc­cède à Alfred Pérot (X1882) comme pro­fesseur de physique à l’École poly­tech­nique jusqu’en 1937. Auteur avec Pérot de l’interféromètre men­tion­né ci-dessus. Il établit un sys­tème inter­na­tion­al de longueur d’onde, grâce à des repères spec­tro­scopiques par­faite­ment déterminés.

Blondel, André Eugène (1863–1938) X 1883 Physi­cien réputé, inven­teur de l’oscillographe (1893), appareil per­me­t­tant l’étude graphique des courants alternatifs.

UN PIONNIER DE L’AÉRONAUTIQUE

Etévé, Albert Octave (1880–1976) X 1900
Sor­ti de l’École poly­tech­nique dans le génie, il est affec­té en 1906 dans l’aérostation, où il obtient son brevet de pilote de bal­lon libre en 1907. Il intè­gre le corps des ingénieurs de l’aéronautique à sa créa­tion en 1925. Nom­mé inspecteur général de l’aéronautique en 1935. Il fait par­tie de la généra­tion des grands pio­nniers de l’aéronautique servi­teurs de l’État.

Indicateur de vitesse EtévéIndi­ca­teur de vitesse Etévé Paris : Bor­dé [1912]

Pour cor­riger le gros défaut des pre­miers aéro­planes : leur insta­bil­ité, le cap­i­taine Etévé imag­i­na et fit con­stru­ire un indi­ca­teur de vitesse. Il se com­pose d’une plaque ver­ti­cale mobile autour d’un axe ver­ti­cal fixe. À l’avant de la plaque se trou­ve un équipage mobile com­prenant une tige ver­ti­cale à l’extrémité de laque­lle on a fixé une boule de cel­lu­loïd sur laque­lle s’exerce la poussée du vent (en 1912, la boule trop frag­ile est rem­placée par une plaque d’aluminium). À l’opposé, vers le bas, se trou­ve une autre tige sur laque­lle est attaché un ressort réglable qui équili­bre la poussée sur la boule (ou la plaque) et, sol­idaire de cet ensem­ble, une grande aigu­ille qui se déplace sur un cad­ran mar­qué d’un trait rouge.

L’utilisation très sim­ple de l’appareil en fit son suc­cès, les pilotes com­prenant au pre­mier coup d’oeil la manœu­vre à faire pour retrou­ver la vitesse de croisière. Ren­due régle­men­taire à bord de tous les avions mil­i­taires en 1911, l’utilisation de l’indicateur de vitesse Etévé per­mit de sauver de nom­breuses vies. Il a reçu la grande médaille d’or de la Ville de Paris à la suite du pre­mier Con­cours inter­na­tion­al de la Sécu­rité aérienne.

 
1.
Jour­nal poly­tech­nique : Bul­letin du tra­vail fait à l’École cen­trale des travaux publics – Pre­mier cahi­er, ger­mi­nal an III.

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