La Grande Muraille Verte, barrière contre la désertification

Dossier : Chine et EnvironnementMagazine N°743 Mars 2019
Par Monique BARBUT
Grâce à son expérience en matière de lutte contre la désertification, la Chine fait aujourd’hui référence avec des réalisations colossales en matière de restauration des terres dégradées. À l’image de ces réalisations, la Grande Muraille verte chinoise constitue l’un des programmes écologiques les plus importants du monde contemporain.

Pour lut­ter contre l’ensablement et la déser­ti­fi­ca­tion de la région des Trois-Nord, le comi­té cen­tral du Par­ti com­mu­niste chi­nois et le Conseil d’État ont pris la déci­sion, en novembre 1978, de lan­cer un vaste pro­gramme de mise en place de brise-vent dans la région des Trois-Nord. Sa pla­ni­fi­ca­tion glo­bale jusqu’en 2050 a impli­qué plus de 2 000 tech­ni­ciens des ser­vices fores­tiers cen­traux et locaux du minis­tère des Forêts. Le pro­gramme concerne 551 com­tés dans 13 pro­vinces et couvre une super­fi­cie totale de 4 069 000 km2 (soit plus de 40 % du ter­ri­toire de la Chine). Il a été conçu pour por­ter le cou­vert fores­tier de la région de 5,05 % en 1977 à 14,95 % après son achè­ve­ment en éta­blis­sant et en main­te­nant 35 080 000 ha de forêts.

À ce jour, au total, 29 185 000 ha de forêts ont été plan­tés ou main­te­nus grâce aux efforts inves­tis par de nom­breux acteurs dans une mul­ti­tude de pro­jets de res­tau­ra­tion éco­lo­gique. Cela a per­mis d’atténuer l’ensablement et l’érosion hydrique et éolienne tout en amé­lio­rant la pro­duc­tion, le déve­lop­pe­ment de la fores­te­rie et les condi­tions de vie des populations.

Pour célé­brer son 10e anni­ver­saire en 1988, Deng Xiao­ping a don­né à ce pro­gramme son nom de « Grande Muraille verte » chi­noise. Le pro­gramme est sou­te­nu par le gou­ver­ne­ment chi­nois et les habi­tants de la région, mais aus­si par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale : ain­si, depuis ses débuts, 25 pays et plus d’une dou­zaine d’organisations et ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales ont mobi­li­sé 1,6 mil­liard de ren­min­bi (envi­ron 200 mil­lions d’euros) pour finan­cer de nom­breux pro­jets col­la­bo­ra­tifs dans le cadre du programme.


REPÈRES

Ber­ceau de la culture chi­noise, la région des Trois-Nord com­prend le nord-ouest, le nord et le nord-est de la Chine. S’étendant sur plu­sieurs mil­liers de kilo­mètres, cette région a été for­te­ment dégra­dée en rai­son de condi­tions natu­relles défa­vo­rables telles que la séche­resse et le vent, et d’une forte pres­sion anthro­pique au cours des siècles der­niers, ayant conduit à la défo­res­ta­tion des col­lines et à un phé­no­mène d’ensablement dévas­ta­teur qui s’est accen­tué dans les années 1970. 


D’un désert de sable à des terres pourvoyeuses de ressources

La Chine est un grand pays agri­cole et la région du Nord-Est consti­tue une impor­tante zone de pro­duc­tion. Le pro­gramme s’attache donc à pro­té­ger les terres agri­coles et les pâtu­rages – éga­le­ment nom­breux dans le nord – afin de garan­tir et d’accroître les ren­de­ments. Depuis trente ans, 7 882 000 ha de brise-vent et de forêts de fixa­tion des dunes ont été mis en place pour res­tau­rer et pro­té­ger plus de 10 mil­lions d’hectares de prai­ries et de pâtu­rages de l’érosion éolienne et de l’ensablement. Envi­ron 336 200 km2 de terres ensa­blées ont été gérés et conver­tis en terres agri­coles, en ver­gers et en pâtu­rages. En consé­quence, chaque année, la super­fi­cie des terres ensa­blées de la Chine dimi­nue de 1 500 km2. La pro­duc­tion de grains par mu (équi­valent à 115 ha) a dépas­sé les 300 kg alors qu’elle n’était que de 100 kg avant le début du pro­gramme. Une étude estime que les brise-vent autour des terres agri­coles ont per­mis l’augmentation de 15 à 20 % de la pro­duc­tion de grains, soit un sur­plus de 1,88 mil­liard de kilo­grammes chaque année dans la région.

La région des Trois-Nord héberge de nom­breuses mino­ri­tés eth­niques, éloi­gnées et for­te­ment affec­tées par la pau­vre­té. Le pro­gramme des Trois-Nord contri­bue à la géné­ra­tion de reve­nus et à l’amélioration des moyens de sub­sis­tance des popu­la­tions locales. Le volume des stocks fores­tiers est ain­si pas­sé de 720 mil­lions de mètres cubes en 1977 à 3,33 mil­liards de mètres cubes aujourd’hui.

4 630 000 ha de plan­ta­tions frui­tières ont été réa­li­sés. La pro­duc­tion annuelle de fruits frais et secs s’élève à 48 mil­lions de tonnes qui équi­valent à 120 mil­liards de ren­min­bi (RMB). La construc­tion de cein­tures fores­tières et de chaînes de valeurs indus­trielles géné­rant des reve­nus à tra­vers l’augmentation des récoltes, le déve­lop­pe­ment du bétail, la trans­for­ma­tion des pro­duits, le déve­lop­pe­ment de l’écotourisme a ren­for­cé le déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social local.


Des montagnes préservées

Dans les zones mon­ta­gneuses, les amé­na­ge­ments fores­tiers de conser­va­tion des eaux et des sols sur 11 940 000 ha ont per­mis de lut­ter contre l’érosion des bas­sins ver­sants et de gérer 447 000 km2 de terres autre­fois éro­dées. Ain­si, chaque année, envi­ron 400 mil­liards de kilo­grammes de limon issus du pla­teau de lœss ne finissent plus dans le fleuve Jaune. For­te­ment éro­dé autre­fois, le pla­teau de lœss est aujourd’hui cou­vert de terres agri­coles en plein essor, de prai­ries, de ver­gers et de mon­tagnes verdoyantes.


Des obstacles surmontés

Si le pro­gramme a aujourd’hui indé­nia­ble­ment fait ses preuves en matière de res­tau­ra­tion des terres, sa mise en œuvre a été semée d’erreurs et d’embûches. Les obs­tacles sur­mon­tés au fil des décen­nies ali­mentent un ensemble de leçons qui valo­risent l’expérience chi­noise. Ain­si, le choix du type de végé­ta­tion (notam­ment en fonc­tion de sa pro­fon­deur d’enracinement), le choix des espèces (endé­miques ou impor­tées), leur diver­si­té, la den­si­té du cou­vert, etc., ont consti­tué autant de fac­teurs qu’il a fal­lu ajus­ter aux condi­tions éco­lo­giques et à la nature des res­sources en eau plu­vio­mé­triques ou pédo­lo­giques spé­ci­fiques locales. L’association de diverses mesures bio­lo­giques et tech­niques de res­tau­ra­tion des terres a éga­le­ment consti­tué un fac­teur de suc­cès impor­tant : mise en place de brise-vent, plan­ta­tion arti­fi­cielle, mise en défends des pâtu­rages per­met­tant la régé­né­ra­tion natu­relle, ense­men­ce­ment aérien, tech­niques de conser­va­tion des eaux et des sols…

Par ailleurs, les res­sources asso­ciées au pro­jet ain­si que les moda­li­tés d’octroi de ces res­sources ont aus­si fait l’objet d’ajustements, comme l’adossement des sub­ven­tions au taux de sur­vie des espèces plan­tées. La recherche d’intérêts éco­no­miques – comme la créa­tion de nou­velles sources de reve­nus grâce à de nou­velles filières à valeur ajou­tée, ou la pro­tec­tion des infra­struc­tures de trans­port contre l’ensablement – a aus­si été un fac­teur impor­tant pour la mise en place et la péren­ni­té des pro­jets de restauration.

Enfin, les efforts conjoints et concer­tés de tous les acteurs (fonc­tion­naires, habi­tants, entre­pre­neurs, agri­cul­teurs, scien­ti­fiques…) ain­si que la pla­ni­fi­ca­tion inté­grée des dif­fé­rents amé­na­ge­ments – réa­li­sés dans les zones de mon­tagne, les terres agri­coles, les pâtu­rages et le long des routes – sont aus­si sou­vent men­tion­nés comme des fac­teurs clés de succès.

Un secteur privé fortement impliqué

En Chine, Elion est l’un des opé­ra­teurs de la Grande Muraille verte : l’entreprise, à l’origine une entre­prise de sel for­te­ment impac­tée par les consé­quences de l’ensablement des routes, a rever­di depuis 1988 plus de 30 % du désert du Kubu­qi situé à 500 km à l’ouest de Pékin, soit envi­ron 600 000 hec­tares. Elion Resources Group consti­tue un modèle du sec­teur pri­vé pour la ges­tion durable des terres, gui­dé par les pro­fits de la socié­té. En res­tau­rant des zones dégra­dées, la socié­té a réduit ses frais d’exploitation, créé de nou­veaux mar­chés géné­rant de nou­velles sources de béné­fices, et créé des emplois locaux dans le sec­teur de l’industrie et des ser­vices. L’un des prin­ci­paux fac­teurs de réus­site est la volon­té des béné­fi­ciaires et du gou­ver­ne­ment d’assumer la res­pon­sa­bi­li­té d’une par­tie du risque d’échec qu’une socié­té ne pren­drait pas en d’autres circonstances.

Les inno­va­tions tech­no­lo­giques ont éga­le­ment joué un rôle essen­tiel dans le pro­ces­sus de res­tau­ra­tion. Grâce à l’intégration des connais­sances locales, Elion a intro­duit plus de 1 000 res­sources géné­tiques résis­tantes au froid et à la séche­resse et pou­vant être plan­tées dans des sols salins et alca­lins. L’installation de sys­tèmes d’irrigation pour l’arrosage des jeunes arbres a en outre per­mis de boos­ter le taux de sur­vie des arbres de 20 % à 85 %. Elion a éga­le­ment sta­bi­li­sé les dunes de sable en adop­tant un modèle de grillage fait avec des tiges de saule.

La réglisse, plante médi­ci­nale locale et résis­tante à la séche­resse, a été plan­tée en grande quan­ti­té dans le but de trans­for­mer la terre vierge du Kubu­qi en un immense centre de pro­duc­tion de plantes médi­ci­nales. Aujourd’hui, plus de 200 km2 de plantes médi­ci­nales sont culti­vés sur le Kubu­qi. En outre, une chaîne indus­trielle éco­lo­gique a été intro­duite avec la plan­ta­tion de plantes four­ra­gères pour déve­lop­per l’élevage. Le fumier est uti­li­sé comme engrais orga­nique pour la plan­ta­tion d’arbres et d’herbes ain­si que comme bio­gaz pour la pro­duc­tion d’énergie. Elion uti­lise éga­le­ment l’ensoleillement intense et les grands espaces du Kubu­qi pour la pro­duc­tion d’énergie solaire et éolienne, four­nis­sant en élec­tri­ci­té la popu­la­tion et les entre­prises locales. 

Le modèle éco­no­mique d’Elion « éco­lo­gie + busi­ness » a per­mis de mettre en place un cycle de béné­fices réci­proques, démon­trant ain­si la ren­ta­bi­li­té de la res­tau­ra­tion des terres.

Sta­bi­li­sa­tion des dunes de sable le long des infra­struc­tures rou­tières, région de Kubu­qi. © UNCCD

Une priorité pour les pouvoirs publics

Les admi­nis­tra­tions chi­noises à tous les niveaux ont fait de la res­tau­ra­tion de l’environnement une prio­ri­té, en par­ti­cu­lier dans les zones déser­tiques comme le Kubu­qi. Le gou­ver­ne­ment a accor­dé des primes et son sou­tien pour ce pro­jet de res­tau­ra­tion. Le cadre de finan­ce­ment four­ni par le gou­ver­ne­ment cen­tral et les auto­ri­tés locales a per­mis de garan­tir les prêts accor­dés à Elion par les banques publiques et pri­vées. Un sys­tème de récom­pense des entre­prises pri­vées et des per­sonnes a éga­le­ment joué un rôle majeur pour l’engagement du sec­teur pri­vé dans le pro­ces­sus de restauration.

L’un des aspects les plus satis­fai­sants du pro­jet a été son enga­ge­ment actif auprès de la popu­la­tion locale ain­si que la créa­tion d’emplois qui ont sou­te­nu la crois­sance éco­no­mique locale. Grâce à cette col­la­bo­ra­tion avec la com­mu­nau­té, Elion a réus­si à mobi­li­ser des mil­liers de per­sonnes pour ses opé­ra­tions de plan­ta­tion d’arbres et d’herbes annuelles. Les par­te­na­riats inter­na­tio­naux avec des orga­ni­sa­tions comme le Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et la Conven­tion des Nations unies sur la lutte contre la déser­ti­fi­ca­tion (CNULCD) ont per­mis d’éveiller les consciences sur l’importance de la par­ti­ci­pa­tion locale dans le pro­ces­sus de res­tau­ra­tion. L’étroite col­la­bo­ra­tion qu’Elion a ins­tau­rée avec des ins­ti­tu­tions de recherche scien­ti­fique a favo­ri­sé la créa­tion de tech­niques inno­vantes per­met­tant de contrô­ler la désertification.

“Une génération
a passé sa vie à restaurer les sols
et travailler leur couvert végétal”

Des efforts pérennes

Une géné­ra­tion a pas­sé sa vie à res­tau­rer les sols et tra­vailler leur cou­vert végé­tal, pour lut­ter contre l’intrusion du sable et créer des zones pro­duc­tives offrant refuge, moyens de sub­sis­tance et reve­nus aux habi­tants de la région. La Chine pour­suit ses efforts avec la par­ti­ci­pa­tion de tous les acteurs, pour rele­ver les défis à venir de la Grande Muraille verte.


Références

Zhang (Y.) et al., « Mul­tiple affo­res­ta­tion pro­grams acce­le­rate the green­ness in the ‘Three North’ region of Chi­na from 1982 to 2013 », Eco­lo­gi­cal Indi­ca­tors, 61, 2016, p. 404–412.

« La Terre, source de vie. Créer de la richesse, trans­for­mer des vies », Banque mon­diale, Ter­rA­fri­ca et secré­ta­riat de la CNULCD, 2016.

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