Une éthique du numérique pour un Développement Durable

Dossier : Développement durableMagazine N°742 Février 2019
Par Jean-Michel MEPUIS (74)
Le numérique joue un rôle clé pour le développement durable. Mais son usage croissant a un impact significatif sur l’environnement (environ 10 % de l’énergie électrique mondiale et une utilisation croissante de ressources rares). Et la manière de le mettre en œuvre pose des questions éthiques. Se pose donc la question de ce qu’il est responsable de faire en matière de numérique et ce qui ne l’est pas afin d’assurer un développement durable.

Le numé­rique joue un rôle clé pour le déve­lop­pe­ment durable en par­ti­cu­lier pour l’éducation, la jus­tice, l’accès à l’énergie, la lutte contre les dis­cri­mi­na­tions ou l’accès aux ser­vices de la ville durable, sec­teurs qui font l’objet d’objectifs de déve­lop­pe­ment durable. Mal­heu­reu­se­ment, il apporte aus­si son lot de dévoie­ment des régle­men­ta­tions des espaces éco­no­miques en fai­sant fi des fron­tières, d’atteinte à la pro­tec­tion de la vie pri­vée ou de dés­in­for­ma­tion à des fins poli­tiques ou de consom­ma­tion, en s’appuyant sur des algo­rithmes ou des usages de don­nées tou­jours plus puis­sants au béné­fice de très peu d’acteurs.


REPÈRES

Le Règle­ment géné­ral sur la pro­tec­tion des don­nées (RDGP) a été éla­bo­ré par l’Union euro­péenne pour enca­drer le trai­te­ment des don­nées per­son­nelles de ses rési­dents par tout acteur public ou pri­vé éta­bli sur son ter­ri­toire. Il est entré en appli­ca­tion le 25 mai 2018. Le RGPD donne un droit d’opposition au trai­te­ment de don­nées, de rec­ti­fi­ca­tion des don­nées, d’information et d’accès sur les don­nées et trai­te­ments et de limi­ta­tion de trai­te­ments. Il donne aus­si un droit à être noti­fié des trai­te­ments effec­tués, un droit à l’effacement et à l’oubli, et un droit à la por­ta­bi­li­té des don­nées per­son­nelles. Le RGPD pré­voit des sanc­tions qui vont de l’avertissement à des amendes pou­vant atteindre de 2 % à 4 % du chiffre d’affaires mon­dial de l’entreprise.


Un sujet aux multiples facettes

Le sujet relève de plu­sieurs dimen­sions : celle des pou­voirs publics et du régu­la­teur, celle des ini­tia­tives de groupes d’acteurs, celle des entre­prises indi­vi­duel­le­ment, celle de la socié­té civile, comme celle de divers orga­nismes contri­buant à la gou­ver­nance citoyenne.

En pre­mier, le res­pect de la loi et de la régle­men­ta­tion, et en par­ti­cu­lier en Europe le Règle­ment géné­ral sur la pro­tec­tion des don­nées (RGPD) donne un socle de pro­tec­tion de la don­née pri­vée. Au-delà des sanc­tions que son non-res­pect requiert – jusqu’à 2 à 4 % du chiffre d’affaires mon­dial de l’entreprise délic­tueuse ! – le RGPD pose des prin­cipes essen­tiels, comme le prin­cipe de fina­li­té, la pro­tec­tion des don­nées par défaut, ou le droit d’accès aux don­nées et à leur effa­ce­ment, qui sont par­ti­cu­liè­re­ment structurants.

En second, des ini­tia­tives volon­taires apportent des com­plé­ments d’éthique essen­tiels, notam­ment en matière d’algorithmes, comme la trans­pa­rence des algo­rithmes (Trans­Al­go).

Cer­taines entre­prises prennent des enga­ge­ments par exemple en termes phy­siques, comme l’obturation auto­ma­tique de camé­ras à la mai­son, ou encore Google avec sa charte éthique de l’intelligence arti­fi­cielle selon sept prin­cipes et quatre exclusions.

Les ini­tia­tives des GAFA pour se doter d’énergie élec­trique verte vont dans ce sens, tout comme les inci­ta­tions au recy­clage et à la réuti­li­sa­tion des équi­pe­ments numé­riques ou élec­triques pour une deuxième vie. À titre d’exemple on cite­ra l’utilisation de bat­te­ries de voi­ture usa­gées pour sto­cker de l’électricité (Daim­ler, Renault), ou le mar­ché des télé­phones mobiles d’occasion en plein développement.

“La consommation d’énergie des objets connectés
peut varier d’un facteur 10 selon les fabricants”

Bonnes pratiques pour le numérique

Beau­coup a été dit et reste à dire sur la notion d’éthique dans le numé­rique, tant les tech­no­lo­gies et l’algorithmique évo­luent rapi­de­ment, bien plus vite que ce que les par­ties pre­nantes peuvent appré­hen­der, même si la conscience col­lec­tive com­mence à se mobi­li­ser. S’il n’est pas réel­le­ment pos­sible d’imposer une éthique au-delà du simple res­pect de la loi et des règle­ments, il est pos­sible de se doter de bonnes pra­tiques pour un déve­lop­pe­ment éthique du numé­rique dans les entre­prises et les admi­nis­tra­tions, afin de faire rayon­ner leur répu­ta­tion et atti­rer des clients ou usa­gers en quête d’un espace régle­men­taire sécu­ri­sé et d’un envi­ron­ne­ment où leur inti­mi­té est res­pec­tée et protégée.

Comme tout évo­lue sans cesse, on veille­ra à ce que les prin­cipes conve­nus au départ soient res­pec­tés dans les évo­lu­tions des sys­tèmes et outils. De même, cer­tains résul­tats d’algorithmes n’étant pas obli­ga­toi­re­ment pré­vi­sibles, par exemple avec l’apprentissage pro­fond ou les réseaux de neu­rones, il est recom­man­dé de res­ter vigi­lant sur les résul­tats obte­nus pour évi­ter les biais ou com­por­te­ments inex­pli­qués, en tes­tant sta­tis­ti­que­ment ces résul­tats. L’abandon récent par Ama­zon du trai­te­ment auto­ma­ti­sé des CV, car trop biai­sé contre les femmes du fait de la démarche d’apprentissage sur dix ans, en est le reflet.

En ce qui concerne la dimen­sion envi­ron­ne­men­tale du numé­rique, la bonne pra­tique est de mesu­rer et réduire l’empreinte car­bone et envi­ron­ne­men­tale des sys­tèmes d’information concer­nés par ces déve­lop­pe­ments et des dis­po­si­tifs mis en place chez le client : on obser­ve­ra que la consom­ma­tion d’énergie des objets connec­tés peut varier d’un fac­teur 10 selon les fabri­cants, sans par­ler de leur cycle de vie.

Si on sou­haite limi­ter l’explosion des consom­ma­tions éner­gé­tiques du numé­rique avec des volumes de don­nées, qui devraient être mul­ti­pliées par 8 d’ici 2025 selon le cabi­net IDC, trois bonnes pra­tiques sont recom­man­dées par le club Green IT et le WWF dans une étude récente : aug­men­ter la durée de vie des équi­pe­ments, bas­cu­ler sur une concep­tion res­pon­sable des ser­vices numé­riques qui veille à d’abord bien cer­ner le besoin avant de faire des déve­lop­pe­ments pro­por­tion­nés, et avoir une stra­té­gie numé­rique responsable.

Quels avan­tages l’entreprise éthique peut-elle tirer de ses enga­ge­ments et réa­li­sa­tions dans le numé­rique dans un mar­ché très concur­ren­tiel ? Dans un contexte de sen­si­bi­li­té crois­sante à la pro­tec­tion indi­vi­duelle, une entre­prise éthique pour­ra atti­rer à elle des clients, comme en témoigne le suc­cès crois­sant des moteurs de recherche qui pré­servent les infor­ma­tions des visi­teurs ou des télé­phones mobiles écoconçus.

Une intelligence artificielle pour le bien commun ?

Si Cédric Vil­la­ni en a fait un cha­pitre entier de son rap­port « Don­ner un sens à l’intelligence arti­fi­cielle » en mars 2018, peut-on dire que la fina­li­té du bien com­mun garan­tit l’éthique du numé­rique ? En un sens, la recherche du bien com­mun, comme la san­té, le bien-être, ou le vivre ensemble, devrait orien­ter les déve­lop­pe­ments infor­ma­tiques et les équi­pe­ments vers un but posi­tif, en évi­tant des tra­vers. Elle donne un enga­ge­ment fédé­ra­teur posi­tif, ce qui mérite d’être appuyé et sou­te­nu comme l’a fait Cédric Villani.

Mais, pour autant, l’éthique n’est pas garan­tie, comme en témoigne le déve­lop­pe­ment de busi­ness models très ren­tables autour de la don­née san­té pour vendre des pro­duits pas tou­jours néces­saires et utiles pour les per­sonnes. De même les appli­ca­tions gra­tuites ciblées sur le bien-être sont rare­ment phi­lan­thro­piques et cachent sou­vent des pla­te­formes publi­ci­taires très ren­tables dont c’est la vraie finalité.

C’est pour­quoi, même dans le cas de la recherche du bien com­mun au cœur du déve­lop­pe­ment durable, il convient de res­pec­ter les bonnes pra­tiques énon­cées précédemment.

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