Contribuer au développement durable, cet incontournable pour l’entreprise

Dossier : Développement durableMagazine N°742 Février 2019
Par Muriel BUIATTI (86)
Ces dernières années, les obligations réglementaires de plus en plus nombreuses en matière de développement durable ont été déclinées dans les stratégies RSE (responsabilité sociétale des entreprises) des acteurs économiques, pour assurer leur conformité (compliance) mais aussi pour exprimer des engagements, ou réexprimer des engagements anciens. Tel Monsieur Jourdain, certaines entreprises faisaient de la RSE sans le savoir. De plus en plus d’entreprises se dotent d’un(e) directeur(trice) du développement durable. 

Les stra­té­gies RSE visent à répondre aux attentes des par­ties pre­nantes des entre­prises autres que l’État et ses repré­sen­tants. Qu’elles opèrent en B2B ou en B2C, nombre d’entreprises n’ont pas atten­du les éven­tuelles sanc­tions finan­cières pour s’interroger sur leur contri­bu­tion au déve­lop­pe­ment durable. Cepen­dant, elles peuvent encore per­fec­tion­ner leur manière de le faire.

Les entre­prises sou­mises à la loi NRE (Nou­velles Régle­men­ta­tions éco­no­miques) de 2001 sont aujourd’hui consi­dé­rées matures en la matière ; elles attendent de leurs four­nis­seurs un fonc­tion­ne­ment iden­tique. Ain­si, même une orga­ni­sa­tion non sou­mise à la régle­men­ta­tion par ses seuils d’effectifs ou de chiffres d’affaires sera, selon le prin­cipe de la soft law, atten­due aus­si sur l’exercice de sa res­pon­sa­bi­li­té socié­tale, notam­ment par ses clients grands comptes qui ins­crivent leurs attentes RSE dans leurs appels d’offres. De plus, la trans­po­si­tion de la direc­tive euro­péenne sur la décla­ra­tion de per­for­mance extra-finan­cière touche des orga­ni­sa­tions qui, pour cer­taines, n’avaient pas encore amor­cé une démarche structurée.

Ces entre­prises devront, dès 2019, pré­ci­ser leur modèle d’affaires, la maté­ria­li­té des risques encou­rus et celle des enjeux asso­ciés, ain­si qu’obtenir un avis de confor­mi­té et de sin­cé­ri­té par un orga­nisme tiers indé­pen­dant (OTI).

Elles devront éga­le­ment croi­ser la réflexion conduite en interne sur ces sujets avec la vision des par­ties pre­nantes de l’entreprise. Ain­si, une car­to­gra­phie de ces par­ties pre­nantes, repre­nant l’identification de leurs attentes et les modes de dia­logue avec elles, est la pre­mière étape d’une démarche RSE, avant l’élaboration d’une « matrice de maté­ria­li­té », qui met­tra en pers­pec­tive les attentes des par­ties pre­nantes et leur impor­tance pour l’entreprise.

De manière natu­relle, il s’agira de se concen­trer sur les sujets maté­riels (ou stra­té­giques) concen­trant attentes fortes et impor­tance. Par exemple, l’innovation et son finan­ce­ment sont des sujets maté­riels pour une entre­prise du sec­teur phar­ma­ceu­tique. Les chan­ge­ments cli­ma­tiques et la perte de bio­di­ver­si­té le seront pour un acteur de l’énergie, etc. Cela ne veut en aucun cas dire que les sujets non maté­riels ne sont pas à trai­ter aus­si, mais c’est un moyen de hié­rar­chi­ser tous les sujets.


REPÈRES

L’ordonnance n° 2017–1180 du 19 juillet 2017 assure la trans­po­si­tion en droit interne de la direc­tive RSE (direc­tive 2014/95/UE rela­tive à la publi­ca­tion d’informations extra-finan­cières par les entre­prises) et déter­mine le nou­veau dis­po­si­tif de repor­ting extra-finan­cier. Elle défi­nit le conte­nu et le champ de la nou­velle décla­ra­tion de per­for­mance extra-finan­cière, qui rem­place désor­mais le rap­port RSE.


La RSE, une démarche globale pour l’entreprise

Dans cette nou­velle évo­lu­tion régle­men­taire, la dif­fi­cul­té est, dans un pre­mier temps, d’écrire son modèle d’affaires en inté­grant les enjeux finan­ciers et extra-finan­ciers. Puis, dans un second temps, il convient de recen­ser toutes les actions signi­fi­ca­tives illus­trant leur per­for­mance extra-finan­cière, avec idéa­le­ment des indi­ca­teurs de pro­grès, voire des objec­tifs asso­ciés. Il est cou­rant, lors de cet exer­cice, d’identifier des axes de pro­grès sur des thé­ma­tiques oubliées jusqu’alors : ancrage ter­ri­to­rial, vul­né­ra­bi­li­té du modèle éco­no­mique face aux chan­ge­ments cli­ma­tiques, signaux faibles expri­més par des par­ties pre­nantes, enjeux liés à la bio­di­ver­si­té, etc. Il est alors temps de défi­nir ou de ren­for­cer la poli­tique RSE, avec un pro­gramme et un plan d’action. L’appui d’un conseil exté­rieur peut être précieux.

“Il faut viser
l’appropriation de la démarche
par tous les acteurs de l’organi-sation”

Mais un plan pour quelles finalités ?

La com­mu­ni­ca­tion externe et la répu­ta­tion peuvent être des pre­mières moti­va­tions pour cer­taines entre­prises, mais ce n’est pas suf­fi­sant. Pour une véri­table ambi­tion DD, il faut viser l’appropriation de la démarche par tous les acteurs de l’organisation. La démarche RSE doit être posi­tion­née au sein de la démarche stra­té­gique de l’entreprise.

Le temps d’un dis­cours à la Pré­vert lis­tant tous les thèmes et indi­ca­teurs de la loi Gre­nelle II, par exemple, pour le volet envi­ron­ne­ment du DD, est main­te­nant révo­lu : il faut, de façon pro­fes­sion­nelle, lier le res­pect de la régle­men­ta­tion, les attentes des par­ties pre­nantes, avec l’ambition de res­pon­sa­bi­li­té socié­tale de l’entreprise telle que trans­crite dans ses métiers et ses acti­vi­tés commerciales. 

Il faut éga­le­ment men­tion­ner que de nom­breux acteurs autres que des entre­prises s’engagent en matière de déve­lop­pe­ment durable, soit pour des rai­sons régle­men­taires, comme dans le cas de la cer­ti­fi­ca­tion de la Haute Auto­ri­té de san­té pour des éta­blis­se­ments hos­pi­ta­liers publics, soit pour don­ner du sens à des démarches managériales.

En France, le Club déve­lop­pe­ment durable des éta­blis­se­ments publics et des entre­prises publiques a publié en 2016 un Guide pra­tique sur la mise en œuvre d’une démarche de res­pon­sa­bi­li­té socié­tale et de repor­ting dans les orga­nismes publics que, par exemple, l’Assemblée natio­nale a déci­dé en 2018 de mettre en œuvre.


Le rapport Senard-Notat

Le gou­ver­ne­ment a confié le 11 jan­vier 2018 à Jean-Domi­nique Senard – pré­sident du groupe Miche­lin – et Nicole Notat – ancienne secré­taire géné­rale de la CFDT et pré­si­dente de Vigeo Eiris – une mis­sion sur l’entreprise et l’intérêt géné­ral. Leur rap­port, inti­tu­lé L’entreprise, objet d’intérêt col­lec­tif et remis le 9 mars 2018, avait voca­tion à ali­men­ter la réflexion du gou­ver­ne­ment en vue de la pré­pa­ra­tion de la loi Pacte qui sera exa­mi­née par le Sénat en jan­vier 2019.

Sur la convic­tion que l’entreprise a une rai­son d’être et contri­bue à un inté­rêt col­lec­tif, et que l’entreprise et son droit sont une par­tie de la solu­tion pour pal­lier le désen­chan­te­ment actuel envers elle, le rap­port pro­pose de redon­ner de la sub­stance à l’entreprise et de l’amener à réflé­chir à sa « rai­son d’être ». Il s’agit aus­si, selon les auteurs, d’amener la grande entre­prise à faire à une échelle mon­diale ce que la petite fait sou­vent, du fait de son inser­tion dans un ter­ri­toire et dans un contexte de fort intui­tu per­so­nae. Si l’Économie sociale et soli­daire (ESS) a consti­tué une « troi­sième voie » entre l’action publique et l’économie de mar­ché, les auteurs du rap­port des­sinent une autre voie, celle d’une éco­no­mie res­pon­sable, par­ve­nant à conci­lier le but lucra­tif et la prise en compte des impacts sociaux et envi­ron­ne­men­taux. La réap­pro­pria­tion par l’entreprise de sa res­pon­sa­bi­li­té comme d’une rai­son d’être, asso­ciée à une offi­cia­li­sa­tion stra­té­gique, voire juri­dique, est pro­po­sée ain­si par le rap­port pour sor­tir de la crise de sens actuelle de l’entreprise. Elle est au cœur de 14 recom­man­da­tions qui visent à encou­ra­ger la for­mu­la­tion par l’entreprise de sa rai­son d’être, à ren­for­cer l’accompagnement et l’environnement des entre­prises pour leur démarche RSE, et à per­mettre les « entre­prises à mission ».

par Marie-Louise Casa­de­mont (74)


Responsable du développement durable (DDD) : un poste clé

Au centre de la démarche RSE, on trouve sou­vent le (ou la) directeur(trice) déve­lop­pe­ment durable (DDD), ou res­pon­sable RSE, qui est un élé­ment clé du dis­po­si­tif, mais qui ne peut agir seul : il lui faut des sou­tiens tant en interne qu’à l’extérieur, en par­ti­cu­lier en échan­geant avec les pairs ou en écou­tant la socié­té civile.

Il est encore par­fois d’usage de rajou­ter la « cas­quette » de res­pon­sable DD à une fonc­tion exis­tante. Un res­pon­sable juri­dique, de com­mu­ni­ca­tion externe ou finan­cière, de qua­li­té-sécu­ri­té-envi­ron­ne­ment, de ges­tion des risques, ou de l’innovation, peut voir du jour au len­de­main ses pré­ro­ga­tives s’élargir à la RSE/DD. C’est sou­vent le cas dans les entre­prises de taille moyenne ou petite. Dans tous les cas, l’intitulé du poste de DDD est une infor­ma­tion sur l’angle que retient l’entreprise pour abor­der la RSE : régle­men­taire ou mar­ke­ting, par exemple.

Connais­sant le domaine, par son par­cours, sa curio­si­té natu­relle et par­fois grâce à un diplôme ou une for­ma­tion, le DDD va devoir s’approprier ses nou­velles mis­sions. Elles sont sou­vent liées à des échéances : publi­ca­tion de la décla­ra­tion de per­for­mance extra-finan­cière, cota­tion sur une pla­te­forme telle que Eco­Va­dis ou Ace­sia (solu­tion de l’Afnor), ques­tion­naire d’un client ou réfé­ren­ce­ment pour répondre à un appel d’offres public ou pour un contrat de gré à gré. Mais, de plus en plus, ses mis­sions sont de fédé­rer des offres de pro­duits ou ser­vices à com­po­sante RSE ou DD.


Des ressources externes

Les orga­ni­sa­tions telles que le Medef et la CPME abordent le thème de la RSE depuis de nom­breuses années : leurs res­sources docu­men­taires, cocons­truites avec des experts, sont des sup­ports pré­cieux pour les entre­prises. Des orga­ni­sa­tions comme l’ORSE, le C3D ou Entre­prises pour l’environnement (EpE) per­mettent de par­ta­ger des pra­tiques et de défi­nir de nou­veaux réfé­ren­tiels DD spé­ci­fiques de l’entreprise ou d’un sec­teur d’activité précis.


Une approche complexe pour le DDD

Quels réfé­ren­tiels adop­ter ? Com­ment com­mu­ni­quer ? Quelles exi­gences avoir envers les four­nis­seurs ? Com­ment « embar­quer » les col­la­bo­ra­teurs dans la démarche et l’animer ? Autant de sujets qui rythment le quo­ti­dien du DDD.

Le plus dif­fi­cile est peut-être d’identifier la vision du diri­geant en matière de déve­lop­pe­ment durable et de long terme. Il n’est pas rare d’entendre que le déve­lop­pe­ment durable fait par­tie de l’ADN de l’entreprise, et de ren­con­trer des diri­geants qui ne com­prennent pas bien devoir rendre des comptes et se jus­ti­fier sur l’éthique dans les affaires, les rela­tions sociales, voire les impacts envi­ron­ne­men­taux de leurs pro­duits. Il est par­fois dif­fi­cile de convaincre cer­tains diri­geants de la néces­si­té de plus de trans­pa­rence, ce qui est la clé d’une démarche responsable.

Après s’être assu­ré de la vision du diri­geant (et/ou des action­naires), vision de départ qu’il pour­ra tou­jours inflé­chir au fur et à mesure grâce aux résul­tats éco­no­miques ou d’image obte­nus : part de mar­ché gagnée, avan­tage concur­ren­tiel, bonne place dans un clas­se­ment, article de presse, etc., il s’agira de col­lec­ter les infor­ma­tions et bonnes pra­tiques existantes.

Dans un uni­vers com­plexe avec dif­fé­rents sites, éta­blis­se­ments, filiales, c’est une réelle dif­fi­cul­té à sur­mon­ter. Conso­li­der les don­nées, les véri­fier par un contrôle interne avant l’étape régle­men­taire éven­tuelle d’intervention de l’OTI, peut être dif­fi­cile pour cer­taines entre­prises : le pilo­tage des don­nées extra-finan­cières n’est pas tou­jours dans les habi­tudes. Cette col­lecte des réa­li­sa­tions RSE de l’entreprise est pour­tant une source de meilleure com­pré­hen­sion des impacts de l’entreprise, d’efficience, voire d’économies.

Le DDD tire­ra sa fier­té de la mise en œuvre concrète du déve­lop­pe­ment durable au sein de l’entreprise, ain­si que dans son offre de pro­duits et ser­vices. Son quo­ti­dien fait en per­ma­nence de com­pro­mis et de dilemmes peut s’en trou­ver apai­sé. Ren­for­cer le bien-être des employés, déve­lop­per le vivre ensemble, par­ti­ci­per à la conquête de nou­veaux mar­chés grâce au déve­lop­pe­ment durable lui appor­te­ront satisfaction.

Être convain­cu que « les marques de demain auront une stra­té­gie de déve­lop­pe­ment durable ou n’existeront plus », tel que l’exprime Éric Mugnier (asso­cié EY, France) dans l’étude annuelle publiée par Eco­Va­dis en 2018, ne peut res­ter de l’ordre de l’incantatoire : il y va de l’avenir de l’entreprise.

Et le DDD en est et en sera le catalyseur.


Le Collège des Directeurs du Développement Durable, l’association pour les entreprises responsables

Le Col­lège des direc­teurs du déve­lop­pe­ment durable (C3D) fait aujourd’hui par­tie des acteurs majeurs en France pour contri­buer à la trans­for­ma­tion socié­tale et envi­ron­ne­men­tale des orga­ni­sa­tions. Fon­dé en 2008, il compte aujourd’hui près de 120 membres, tous direc­teurs ou res­pon­sables en charge du déve­lop­pe­ment durable ou de la res­pon­sa­bi­li­té socié­tale des entre­prises (RSE). Le C3D favo­rise l’échange de bonnes pra­tiques et la cocons­truc­tion de nou­velles solu­tions. Les membres du C3D trouvent dans l’association l’accompagnement néces­saire pour faire émer­ger de nou­velles manières de pen­ser au sein des entre­prises, ins­ti­tu­tions ou col­lec­ti­vi­tés aux­quelles ils sont rattachés.

Les réflexions du C3D portent en par­ti­cu­lier sur l’évolution de modèles éco­no­miques plus contri­bu­tifs et inclu­sifs, la lutte contre le dérè­gle­ment cli­ma­tique et ses impacts, les villes durables, les droits humains, le repor­ting, l’intégration de la RSE dans les achats, le mar­ke­ting res­pon­sable… Le C3D accom­pagne ses membres pour déve­lop­per de nou­velles stra­té­gies dans les struc­tures dont ils dépendent et les aide à acqué­rir de nou­velles com­pé­tences, en lien avec leurs fonctions.

Le C3D contri­bue à por­ter sur l’espace public les pro­blé­ma­tiques et réflexions autour du déve­lop­pe­ment durable et de la RSE, pour influen­cer les déci­deurs et les lea­ders d’opinion afin d’accélérer la trans­for­ma­tion des entreprises.

Le C3D assure ain­si une double fonc­tion, conseil auprès de ses membres et rôle auprès de par­ties pre­nantes déci­sion­naires en vue d’influencer et d’accélérer les révo­lu­tions socié­tales et économiques. 

par Fabrice Bon­ni­fet, pré­sident du C3D, asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle des DDD


Nota : le lec­teur inté­res­sé par la RSE pour­ra éga­le­ment se repor­ter au site de l’Observatoire de la res­pon­sa­bi­li­té socié­tale de l’entreprise, l’ORSE, ain­si qu’à la pla­te­forme RSE, qui a notam­ment publié en octobre 2018 avec France Stra­té­gie un rap­port RSE et ODD.

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