Airthium : Stocker l’énergie en comprimant du gaz

Dossier : TrajectoiresMagazine N°742 Février 2019
Par Hervé KABLA (84)

Andreï Klo­ch­ko (2007) est le fon­da­teur d’Airthium, une entre­prise qui éla­bore des sys­tèmes de sto­ckage uti­li­sés pour les éner­gies renouvelables.

Andreï Klochko (2007), fondateur d’Airthium
Andreï Klo­ch­ko (2007), fon­da­teur d’Airthium

Que permet Airthium ?

Nous sto­ckons les éner­gies renou­ve­lables (solaire, éolien) pour les res­ti­tuer au moment où les usa­gers en ont besoin. En asso­ciant notre sys­tème de sto­ckage à une cen­trale solaire de grande taille (10 MW et plus), le coût glo­bal de l’énergie ain­si pro­duite est infé­rieur au coût de l’énergie d’origine fos­sile – et ce, 24 h / 24, et sans subventions !

Comment t’est venue l’idée ?

Il s’agit d’un tech­no-push : j’ai eu connais­sance, en 2008, dans un livre ache­té au Car­re­four d’Orange pen­dant mon stage mili­taire, d’une tech­no­lo­gie sur­pre­nante, au croi­se­ment de la méca­nique des fluides et de l’électromagnétisme. Je trou­vais cela étrange que cette belle tech­no­lo­gie n’ait aucune appli­ca­tion dans la vraie vie, alors sept ans après – en 2014 – j’ai fina­le­ment trou­vé l’opportunité busi­ness qui lui ren­dait jus­tice : le sto­ckage d’énergie, à l’époque par air com­pri­mé, aujourd’hui en 2019 par pom­page de cha­leur haute tem­pé­ra­ture (800 °C). C’est ain­si qu’est né Air­thium !

Quel est le parcours des fondateurs ?

Au départ, j’ai por­té le pro­jet seul. Le pro­jet a com­men­cé pen­dant ma der­nière année de thèse à l’X (mai 2014). J’ai sou­te­nu ma thèse en décembre 2014, puis après deux mois de post­doc pour ter­mi­ner mes articles, je me suis lan­cé dans Air­thium à plein temps.

J’ai deux asso­ciés : Dimi­tri Bot­vitch, un ami d’enfance qui m’a aidé sur cer­tains points au début (mais qui est aujourd’hui non opé­ra­tion­nel), et Franck Lahaye, ancien res­pon­sable com­mer­cial chez Intel­sat, qui s’occupe de la par­tie busi­ness et opérationnel.

Qui sont les concurrents ?

Les groupes élec­tro­gènes, et… Tes­la ! En effet, le fabri­cant de voi­tures élec­triques est aus­si très pré­sent sur le mar­ché des bat­te­ries sta­tion­naires de grande capa­ci­té. Il y a peu, ils ont mis en ligne 100 MW en Aus­tra­lie. Seule­ment, nos bat­te­ries ther­mo­dy­na­miques sont plus adap­tées sur les longues durées de sto­ckage (4–20uh d’autonomie), utiles au sto­ckage des renou­ve­lables, et où la puis­sance des bat­te­ries lithium-ion est inutile – et coû­teuse. Notre tech­no­lo­gie est donc fon­da­men­ta­le­ment moins chère sur le long terme.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

En 2014, le pro­jet a com­men­cé avec le prix Geron­deau, obte­nu en juillet. Puis, fin 2015, nous avons réa­li­sé le pre­mier pro­to­type de notre com­pres­seur sans pièce mobile, avec lequel nous avons rem­por­té le Concours mon­dial de l’innovation – 200 k€ de sub­ven­tion. Puis, en mai 2017, nous avons été sélec­tion­nés pour par­ti­ci­per à l’accélérateur amé­ri­cain Y Com­bi­na­tor, de renom­mée mon­diale (il a pro­duit, entre autres, Airbnb et Drop­box), à la suite duquel nous avons levé 440 k€. Aujourd’hui, nous pré­pa­rons notre pre­mier pro­to­type com­plet de bat­te­rie thermodynamique.

La part des énergies renouvelables produites dans le monde semble stagner, pour quelle raison ?

J’ai envie de dire : au contraire ! Le Sta­tis­ti­cal Review of World Ener­gy 2018 de BP le montre bien : entre 2009 et 2017, les renou­ve­lables (hors hydro­élec­tri­ci­té) sont pas­sés de 1 à 3 % de l’énergie pri­maire, soit 200 % de plus.

Néan­moins, 3 % n’est pas 30 ni 80 %, ce qui serait néces­saire pour tenir les enga­ge­ments de l’Accord de Paris. De plus, d’ici dix-quinze ans, le besoin du sto­ckage mas­sif d’énergie se fera sen­tir sur les réseaux – et sur les fac­tures d’électricité !

Qu’est-ce qui manque pour accélérer la transformation vers les énergies propres ?

Plu­sieurs choses : bais­ser encore les prix de toute la chaîne de valeur des renou­ve­lables (non seule­ment les pan­neaux et les éoliennes, mais aus­si l’installation, le déve­lop­pe­ment, les ondu­leurs, le rac­cor­de­ment…), ren­for­cer les réseaux élec­triques, rendre régle­men­tai­re­ment obso­lètes les anciennes cen­trales fos­siles (taxe car­bone ?), et bien sûr le sto­ckage, notam­ment le sto­ckage heb­do­ma­daire, sinon nous devrons gar­der 80 % de notre capa­ci­té fos­sile pour… 5 % du temps, lors des une-deux semaines sans vent en hiver ! Et ces 80 % qui res­tent « de garde », il fau­dra les payer…

Y a‑t-il de la place pour qu’une véritable chaîne de sous-traitance se développe derrière les grands énergéticiens ?

Je pense qu’il n’y a pas encore de réponse quant au modèle le plus effi­cace de pro­duc­tion, de dis­tri­bu­tion et de trans­for­ma­tion de l’énergie. Le futur sera-t-il cen­tra­li­sé, décen­tra­li­sé, ou un mélange des deux ? Au-delà des véhi­cules élec­triques, devra-t-on élec­tri­fier les pro­cé­dés indus­triels lourds (indus­trie minière, sidé­rur­gie, cimen­te­rie, recy­clage), et dans ce cas, com­ment ? L’hydrogène – et éven­tuel­le­ment l’ammoniaque, ce car­bu­rant liquide vert dont peu de gens parlent pour le moment – devien­dront-ils le gaz et le pétrole de demain ? Toutes ces options ouvrent la voie à une foule d’acteurs, et il y aura pro­ba­ble­ment beau­coup de mou­ve­ment dans l’industrie de l’énergie dans les trente pro­chaines années…

Y a‑t-il eu transfert de technologie depuis un laboratoire vers la start-up ?

En fait, non. En cela nous sommes assez dif­fé­rents d’autres pro­jets (et nous n’avons pas eu le concours i‑Lab) : nous déte­nons 100 % de notre PI, et elle ne vient pas d’un labo public.

Néan­moins, nous sommes clai­re­ment sur les épaules de géants : notre concept s’appuie sur des cen­taines d’articles de recherche publiés par des cen­taines d’équipes dans le monde sur les soixante der­nières années. Nous tra­vaillons éga­le­ment avec un labo­ra­toire de l’Ensam sur un sujet très poin­tu de corrosion.

C’est d’ailleurs un trait par­ti­cu­lier de l’innovation aujourd’hui : on peut trou­ver énor­mé­ment de choses dans les articles scien­ti­fiques sur le net, et en posant des ques­tions à des cher­cheurs. Il suf­fit de savoir chercher !

Le parcours d’Airthium est un sans faute jusqu’à présent (prix Gerondeau, etc.). Comment y parvient-on ?

J’ai eu la chance d’être très bien entou­ré : d’abord l’École poly­tech­nique, mais aus­si Start in Saclay, ain­si que deux incu­ba­teurs, Incu­bAl­liance et Petit Pou­cet, et de nom­breux amis et col­lègues m’ont per­mis d’obtenir ces prix, d’entrer à Y Com­bi­na­tor puis de lever des fonds, et ain­si de sécu­ri­ser la pre­mière phase du projet.

Néan­moins, c’est main­te­nant que tout va se jouer : en deux ans et demi d’existence, nous avons accu­mu­lé un savoir consé­quent sur un grand nombre d’aspects de la machine. Je n’aurais jamais pen­sé en 2014 que la fatigue méca­nique giga­cycle, le fluage haute tem­pé­ra­ture, la cor­ro­sion, les pro­cé­dés indus­triels, la cer­ti­fi­ca­tion, la chaîne d’approvisionnement, le contrôle qua­li­té et le finan­ce­ment de pro­jet seraient les vrais ver­rous à lever.

Nous avons fait sau­ter une grande par­tie des ver­rous tech­niques. Nous pré­voyons notre pre­mier pro­to­type com­plet pour 2020, sui­vi d’une levée de fonds. Le vrai com­bat, celui de l’industrialisation et de l’entrée dans le monde réel, com­men­ce­ra alors !

Commentaire

Ajouter un commentaire

duriaurépondre
9 mars 2019 à 19 h 07 min

Des dizaines d’an­nées pas­sées dans la nais­sance et le déve­lop­pe­ment de nou­veau­tés m’ont appris beau­coup. J’ai vu des grands choix , et fait par­tie des res­pon­sables de mises en oeuvre de pre­mière phase : enri­chis­se­ment ura­nium, des­sa­le­ment osmose inverse, cli­ma­ti­sa­tion solaire (cette der­nière sans suite à ce jour).
La pro­po­si­tion de cet article n’ap­porte rien de cré­dible au point de vue tech­nique. Il est éton­nant de voir cela dans vos colonnes.
Curieu­se­ment, il y a long­temps, quel­qu’un (dont je ne me rap­pelle pas le nom) s’é­tait fait une exis­tence confor­table dans la pro­mo­tion d’une voi­tu­rette à air com­pri­mé, qui si on peut le dire ne tenait pas en l’air. Cela a duré une dizaine d’an­nées, il avait même inté­res­sé TATA : et quand l’in­ter­lo­cu­teur com­pre­nait et se reti­rait, il en trou­vait un autre… alors qu’un vrai ingé­nieur avait déjà mon­tré sur le net l’é­vi­dence de l’er­reur. Des trams à air com­pri­mé avaient exis­té , je crois au XIXème siècle à Tou­louse ? Mais c’est un pro­blème dif­fé­rent. YD
Bien à vous, YD

Répondre