L’ingénierie des systèmes : réunir mondes physiques et mondes numériques

Dossier : L'industrie du futurMagazine N°741 Janvier 2019
Par Thomas BRANCHE (X99)
Par Robert PLANA
Les progrès de la science et de la technologie notamment dans le domaine du digital se traduisent aujourd’hui par une approche radicalement différente de l’ingénierie système qui va passer d’un modèle principalement guidé par les documents à un modèle guidé par les données.

Le contexte indus­triel actuel se tra­duit par des fortes contraintes en ce qui concerne la dis­po­ni­bi­li­té des infra­struc­tures, leur capa­ci­té à pou­voir trai­ter une large diver­si­té de pro­duits avec des taux de rebuts les plus faibles pos­sible. Nous obser­vons éga­le­ment des exi­gences de plus en plus fortes vis-à-vis de la sécu­ri­té, la sûre­té mais éga­le­ment la pro­tec­tion de l’environnement et la connexion avec les tra­vailleurs et la socié­té. L’ensemble de ces exi­gences nous amène à consi­dé­rer une infra­struc­ture indus­trielle non plus comme un ensemble de com­po­sants tech­no­lo­giques des­ti­né à fabri­quer des pro­duits mais plu­tôt comme un sys­tème com­plexe dont la concep­tion, la construc­tion et l’exploitation devront faire l’objet de nou­velles métho­do­lo­gies et nou­velles approches qui vont faire l’objet de cette communication.


REPÈRES

L’ingénierie des sys­tèmes vise à conce­voir et maî­tri­ser des sys­tèmes com­plexes en fai­sant appel à des approches scien­ti­fiques mul­ti­dis­ci­pli­naires et en s’appuyant sur des méthodes et outils issus de l’expérience. Elle s’intéresse à l’ensemble du cycle de vie des sys­tèmes développés.


Les systèmes cyberphysiques au service de l’industrie du futur

L’industrie du futur va réunir les mondes phy­siques et numé­riques dans une vision sys­tème que l’on appelle les sys­tèmes cyber­phy­siques. Cette conver­gence entre le numé­rique et le maté­riel se fait au tra­vers d’une conti­nui­té des don­nées issues du monde phy­sique et du monde numé­rique et des tech­no­lo­gies de trai­te­ment et de valo­ri­sa­tion de ces don­nées repré­sen­tées par l’intelligence arti­fi­cielle, la réa­li­té vir­tuelle et aug­men­tée, l’internet des objets et les tech­no­lo­gies de fabri­ca­tion additive.

Il faut enfin sou­li­gner que cette conver­gence devra s’obtenir en main­te­nant des niveaux de sûre­té de fonc­tion­ne­ment et de sécu­ri­té répon­dant aux exi­gences des divers domaines industriels.

Une approche ingénierie système guidée par les modèles et les données

La prise en compte de la com­plexi­té gran­dis­sante des infra­struc­tures indus­trielles doit pas­ser par l’adoption de nou­velles métho­do­lo­gies d’ingénierie sys­tème qui vont tirer par­ti des pro­grès dans le domaine de la déma­té­ria­li­sa­tion et de la dis­po­ni­bi­li­té des don­nées, mais éga­le­ment des pro­grès dans le domaine de la modé­li­sa­tion mul­ti­phy­sique et mul­tié­chelle qui intro­duit dans le domaine indus­triel l’ingénierie sys­tème gui­dée par les modèles et les données.

La com­plexi­té des infra­struc­tures néces­site de mobi­li­ser des équipes dis­tri­buées, de par­ta­ger des connais­sances, des don­nées et de vir­tua­li­ser le sys­tème de la façon la plus pré­cise pos­sible afin de mini­mi­ser les risques et d’optimiser à la fois les phases d’ingénierie, d’intégration, de vali­da­tion et plus tard d’exploitation des infra­struc­tures. Ces approches qui ont été ini­tia­le­ment déve­lop­pées pour la fabri­ca­tion de sys­tèmes cri­tiques dans les domaines de l’aéronautique et de la défense sont en train d’irriguer l’ensemble des sec­teurs indus­triels et notam­ment les infra­struc­tures en rai­son d’une aug­men­ta­tion des exi­gences et des fonc­tion­na­li­tés de modu­la­ri­té et de recon­fi­gu­ra­tion de ces der­nières et une pres­sion gran­dis­sante en ce qui concerne le res­pect des délais de livrai­son, la dis­po­ni­bi­li­té des infra­struc­tures et la qua­li­té de ser­vice déli­vrée. Il sera néces­saire de dis­po­ser d’un envi­ron­ne­ment col­la­bo­ra­tif et d’exploiter les tech­no­lo­gies d’intelligence arti­fi­cielle pour amé­lio­rer l’efficacité des phases d’ingénierie des exi­gences, pour le déve­lop­pe­ment de jumeaux numé­riques au niveau sys­tème ain­si que pour des appli­ca­tions d’optimisation des opé­ra­tions et notam­ment la main­te­nance prédictive.

© Ole­na

L’écosystème des environnements digitaux

Le choix de l’écosystème des envi­ron­ne­ments digi­taux qui seront uti­li­sés dans l’industrie du futur sera gui­dé par deux prin­cipes qui sont la conti­nui­té et l’intégrité des don­nées et une approche d’ingénierie sys­tème gui­dée par les modèles. En ce qui concerne les don­nées, il est impor­tant de prendre en compte les archi­tec­tures exis­tantes et le niveau de matu­ri­té digi­tale des indus­triels. En fonc­tion des archi­tec­tures exis­tantes et de l’héritage digi­tal des socié­tés, dif­fé­rentes approches pour­ront être adop­tées. Nous en iden­ti­fions prin­ci­pa­le­ment deux. La pre­mière vise à uti­li­ser les archi­tec­tures de don­nées exis­tantes et pro­po­ser une approche dite « fédé­ra­teurs » de don­nées qui per­met de pou­voir rapi­de­ment obte­nir des résul­tats avec des niveaux de risques et d’investissements modé­rés. Ces approches sont sou­vent pro­po­sées par des start-up dont la flexi­bi­li­té est par construc­tion plus impor­tante que des édi­teurs de pla­te­formes de logiciels.

“L’intelligence artificielle
va permettre d’aborder
la complexité des infra-structures”

Des approches plus intégrées

La seconde approche vise à uti­li­ser des envi­ron­ne­ments inté­grés aux fonc­tion­na­li­tés plus com­plètes mais qui vont néces­si­ter des tra­vaux de migra­tion de don­nées ou d’algorithmes. Ces solu­tions ont été déve­lop­pées dans le domaine de l’automobile, de l’aéronautique et concernent dans un pre­mier temps le sui­vi de confi­gu­ra­tion et de cycle de vie de pro­duits (solu­tion PLM : Pro­duct Life Cycle Mana­ge­ment). Ces pla­te­formes ont été déve­lop­pées et aujourd’hui sont de véri­tables envi­ron­ne­ments inté­grés pour conduire l’ingénierie de sys­tèmes com­plexes. Par­mi ces envi­ron­ne­ments, nous cite­rons la pla­te­forme 3DEXPERIENCE déve­lop­pée par Das­sault Sys­tèmes (www.3ds.com) qui est un des lea­ders mon­diaux dans ce domaine et qui a été un pré­cur­seur dans le domaine de l’industrie du futur.

Tirer parti des connaissances académiques

L’industrie du futur va se tra­duire par des besoins très impor­tants dans le domaine de l’ingénierie sys­tème gui­dée par les modèles et les don­nées. Elle va s’appuyer sur la notion de sys­tèmes cyber­phy­siques et d’environnements big data hété­ro­gènes qui devront garan­tir une conti­nui­té et une inté­gri­té des don­nées res­pec­tant les exi­gences indus­trielles. L’intelligence arti­fi­cielle va per­mettre d’aborder la com­plexi­té des infra­struc­tures à la fois lors des phases de concep­tion, construc­tion, mise en ser­vice et exploi­ta­tion afin de mini­mi­ser les risques de retard, de mal­fa­çon mais éga­le­ment d’optimiser les infra­struc­tures en termes de dis­po­ni­bi­li­té, flexi­bi­li­té et qua­li­té de ser­vice. L’industrie du futur va mobi­li­ser les connais­sances qui ont été déve­lop­pées par le monde aca­dé­mique et qui sont trans­fé­rées dans le monde indus­triel soit via des start-up ou des PME ou encore des grands groupes et exploi­tées par les socié­tés d’ingénierie. La France a des atouts majeurs dans ce sec­teur avec un conti­nuum de grande qua­li­té sur l’ensemble de la chaîne de valeur qui laisse espé­rer un renou­veau indus­triel très dynamique.


Fédérer les données existantes

Par­mi les start-up inté­res­santes pour une approche de fédé­ra­tion des don­nées, nous pou­vons en citer trois : Spi­nal­Com et Azu­re­lope qui pro­posent des solu­tions très ouvertes et inter­opé­rables per­met­tant de pou­voir rapi­de­ment pro­po­ser des solu­tions créa­trices de valeur ; et Saa­gie qui pro­pose une boîte à outils pour déve­lop­per des solu­tions d’intelligence arti­fi­cielle, solu­tion très ouverte per­met­tant de mettre en valeur les don­nées et ain­si très rapi­de­ment pou­voir ana­ly­ser des docu­ments de façon auto­ma­tique ou déve­lop­per des solu­tions de main­te­nance prédictive.


Guider ingénieurs et techniciens à chaque étape de la vie d’un projet

À titre d’exemple pour les phases d’ingénierie, à par­tir des onto­lo­gies et des tech­niques de trai­te­ment du lan­gage, il est pos­sible d’extraire les exi­gences et en uti­li­sant les tech­niques d’apprentissage et notam­ment celle d’apprentissage pro­fond, nous pou­vons construire un sys­tème de ques­tions-réponses qui per­met de les struc­tu­rer et ain­si d’être un outil d’aide pour le déve­lop­pe­ment des archi­tec­tures sys­tèmes fonc­tion­nelles de façon plus robuste. Pour ce qui concerne les phases d’exploitation et de main­te­nance, de la même façon, l’indexation de docu­ments, l’extraction d’informations conte­nues dans les rap­ports d’inspection per­mettent de trou­ver des cor­ré­la­tions et en cou­plant ces infor­ma­tions avec des don­nées « chaudes » pro­ve­nant de cap­teurs, il est pos­sible de détec­ter les ano­ma­lies de façon plus robuste et ain­si mieux modé­li­ser les phé­no­mènes de dégra­da­tions. Au fur et à mesure de la vie de l’infrastructure, les tech­niques d’apprentissage cou­plées aux modèles per­mettent de cal­cu­ler le temps de vie rési­duel des par­ties cri­tiques de l’infrastructure et de pou­voir envi­sa­ger des tech­niques d’optimisation pour amé­lio­rer la dis­po­ni­bi­li­té et sa fiabilité.


Des alternatives spécifiques

D’autres solu­tions existent mais sont davan­tage issues des opé­ra­tions et de la par­tie auto­ma­tion et sont prin­ci­pa­le­ment dédiées à l’exploitation des infra­struc­tures avec l’introduction des fonc­tion­na­li­tés PLM et ingé­nie­rie sys­tème. Les acteurs prin­ci­paux sont Sie­mens avec l’environnement Mind­Sphere, GE Pre­dix, Schnei­der Ave­va et PTC ThingWorx.
Pour com­plé­ter cet éco­sys­tème, il est impor­tant de men­tion­ner les méthodes et les solu­tions qui pro­posent l’ingénierie sys­tème gui­dée par les modèles et la simu­la­tion et la modé­li­sa­tion des sys­tèmes com­plexes. Nous cite­rons la métho­do­lo­gie Arca­dia et l’environnement Capel­la qui est déve­lop­pé par Thales, et pour la simu­la­tion des sys­tèmes com­plexes, deux acteurs nous semblent importants :
le cabi­net de conseil CESAMES et la start-up Cos­mo Tech.

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