Expérimenter pour mieux relever les défis de la transformation industrielle

Dossier : L'industrie du futurMagazine N°741 Janvier 2019
Par Olivier SCALABRE
Par Moundir RACHIDI
Le passage à l’industrie du futur est pour la France une opportunité d’accélérer sa transformation industrielle, à condition de savoir relever les défis induits par cette transformation. L’expérimentation est indispensable pour la comprendre et la maîtriser et c’est ce qui a amené le BCG à ouvrir des centres d’expérimentation.

L’industrie 4.0 se carac­té­rise par l’intégration de nou­velles tech­no­lo­gies au sein des pro­ces­sus de fabri­ca­tion, elle fait vivre une pro­fonde trans­for­ma­tion à nos sites indus­triels, tant sur les lignes de pro­duc­tion que dans les méthodes de mana­ge­ment. Après les robots, c’est au tour des cobots (robots col­la­bo­ra­tifs) d’apparaître dans les usines. Les opé­ra­teurs peuvent alors pro­gram­mer eux-mêmes ces com­pa­gnons de tra­vail qui réa­lisent les tâches les plus simples et libèrent du temps qui sera consa­cré aux tâches à plus forte valeur ajou­tée. Avec les dis­po­si­tifs de réa­li­té aug­men­tée (via des lunettes par exemple), les manuels d’utilisation dis­pa­raissent et les opé­ra­teurs ont un accès immé­diat aux gestes justes et même, dans cer­tains cas, à des experts à dis­tance. L’internet indus­triel per­met quant à lui de connec­ter les dif­fé­rentes tech­no­lo­gies entre elles et en décuple la per­for­mance. Autre exemple, l’accès et l’analyse de don­nées en temps réel per­mettent une meilleure ges­tion de l’énergie, un meilleur contrôle des para­mètres de pro­duc­tion ou la mise en place de pro­gramme de main­te­nance pré­dic­tive. Ce ne sont que quelques exemples de cette vaste transformation.


REPÈRES

Com­pa­rable aux trois pré­cé­dentes révo­lu­tions indus­trielles carac­té­ri­sées par la machine à vapeur, le for­disme puis l’automatisation, l’industrie 4.0 ou indus­trie du futur se déploie dans nos usines depuis plu­sieurs années.


Une productivité et une réactivité fortement accrue

Le déploie­ment des nou­velles tech­no­lo­gies indus­trielles per­met des gains de pro­duc­ti­vi­té de l’ordre de 15 à 25 % sur les coûts de pro­duc­tion hors matières pre­mières et des gains de flexi­bi­li­té de 25 à 40 %. De tels béné­fices sont de nature à remettre en cause les équi­libres éta­blis obser­vés durant des décen­nies : pour­quoi pro­duire loin des pays de consom­ma­tion lorsque les gains de pro­duc­ti­vi­té sont à por­tée de main loca­le­ment ? Pour­quoi pro­duire dans des usines spé­cia­li­sées et de grande taille quand la tech­no­lo­gie per­met doré­na­vant de cap­tu­rer les effets d’expérience de façon dis­tri­buée ? Pour­quoi pro­duire sur stock quand les coûts de chan­ge­ment de lot de pro­duc­tion sont réduits à zéro ? L’industrie 4.0 per­met doré­na­vant de pro­duire loca­le­ment des lots uniques à des coûts équi­va­lents. Le para­digme est ain­si ren­ver­sé, les nou­velles tech­no­lo­gies per­mettent à nos usines de chan­ger d’ère. Ter­mi­nées les usines de grande taille et spé­cia­li­sées par pro­duit. Le fonc­tion­ne­ment en stock laisse place à la pro­duc­tion à la demande, per­met­tant de vendre des pro­duits adap­tés à cha­cun, au plus près du lieu de consommation.

Quatre défis pour les industriels

Avec quels défis ? Afin de cap­tu­rer ces béné­fices sur l’intégralité de la chaîne de valeur, plu­sieurs défis s’imposent aux indus­triels. Il faut en pre­mier sen­si­bi­li­ser les direc­tions et leurs équipes. L’industrie 4.0 demeure mécon­nue : seuls 13 % des diri­geants de PME et ETI consi­dèrent la trans­for­ma­tion digi­tale comme une prio­ri­té stra­té­gique d’après un son­dage réa­li­sé en 2017 par Bpi­france. Ceux-ci doivent deve­nir fami­liers de cette trans­for­ma­tion afin d’en impul­ser l’élan et de mobi­li­ser leurs équipes.

Deuxième défi : déve­lop­per les talents adé­quats. Des pro­fes­sions devien­dront obso­lètes et de nou­veaux savoir-faire – trai­te­ment des don­nées, pro­gram­ma­tion… – seront incon­tour­nables dans l’usine du futur. L’apparition de nou­veaux métiers et de nou­velles com­pé­tences appelle à une tran­si­tion sociale et place la for­ma­tion – des jeunes géné­ra­tions et des actifs – en prio­ri­té stratégique.

Troi­sième défi : accom­pa­gner la tran­si­tion. Un accom­pa­gne­ment orches­tré par des experts du digi­tal et des ques­tions de lean mana­ge­ment consti­tue la condi­tion sine qua non à la réus­site de cette transformation.

Enfin, der­nier défi : mobi­li­ser l’écosystème. L’implication des acteurs indus­triels doit s’accompagner d’un enga­ge­ment de l’écosystème dans son inté­gra­li­té : entre­prises pri­vées, pou­voirs publics, écoles, uni­ver­si­tés, four­nis­seurs de technologies…

“Deux ans après son ouverture,
le centre de 1500 m² a accueilli plus de
3 000 dirigeants industriels venus du monde entier”

L’occasion d’accélérer la transformation industrielle de la France

Si plu­sieurs ini­tia­tives vont dans le bon sens, la dyna­mique de déploie­ment de l’industrie du futur en France reste trop lente. Afin d’infléchir cette ten­dance et de répondre aux défis pré­cé­dem­ment men­tion­nés, le BCG – en par­te­na­riat avec l’Institut Mon­taigne – a publié en sep­tembre 2018 un rap­port pré­co­ni­sant l’ouverture de centres d’accélération de l’industrie du futur sur l’ensemble du ter­ri­toire fran­çais. Au nombre de 15 à 20, ces centres maillant filières indus­trielles et ter­ri­toires per­met­tront de mettre en rela­tion l’intégralité de l’écosystème pou­vant concou­rir au déve­lop­pe­ment de ces nou­velles tech­no­lo­gies. Dès lors, four­nis­seurs de tech­no­lo­gies, start-up, uni­ver­si­tés, écoles, entre­prises de conseil mais aus­si orga­nismes de finan­ce­ment per­met­tront d’impulser la dyna­mique sous la gou­ver­nance d’industriels et en étroite rela­tion avec les régions. En rem­plis­sant trois objec­tifs – encou­ra­ger l’innovation, per­mettre la for­ma­tion et pro­po­ser un accom­pa­gne­ment aux PME et ETI – ces centres doivent aider la France à faire face à la vélo­ci­té de nos concur­rents étran­gers et à renouer avec sa tra­di­tion manufacturière.

Briques tech­no­lo­giques de l’industrie du futur.

L’ICO, centre d’expérimentation de l’industrie du futur à Saclay

Afin d’accompagner et de sen­si­bi­li­ser l’intégralité de l’écosystème indus­triel, le BCG a ouvert en sep­tembre 2016 l’Inno­va­tion Cen­ter for Ope­ra­tions (ICO). Un concept inno­vant et pion­nier ! Implan­tée sur le pla­teau de Saclay, cette usine pilote dis­pose de deux lignes de pro­duc­tion gran­deur nature : une ligne pro­dui­sant en même temps des scoo­ters élec­triques et des sèche-linges, la seconde pro­dui­sant des bon­bons. Qu’il s’agisse de pro­blé­ma­tiques tou­chant aux indus­tries de pro­cess (sol­li­ci­tant for­te­ment les équi­pe­ments) ou d’assemblage (sol­li­ci­tant plus for­te­ment les employés sur les lignes de pro­duc­tion), le centre per­met d’étudier très concrè­te­ment l’impact des nou­velles tech­no­lo­gies sur la per­for­mance des opé­ra­tions (coût de pro­duc­tion, pro­duc­ti­vi­té, consom­ma­tion éner­gé­tique…). La palette de tech­no­lo­gies implé­men­tées est large : robots et machines col­la­bo­ra­tives, fabri­ca­tion addi­tive, réa­li­té aug­men­tée, big data et solu­tions ana­ly­tiques, intel­li­gence arti­fi­cielle, inté­gra­tion digi­tale, cyber­sé­cu­ri­té et blo­ck­chain. Sur la chaîne de scoo­ters, les roues pesant plus de quinze kilos sont gui­dées par des cobots (robots col­la­bo­ra­tifs). Ceux-ci aident les opé­ra­teurs et amé­liorent leur ergo­no­mie. La charge cog­ni­tive est quant à elle opti­mi­sée lors de l’assemblage du comp­teur. Celui-ci est en effet assis­té par la réa­li­té vir­tuelle, ce qui per­met une réduc­tion par deux du temps d’assemblage. Sur la ligne de bon­bons, les cap­teurs nou­velle géné­ra­tion per­mettent de mesu­rer en temps réel une mul­ti­tude de don­nées (tem­pé­ra­ture, vitesse de pro­duc­tion…). Celles-ci sont trans­mises aux opé­ra­teurs grâce à des tablettes. Grâce à l’intelligence arti­fi­cielle (IA), leur ana­lyse rend pos­sible la détec­tion d’anomalies. Ces exemples per­mettent de déve­lop­per de nom­breux cas d’usage et font de l’ICO une struc­ture appre­nante dont la pro­duc­ti­vi­té et la per­for­mance s’améliorent en permanence.

Au-delà de sélec­tion­ner les bonnes tech­no­lo­gies, l’usine-école du BCG per­met d’appréhender concrè­te­ment leur inté­gra­tion entre elles, les contraintes liées à leur mise en place et les moda­li­tés d’exécution rapide pour amé­lio­rer les per­for­mances indus­trielles de manière mas­sive et pérenne. Les solu­tions sont inté­grées à des machines de dif­fé­rentes marques, anciennes comme récentes. Elles reflètent la réa­li­té et la com­plexi­té d’un site de production.

Loin de se can­ton­ner à ces lignes de pro­duc­tion, l’ICO dis­pose d’un espace dédié à la sup­ply chain et aux ser­vices 4.0. On découvre alors l’impact de la tech­no­lo­gie sur les fonc­tions dites back et middle office (ges­tion admi­nis­tra­tive et comp­table, res­sources humaines, pro­cu­re­ment, etc.). Les solu­tions pré­sen­tées per­mettent dans ce cas d’automatiser des pro­ces­sus intel­lec­tuels grâce au RPA (Robo­tic Pro­cess Auto­ma­tion) et à l’IA.

Afin de garan­tir une expé­rience com­plète et immer­sive, l’ICO anime un éco­sys­tème inno­vant qui accueille à la fois des acteurs aca­dé­miques – comme Cen­tra­le­Su­pé­lec – mais aus­si des start-up tech­no­lo­giques comme Brain­cube, Sury­cat, iObeya, Metron, Dio­ta, Meso­tech­nic et des groupes inter­na­tio­naux spé­cia­li­sés comme Kuka, Infeeny|Econocom, Fanuc, Uni­ver­sal Robots ou Tulip. De grands indus­triels – tels que Das­sault Sys­tèmes ou Micro­soft – sont éga­le­ment impli­qués depuis la genèse du projet.

La mise en place de ces tech­no­lo­gies modi­fie­ra l’environnement de tra­vail en le ren­dant para­doxa­le­ment plus enri­chis­sant, plus humain et beau­coup plus évo­lu­tif. Le centre sou­ligne en ce sens l’importance de l’humain dans cette tran­si­tion : la tech­no­lo­gie est un levier qui ne pour­ra être acti­vé sans la mobi­li­sa­tion et l’engagement des équipes.

Deux ans après son ouver­ture, le centre de 1 500 m² a accueilli plus de 3 000 diri­geants indus­triels venus du monde entier. Le BCG a éga­le­ment déve­lop­pé le réseau ICO : des centres simi­laires ont ouvert en Alle­magne, au Bré­sil, aux États-Unis ain­si qu’à Sin­ga­pour. Sou­vent qua­li­fiés d’accélérateurs de réflexion par les visi­teurs, ceux-ci per­mettent de démys­ti­fier l’industrie 4.0 en ren­dant pal­pables les enjeux qui l’accompagnent. Les experts de l’ICO per­mettent aux entre­prises et à leurs diri­geants de pré­pa­rer au mieux la trans­for­ma­tion digi­tale de leur site à grande échelle. Une nou­velle adresse fran­çaise – dédiée à l’industrie phar­ma­ceu­tique à Stras­bourg – étof­fe­ra le réseau en 2019 !


Relocalisations

Le manu­fac­tu­ring 4.0 des­sine donc une nou­velle géo­po­li­tique indus­trielle : les usines quittent peu à peu les pays émer­gents pour rejoindre nos pays matures sous un for­mat plus réduit, plus agile et plus écologique. 

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