Corinne Grillet-Serrano (93), Tout schuss !

Dossier : TrajectoiresMagazine N°740 Décembre 2018
Par Pierre LASZLO

La boule au ventre, se lan­cer dans le vide, ins­crire sa trace au plus pres­sé sur l’étendue blanche, la piste pour lui don­ner son nom. Corinne Grillet, cham­pionne de France en 1987, est res­tée fidèle au ski de des­cente, dans l’audace, la curio­si­té de nou­veaux domaines à décou­vrir, et le jouir de s’éclater dans l’expression. Ses qua­li­tés pro­fes­sion­nelles, outre celles d’une poly­tech­ni­cienne, témoignent de la grande skieuse qu’elle fut : agi­li­té, agres­si­vi­té, rapi­di­té, exac­ti­tude du parcours.

De l’Ariège à l’océan Indien et à l’Asie…

Elle tient d’une famille, d’origines ita­liennes, anda­louses et andor­ranes, pas­sée par l’Algérie, bal­lot­tée dans les sou­bre­sauts de l’Histoire, la volon­té de s’accrocher. Ses parents y étaient ensei­gnants de col­lège, son enfance fut arié­geoise, à Pamiers. De là, ce furent Pierre-de-Fer­mat, à Tou­louse, et l’intégration à l’École en 32.

Son ser­vice mili­taire lui fut un très grand moment, « une expé­rience mémo­rable, très enri­chis­sante ». Après l’instruction à La Cour­tine, puis à Brest (École navale), elle fit son ser­vice une dizaine de mois durant, dans la Marine natio­nale : à bord du Var, un bateau de com­man­de­ment avec un ami­ral et son état-major ; en ser­vice depuis 1983, avec un équi­page — une équipe sou­dée — de dix offi­ciers, 100 offi­ciers mari­niers, 50 quar­tiers-maîtres et mate­lots (mais « trois filles seule­ment »). Ils sillon­nèrent l’océan Indien : Dji­bou­ti, Jor­da­nie, Égypte, Kenya, Mada­gas­car, Sey­chelles, île Mau­rice, Afrique du Sud, juste après la fin de l’apartheid. Ce fut très varié, « une palette de cou­leurs », d’une grosse tem­pête affron­tée au cap de Bonne-Espé­rance à la repré­sen­ta­tion diplo­ma­tique de notre pays au Pakis­tan. Peut-être sur­tout l’impressionnante cha­leur humaine des Afri­cains, vivant sou­vent dans des condi­tions extrêmes, voire misérables.

Après l’X, son école d’application fut l’Ensae, où elle conti­nua de res­sen­tir l’appel de la finance. Elle com­mence sa car­rière à Paris et à Londres. Puis, basée à Hong Kong, res­pon­sable de la région Asie-Paci­fique, elle tra­vailla une bonne dizaine d’années pour la socié­té Sophis. « Ce fut très inté­res­sant, intel­lec­tuel­le­ment et indus­triel­le­ment » : elle per­çut la grande diver­si­té des cultures, les enjeux géo­po­li­tiques aussi.

“Se donner constamment
des critères plus stricts pour soi-même
que pour ses équipes”

… jusqu’au cloud

Depuis août 2105, elle tra­vaille à San Fran­cis­co pour Calyp­so Tech­no­lo­gy, socié­té amé­ri­caine mais elle aus­si fon­dée ini­tia­le­ment en France : cette firme pro­pose des logi­ciels d’entreprise et des micro­ser­vices dans le cloud pour la ges­tion d’actifs, le col­la­té­ral, les liqui­di­tés, le clea­ring et le post-trade pro­ces­sing, et sim­pli­fient la confor­mi­té régle­men­taire avec une empreinte infor­ma­tique minime. C’est une indus­trie en pleine tran­si­tion : les ins­ti­tu­tions finan­cières, banques cen­trales et grandes banques, ges­tion­naires d’actifs et chambres de com­pen­sa­tion, adoptent de plus en plus des stra­té­gies cloud pour réduire les coûts et accé­lé­rer la confor­mi­té régle­men­taire. Calyp­so per­met à un large éven­tail de ces ins­ti­tu­tions de ras­sem­bler des acti­vi­tés diverses sur une seule pla­te­forme, de nor­ma­li­ser les flux, de réa­li­ser des éco­no­mies d’échelle et de se don­ner une trans­pa­rence glo­bale pour le tra­ding et le risque.

Avec son mari et leurs trois enfants, dont une petite der­nière, une pré­ma­tu­rée née moins que minus­cule, elle vit à Mill Val­ley, Marin Coun­ty, en un site splen­dide, ados­sé à Muir Woods, avec de très belles échap­pées sur la baie de San Fran­cis­co. Elle prend l’autobus, ou, plus spor­ti­ve­ment, son vélo et le bateau pour aller à son bureau.

Je résume : elle est extrê­me­ment com­pé­ti­tive, excelle en exé­cu­tion de mis­sions dif­fi­ciles, se donne constam­ment des cri­tères plus stricts pour elle-même que pour ses équipes, foca­lise sa puis­sance de tra­vail vers l’objectif. Ce qui n’est pas encore l’essentiel. Serait-ce ses valeurs éthiques et morales, patentes ?

À mon sens, ce qui domine dans son per­son­nage et que j’eus la chance de res­sen­tir, est un talent, si magis­tral qu’il en est presque bou­le­ver­sant, pour lier ami­tié, durablement.


RETOUCHE

article mis à jour le 18 juin 2020

Corinne Grillet (93) a quit­té Calyp­so Tech­no­lo­gy pour le poste de Chief Reve­nue Offi­cer chez xBrain. Spé­cia­liste du trai­te­ment du lan­gage natu­rel, cette start-up fran­çaise, fon­dée par Gré­go­ry Renard, ins­tal­lée à Men­lo Park dans la Sili­con Val­ley, se fait édi­teur de logi­ciels en pro­po­sant une pla­te­forme d’agents aug­men­tés d’une intel­li­gence arti­fi­cielle conver­sa­tion­nelle autoap­pre­nante. Depuis octobre 2019, elle est deve­nue CEO d’Alygne Inc. Corinne Grillet conti­nue d’habiter la Bay Area.

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