Sequantis

Dérèglement climatique le stress-test climatique, un outil de mesure et d’anticipation

Dossier : Supplément : Fintech & croissanceMagazine N°785 Mai 2023
Par Himadou ALOU

Hima­dou Alou, Head of Public Affairs & Regu­la­tions au sein de Sequan­tis, revient sur les risques que pose le dérè­gle­ment cli­ma­tique sur le sys­tème finan­cier et décrypte pour nous les pistes afin de mieux anti­ci­per et mesu­rer ces risques potentiels.

Quels risques représente le changement climatique pour le système financier ?

Une banque est expo­sée via son por­te­feuille de cré­dit (finan­ce­ments aux par­ti­cu­liers et aux entre­prises). En effet, le por­te­feuille de tra­ding, à court terme, peut être débou­clé rapi­de­ment, contrai­re­ment aux prêts long terme por­tés jusqu’à maturité.
Une socié­té d’assurance peut être expo­sée simul­ta­né­ment au tra­vers de son actif (dimi­nu­tion des réserves) et son pas­sif (aug­men­ta­tion des dom­mages), c’est-à-dire assu­rer un actif contre un aléa cli­ma­tique (inon­da­tion, …) et inves­tir dans des entre­prises sou­mises au risque climatique.

Les régu­la­teurs sont extrê­me­ment atten­tifs à ces risques sys­té­miques, et pro­cèdent depuis 2019 à une série d’exercices pilotes pour les quan­ti­fier. Ces risques sont décom­po­sés en deux caté­go­ries : le risque de tran­si­tion et le risque physique.

Pouvez-vous détailler les risques de transition et physique ? Comment ces deux risques sont-ils liés ?

Le risque de tran­si­tion est lié à la trans­for­ma­tion de nos socié­tés vers des éco­no­mies décarbonées.

Cette migra­tion vers des éco­no­mies bas car­bone peut avoir plu­sieurs ori­gines :la mise en place de poli­tiques de réduc­tion des émis­sions de GES de la part des États (mise en place de taxes car­bone, de normes…). Dans le cadre des dif­fé­rentes COP orga­ni­sées par les Nations Unies, les États doivent s’engager sur des réduc­tions de leurs émis­sions de GES ; des inno­va­tions tech­no­lo­giques ren­dant caduc cer­tains pro­ces­sus de pro­duc­tions exis­tants ; le chan­ge­ment dans les pré­fé­rences des consom­ma­teurs, qui délais­se­raient cer­tains pro­duits jugés trop nui­sibles du fait de leurs empreintes car­bones. Le trans­port aérien en est un exemple, avec le Flyg­skam né dans les pays scan­di­naves ; des pro­cès pour non prise en compte du risque climatique.

« La relation entre le risque de transition et le risque physique est intuitive : le plus tôt nous agissons pour réduire nos émissions de GES, donc générons un risque de transition élevé, le plus nous réduisons le risque physique. »

L’actualité récente a notam­ment mis en lumière que les Majors pétro­lières étaient au cou­rant depuis les années 1970 de l’impact de leurs acti­vi­tés sur le climat.
Lut­ter contre le chan­ge­ment cli­ma­tique implique donc une tran­si­tion de nos socié­tés vers un monde bas car­bone (et plus géné­ra­le­ment uti­li­sant moins de pes­ti­cides, de plas­tiques…), et expose de larges pans de l’économie à un risque de transition.
La rela­tion entre le risque de tran­si­tion et le risque phy­sique est intui­tive : le plus tôt nous agis­sons pour réduire nos émis­sions de GES, donc géné­rons un risque de tran­si­tion éle­vé, le plus nous rédui­sons le risque physique.

Le risque phy­sique peut être de deux natures :

  • les phé­no­mènes météo­ro­lo­giques sou­dains et vio­lents, tels que cyclones, inon­da­tions, séche­resses, vont voir leur inten­si­té et fré­quence aug­men­tées. On parle ici de risque aigu ;
  • Le chan­ge­ment cli­ma­tique va avoir des effets de long terme, notam­ment une trans­for­ma­tion gra­duelle des habi­tats – mon­tée de la mer, déser­ti­fi­ca­tion, séche­resses… – ren­dant cer­taines zones inha­bi­tables, ou impropres à la pro­duc­tion agri­cole par exemple. Il s’agit du risque chronique.

Les risques phy­siques ne sont pas indé­pen­dants, par exemple l’effet d’une inon­da­tion est démul­ti­plié après une sécheresse.

De quels outils disposent les entreprises pour y faire face ?

Le GIEC pro­duit un consen­sus scien­ti­fique condui­sant à plu­sieurs scé­na­rios RCP1 – tra­jec­toire car­bone, donc hausse de la tem­pé­ra­ture – cou­plé à des scé­na­rios SSP2 – chan­ge­ments socio-éco­no­miques (démo­gra­phie, crois­sance du PIB…). Plu­sieurs com­bi­nai­sons RCP / SSP sont pos­sibles, toutes ne sont pas applicables.

À par­tir des tra­vaux du GIEC, plu­sieurs tra­vaux sont menés, notam­ment ceux du NGFS, regrou­pant 65 banques cen­trales. Le NGFS trans­forme les scé­na­rios du GIEC en scé­na­rios de tran­si­tion et physique.
Au final les régu­la­teurs des orga­nismes pri­vés construisent des modèles appli­cables pour quan­ti­fier les risques finan­ciers sur ces scé­na­rios de tran­si­tion et physique.

Ces modèles sont aujourd’hui appli­cables, sous forme d’exercices pilotes, par les banques, les assu­rances et les fonds de pen­sion. Et ces exer­cices peuvent mettre en lumière un très faible niveau de pré­pa­ra­tion du sec­teur finan­cier à faire face à ces nou­veaux risques, comme l’a mon­tré le récent exer­cice mené par l’EIOPA auprès des fonds de pensions3. Cet exer­cice porte sur un risque de tran­si­tion désor­don­née, c’est-à-dire l’introduction tar­dive de poli­tiques cli­ma­tiques contrai­gnantes. Il se tra­duit par une hausse sou­daine et impor­tante du coût du car­bone, obli­geant les acteurs éco­no­miques à s’adapter bru­ta­le­ment. Dans cet exer­cice, la valeur des inves­tis­se­ments des fonds de retraites pour­raient bais­ser de près de 13 %, soit 255 Mil­liards d’euros.

Mais ces outils font éga­le­ment sens pour les « Cor­po­rates » qui sou­haitent com­prendre les impacts, et mesu­rer les chan­ge­ments ou trans­for­ma­tions de busi­ness model qui s’imposent à eux, ain­si que les risques phy­siques liés à leurs implantations.

1 Repre­sen­ta­tive Concen­tra­tion Pathways
2 Sha­red Socia-eco­no­mic pathways
3 https://www.eiopa.europa.eu/sites/default/files/financial_stability/occupational_pensions_stress_test/2022/report_-_iorp_stress_test_2022.pdf


Changement climatique, limites planétaires et impacts sur les entreprises

Il existe un fort consen­sus scien­ti­fique pour impu­ter le chan­ge­ment cli­ma­tique à l’activité humaine. Ce chan­ge­ment trouve son ori­gine dans la concen­tra­tion de Gaz à Effet de Serre (GES) dans l’atmosphère. Dans son der­nier rap­port, le GIEC a esti­mé à 300 giga tonnes équi­valent CO2 le bud­get car­bone dis­po­nible si nous vou­lons limi­ter la hausse des tem­pé­ra­tures à 1.5°. Sachant que nous émet­tons envi­ron 36 giga tonnes par an, il nous reste moins de 10 ans pour agir et atteindre les objec­tifs de l’accord de Paris.
Le risque cli­ma­tique fait par­tie des limites pla­né­taires dépas­sées, au même titre que la bio­di­ver­si­té, les engrais azo­tés et phos­pha­tés, les micro­plas­tiques,… D’ailleurs le risque cli­ma­tique n’est pas le plus impor­tant selon les scientifiques.
Les entre­prises peuvent agir sur deux axes dif­fé­rents, l’adaptation et l’atténuation.

L’adaptation consiste à se pré­pa­rer aux consé­quences du chan­ge­ment cli­ma­tique, par exemple démé­na­ger une usine située dans une zone sou­mise au risque de sub­mer­sion marine. L’adaptation est une forme de réponse au risque physique.
L’atténuation consiste à agir pour réduire ses émis­sions de GES – spon­ta­né­ment, ou sous la contrainte des auto­ri­tés publiques. Pour les entre­prises à forte émis­sion, l’atténuation est syno­nyme de trans­for­ma­tion de leur busi­ness model (opti­mi­sa­tion des pro­ces­sus, aug­men­ta­tion de l’efficacité éner­gé­tique, …), voire dans un cas extrême, un aban­don de plu­sieurs activités.
Quant au sys­tème finan­cier, il est sou­mis à un risque d’instabilité – déte­nir des pro­duits dont la valeur peut for­te­ment bais­ser, voire tendre vers zéro (stran­ded asset). Ce risque est sys­té­mique pour le sys­tème finan­cier, par­ti­cu­liè­re­ment pour les banques et les assurances.

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