Démocratiser le recours à la propulsion hybride pour l’accès à l’orbite

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°784 Avril 2023
Par Alexandre MANGEOT
Par Jean-Philippe DUFOUR (X95)

HyPr Space ambi­tionne de révo­lu­tion­ner le monde du spa­tial avec son inno­va­tion de rup­ture visant à per­mettre d’utiliser la pro­pul­sion hybride pour réduire les coûts d’accès à l’orbite. Expli­ca­tions d’Alexandre Man­geot, Pré­sident et direc­teur tech­nique de HyPr Space, et de Jean-Phi­lippe Dufour (X95), direc­teur des programmes.

Quelle a été la genèse de la start-up ?

Alexandre Man­geot : À l’origine de ce pro­jet, il y a tout d’abord ma pas­sion pour l’univers spa­tial. J’ai fait ma thèse de doc­to­rat sur le sujet de la pro­pul­sion hybride entre 2009 et 2012. Cette thèse de doc­to­rat m’a don­né une exper­tise scien­ti­fique sur le sujet. Avant de me lan­cer dans cette aven­ture entre­pre­neu­riale, j’ai conti­nué à tra­vailler et à affi­ner cette inno­va­tion que je vou­lais appor­ter au sec­teur de la pro­pul­sion hybride. J’ai ain­si effec­ti­ve­ment créé la socié­té en 2019 avec mes cofon­da­teurs, Syl­vain Bataillard, Vincent Rocher, et Alexis Azou­lay, qui depuis a quit­té la société.

Votre ambition est donc de lever les verrous technologiques de la propulsion hybride dans le domaine du spatial, et plus particulièrement en matière d’accès à l’orbite. Quelles sont les pistes technologiques que vous explorez ?

A.M : Le fonc­tion­ne­ment de la pro­pul­sion hybride dans une archi­tec­ture clas­sique implique l’utilisation d’un oxy­dant à l’état liquide qui est injec­té dans une chambre de com­bus­tion qui contient le car­bu­rant à l’état solide. Si le prin­cipe fonc­tionne rela­ti­ve­ment bien sur des moteurs à petite échelle, l’efficacité de la com­bus­tion n’est pas suf­fi­sante avec des moteurs de forte puissance.

Jean-Phi­lippe Dufour : En matière de pro­pul­sion hybride, nous sommes donc confron­tés à un frein tech­no­lo­gique rela­tif au pas­sage à l’échelle sur de gros moteurs. Pour lever ce ver­rou, nous appor­tons un nou­veau concept d’architecture de moteur à pro­pul­sion hybride en rup­ture par rap­port aux archi­tec­tures clas­siques. Nous avons, en effet, opté pour une approche géo­mé­trique qui consiste à inté­grer le réser­voir d’oxydant au milieu du moteur. Parce qu’il s’agit d’une inno­va­tion archi­tec­tu­rale, notre tech­no­lo­gie peut donc être uti­li­sée avec tous les types de car­bu­rants et d’oxydants. Dans nos déve­lop­pe­ments, une de nos prio­ri­tés est de miser sur la sim­pli­ci­té, afin d’une part, de réduire les coûts et, d’autre part, de déve­lop­per, de pro­duire et d’opérer nos moteurs plus rapidement.

Dans cette démarche, quels sont vos principaux enjeux ?

A.M : Le pre­mier enjeu est de démon­trer la fia­bi­li­té et la via­bi­li­té de la pro­pul­sion hybride. Dans ce cadre, se pose la ques­tion de la matu­ri­té de notre inno­va­tion. Il nous faut démon­trer des hauts niveaux de maî­trise des phé­no­mènes de com­bus­tion, du fonc­tion­ne­ment du moteur, de la com­bus­tion dans un moteur à pro­pul­sion hybride qu’il est, par ailleurs, dif­fi­cile de modé­li­ser via la simu­la­tion numé­rique. Pour rele­ver ce défi, nous avons donc pri­vi­lé­gié une approche très expé­ri­men­tale, avec des démons­tra­teurs, qui nous conforte dans nos pro­jec­tions et nos ambi­tions en matière de pas­sage à l’échelle. En paral­lèle, l’innovation et le déve­lop­pe­ment de tech­no­lo­gie de rup­ture sont des acti­vi­tés for­te­ment inten­sives en capi­tal et en financement.

« Le premier enjeu est de démontrer la fiabilité et la viabilité de la propulsion hybride. »

Nous avons donc aus­si un fort enjeu de finan­ce­ment dans un contexte où il y a tou­te­fois une véri­table prise de conscience des enjeux du New Space, ain­si que d’importants efforts réa­li­sés par la puis­sance publique avec notam­ment le volet spa­tial du Plan France 2030. D’ailleurs, nous visons une levée de fonds de série A cette année (entre 10 et 15 mil­lions pour pour­suivre notre déve­lop­pe­ment). Enfin, pour déployer notre feuille de route très ambi­tieuse, nous avons un fort enjeu humain et d’attraction des talents, aus­si bien des per­sonnes ayant une expé­rience dans le monde du spa­tial que des jeunes diplô­més pas­sion­nés par l’aventure spa­tiale, à l’instar des cofon­da­teurs ! Aujourd’hui, nous sommes une ving­taine de per­sonnes. Début 2022, nous n’étions que 5 ! Nous visons une équipe de 60 per­sonnes dans un an. Avis aux intéressés !

Où en êtes-vous aujourd’hui ? Quelles sont les prochaines étapes ?

J‑P.D : Nous pré­pa­rons la cam­pagne d’essai de notre troi­sième démons­tra­teur à l’échelle réduite à 120, tou­jours dans une logique de mon­tée en matu­ri­té pro­gres­sive. Nous tra­vaillons en même temps à la pro­chaine étape,notre démons­tra­teur à l’échelle 1, que nous sommes en train de déve­lop­per et qui sera repré­sen­ta­tif du moteur des­ti­né à pro­pul­ser un petit lan­ceur spa­tial. En paral­lèle, nous fai­sons par­tie des deux pre­miers lau­réats de l’appel à pro­jets mini et micro-lan­ceur du Plan France 2030. Dans ce cadre, nous sommes en train de mener les études de concep­tion d’un micro-lan­ceur basé sur notre moteur, avant de pas­ser à l’étape de déve­lop­pe­ment. Après toutes les phases de déve­lop­pe­ment et d’essai, le prin­ci­pal jalon sera le pre­mier vol de ce micro-lan­ceur qui sera des­ti­né à la mise en orbite de petits satellites.

Et pour conclure ?

J‑P.D : Aujourd’hui, l’immense majo­ri­té des acteurs des micro-lan­ceurs s’appuie sur un même modèle tech­no­lo­gique et indus­triel : l’appel à la pro­pul­sion liquide. C’est une filière établie,mise en œuvre essen­tiel­le­ment sur de gros lan­ceurs aujourd’hui, certes per­for­mante mais com­plexe et oné­reuse. Notre tech­no­lo­gie, de par sa sim­pli­ci­té, offre des pers­pec­tives en termes de réduc­tion des coûts et de rapi­di­té de pro­duc­tion et de mise en œuvre, des carac­té­ris­tiques qui répondent aux prin­ci­pales attentes du mar­ché des micro-lan­ceurs. Les micro-lan­ceurs repré­sentent donc un pre­mier cas d’usage natu­rel pour notre tech­no­lo­gie, qui a néan­moins un poten­tiel d’application bien plus vaste, dans le domaine du trans­port spa­tial mais aus­si au-delà – nous y réflé­chis­sons d’ailleurs déjà.

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