Bataille de Buzenval

Trois polytechniciens de la bataille de Buzenval ont leur rue à Rueil

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°783 Mars 2023
Par Jacques-André LESNARD

Outre le géné­ral de Miri­bel, dont la car­rière a déjà été évo­quée dans nos colonnes, trois poly­tech­ni­ciens de la guerre de 70 ont don­né leurs noms à des rues de Rueil. Voi­ci donc le rap­pel de leur mémoire, qui nous pro­jette dans un monde à la fois si loin­tain et si proche.

Domi­ci­lié à Rueil-Mal­mai­son depuis qua­rante ans et habi­tant à proxi­mi­té du quar­tier de Buzen­val de cette grande com­mune alto­sé­qua­naise (en super­fi­cie) abri­tant plus de 90 000 habi­tants désor­mais, je n’ai pas man­qué lors des dis­po­ni­bi­li­tés induites par les confi­ne­ments suc­ces­sifs de me pen­cher sur l’histoire des com­bats de Buzen­val les 21 octobre 1870 et 19 jan­vier 1871, res­pec­ti­ve­ment la deuxième et la sixième, et der­nière ten­ta­tive de sor­tie en force des mili­taires assié­gés dans Paris, encer­clé par les Prus­siens pri­vi­lé­giant l’usure et le manque de ravi­taille­ment à un assaut de vive force. Les céré­mo­nies pré­vues pour le cent cin­quan­te­naire de ces évé­ne­ments ont été au demeu­rant fort dis­crètes, en rai­son de la pandémie. 

J’y étais d’autant plus enclin que la com­mune de Rueil a – tar­di­ve­ment – don­né à plus d’une dizaine de rues le nom et le grade d’un héros dans ces com­bats san­glants qui ont vu la par­ti­ci­pa­tion de poly­tech­ni­ciens, puisque au XIXe siècle l’École four­nis­sait de gros contin­gents d’officiers des armes savantes de l’Artillerie et du Génie. La livrai­son de La Jaune et la Rouge numé­ro n° 770, rubrique His­to­riX, a déjà per­mis de men­tion­ner l’action de Joseph de Miri­bel com­man­dant d’artillerie. Il sera colo­nel et devien­dra par trois fois chef d’état-major de l’Armée. La voie qui relie la route de l’Empereur (entre Saint-Cloud et le châ­teau de Mal­mai­son) au bois de Saint-Cucu­fa se nomme rue du Géné­ral-de-Miri­bel (anté­rieu­re­ment rue des Longs Boyaux, ce qui est moins rele­vé…). Trois autres X par­tagent ce pri­vi­lège ruel­lois d’une mémoire toponymique. 

Paul Nismes (X1854)

Selon la magis­trale repré­sen­ta­tion ci-jointe du peintre Alphonse de Neu­ville, la porte à claire-voie de Long­boyau, à Rueil, don­nait accès au bois de Saint-Cucu­fa, qui était maî­tri­sé par les Prus­siens. Le 21 octobre 1871, une bat­te­rie de quatre pièces mobiles pré­po­si­tion­nées était com­man­dée, sous les ordres du com­man­dant Joseph de Miri­bel, par le capi­taine Nismes (Paul Arthur), né dans le Lot-et-Garonne en juillet 1834 et entré à l’X vingt ans plus tard, optant à la sor­tie pour l’école d’artillerie alors sise à Vincennes. 

Il avait par­ti­ci­pé à la brève cam­pagne d’Italie en 1859, puis à la fin de l’expédition du Mexique entre octobre 1865 et avril 1867, y étant pro­mu che­va­lier de la Légion d’honneur le 1er février. De tem­pé­ra­ment incli­nant à la tech­nique, il avait été affec­té, hors corps de troupe, dans des éta­blis­se­ments d’armement, à la Manu­fac­ture d’armes de Châ­tel­le­rault et à la pou­dre­rie du Bou­chet (dans l’Essonne, char­gée alors d’expérimentations pour l’artillerie, alors que les Poudres et Sal­pêtres dépen­daient à l’époque du minis­tère des Finances).

« Son comportement à la porte de Longboyau fut héroïque. »

Son com­por­te­ment à la porte de Long­boyau fut héroïque : il char­gea à la baïon­nette après avoir per­du deux canons et tous ses che­vaux, pour repous­ser com­plè­te­ment une com­pa­gnie prus­sienne, puis rame­na ses der­niers hommes sur­vi­vants après l’épuisement de ses muni­tions. Il sera pro­mu chef d’escadrons pour cet exploit dès le 8 décembre sui­vant, d’où le grade rete­nu pour la rue du Com­man­dant-Nismes bap­ti­sée tar­di­ve­ment en sa mémoire par la muni­ci­pa­li­té de Rueil-Mal­mai­son, en 1965. 

Sous la IIIe Répu­blique, il pour­sui­vra une brillante car­rière, un peu com­pa­rable à celle de Miri­bel, mais un demi-ton en des­sous : lieu­te­nant-colo­nel en 1876 après avoir diri­gé l’établissement du Havre, pro­mu colo­nel en 1880 à la tête du 6e régi­ment d’artillerie, il devient offi­cier géné­ral le 20 mai 1885, com­man­dant la 19e bri­gade d’artillerie. Il fera cam­pagne en Annam et au Ton­kin entre avril 1887 et sep­tembre 1888, puis devien­dra divi­sion­naire en avril 1890. Il entre au comi­té tech­nique du Génie et à celui de l’Artillerie, dont il prend la pré­si­dence en 1895.

Pro­mu grand offi­cier de la Légion d’honneur, il reçoit la plaque sur le front des troupes l’année sui­vante, des mains du géné­ral Charles Peau­cel­lier (1832−1919, X1850), son col­lègue alors pré­sident du comi­té tech­nique du Génie et spé­cia­liste recon­nu en méca­nique, notam­ment pour le pro­cé­dé per­met­tant de pas­ser d’une force linéaire à une force cir­cu­laire et vice ver­sa. Le dis­po­si­tif de Peau­cel­lier-Lip­kin (nom d’un Lithua­nien arri­vé paral­lè­le­ment à la même inven­tion), est appli­qué en pre­mier dans les loco­mo­tives à vapeur. Le géné­ral Nismes décède en mai 1912 à Asnières.

Gustave Lambert (X1843)

Lam­bert (Marie Joseph Gus­tave Adolphe), né à Pont-de-Veyle (Ain) le 1er juillet 1824, pré­sente cette carac­té­ris­tique d’être entré à Poly­tech­nique en 1843 mais de n’en être pas sor­ti, car l’élève fut exclu « pour indis­ci­pline ». À l’inverse du fils de Simon Ber­nard, radié par son ministre de la Guerre de père (cf. La Jaune et la Rouge n° 759, rubrique His­to­riX), il ne reten­te­ra pas le concours d’entrée. Comp­tons-le tout de même comme ancien élève ! 

Il devient pro­fes­seur de mathé­ma­tiques à Fécamp et se révèle un répu­bli­cain ardent dans les der­niers temps de la monar­chie de Juillet. Il s’implique ensuite dans la marine mar­chande comme hydro­graphe répu­té, ins­tal­lé à Brest pen­dant vingt ans. Dans les années 1860, il dresse une carte du détroit de Béring néces­si­tant plu­sieurs expé­di­tions. Il y est même blo­qué un temps en 1865, ce qui lui donne une cer­taine noto­rié­té dans l’opinion publique. Il envi­sage alors de se rendre au pôle Nord, cher­chant par un appel à la géné­ro­si­té publique, avec au rang des sous­crip­teurs l’Empereur en per­sonne, à ache­ter et à gréer un navire adé­quat qu’il bap­tise Boréal, lorsque éclate la guerre avec la Prusse.

« Il envisage de se rendre au pôle Nord lorsque éclate la guerre avec la Prusse. »

Après le 4 sep­tembre, il devient capi­taine du 85e bataillon de la Garde natio­nale, puis res­pon­sable des vété­rans parisiens.

Il s’engage comme simple sol­dat au 119e de ligne le 18 décembre, pour brillam­ment par­ti­ci­per dès le len­de­main 19 au com­bat du Bour­get. Capo­ral sur le champ, puis ser­gent le 4 jan­vier 1871, il est griè­ve­ment bles­sé le 19 à Buzen­val et en meurt le 27, après avoir eu la force de léguer ses effets au pro­fit des pauvres, et le Boréal à la Marine, alors que la pro­po­si­tion de sa nomi­na­tion au grade de sous-lieu­te­nant était en cours de rédac­tion. Il est enter­ré au Père-Lachaise, dans une conces­sion offerte par la Ville de Paris. 

Le che­min du Monu­ment, éri­gé à la mémoire des vic­times des com­bats de 1870–1871 sur la com­mune de Rueil, devient en 1923 une rue dépar­te­men­tale qui prend le nom de rue du Ser­gent-Gus­tave-Lam­bert en 1927, par déci­sion du conseil géné­ral de la Seine sur péti­tion du conseil muni­ci­pal de Rueil. Reclas­sée voie urbaine ruel­loise en 1934, cette rue assez en pente mène tou­jours, depuis le centre du hameau de Buzen­val, à ce monu­ment de la guerre de 1870–1871.

Le ter­rain de 3 ares 54 cen­tiares fut ache­té à un par­ti­cu­lier du nom de Sacris­tain pour 354,20 francs par la com­mune de Rueil, qui en fit don au pré­fet de la Seine par une déli­bé­ra­tion du 17 février 1873 « pour mon­trer sa recon­nais­sance à la Ville de Paris » en rai­son de son assis­tance et de son sou­tien à la popu­la­tion pen­dant la guerre, et pour per­mettre ain­si la concré­ti­sa­tion d’un vœu du Conseil géné­ral : une œuvre de Chi­piez, archi­tecte et pro­fes­seur à l’École spé­ciale d’architecture, qui a la forme d’un obus en posi­tion ver­ti­cale. Chaque 19 jan­vier s’y déroule une mani­fes­ta­tion patrio­tique et du sou­ve­nir. Depuis une déli­bé­ra­tion muni­ci­pale de juillet 1907, le che­min, qui longe le Monu­ment, au tra­cé sinueux à mi-pente, est deve­nu la rue du Général-Colonieu.

Victor Colonieu (X1843 aussi)

Colo­nieu (Vic­tor Mar­tin), né à Orange (Vau­cluse) en jan­vier 1826, entre à Poly­tech­nique dès octobre 1843, opte à la sor­tie pour le Génie et par­ti­cipe à par­tir de 1847 à l’implantation fran­çaise en Algé­rie, en Kaby­lie notam­ment. Cette terre le pas­sionne ; il apprend l’arabe dont il par­vien­dra à maî­tri­ser com­plè­te­ment la langue et s’imprègne de cette culture. Il est ver­sé dans l’infanterie pour com­man­der avec le grade de capi­taine en 1854 une des pre­mières com­pa­gnies de tirailleurs algériens. 

Il explore au péril de sa vie les oasis du sud du Saha­ra et publie­ra plu­sieurs ouvrages sur ces décou­vertes saha­riennes, contri­buant à la réflexion qui condui­ra à la créa­tion au tour­nant du siècle des mili­taires fran­çais méha­ristes, illus­trés par Fort Saganne, roman comme film de qua­li­té. On pense aus­si à la figure de Charles de Fou­cauld, offi­cier puis ermite. Colo­nieu éta­bli­ra éga­le­ment, fort de sa for­ma­tion du Génie, un rap­port cir­cons­tan­cié sur la créa­tion d’un che­min de fer trans­sa­ha­rien (pré­dé­ces­seur sur ce ter­rain du gou­ver­neur Ernest Roume : cf. La Jaune et la Rouge n° 768, rubrique His­to­riX). Lieu­te­nant-colo­nel depuis 1867, Vic­tor Colo­nieu est bles­sé par deux fois dans les com­bats de Reich­shof­fen en Alsace, puis « on le retrouve dans Paris encerclé ».

« Il explore au péril de sa vie les oasis du sud du Sahara et publiera plusieurs ouvrages sur ces découvertes sahariennes. »

Il y orga­nise le 36e régi­ment de marche qui devient le 136e de ligne et com­mande une forte uni­té lors des com­bats du 21 octobre 1870 dans le sec­teur de La Mal­mai­son, ce qui entraîne sa pro­mo­tion comme colo­nel « plein ». Le 19 jan­vier 1871, sous les ordres du géné­ral Car­rey de Bel­le­marre, il com­mande à Rueil la seule des trois « colonnes », qui réus­sit à atteindre Garches, le jour de ses 45 ans. Son atti­tude lors de ces com­bats lui vaut la cra­vate de com­man­deur de la Légion d’honneur dès le 7 février suivant. 

La même année, il retra­verse la Médi­ter­ra­née pour com­man­der le 2e RTA (régi­ment de tirailleurs algé­riens) sta­tion­né à Mos­ta­ga­nem. Il réprime ensuite l’insur­rection de Bou Ama­ma dans le Sud-Ora­nais en 1879 et reçoit les étoiles de géné­ral de bri­gade. Pro­mu ensuite divi­sion­naire en 1887, il com­mande la 22e sub­di­vi­sion mili­taire de Vannes et est éle­vé à la digni­té de grand offi­cier de la Légion d’honneur en mai 1889. À la retraite, il repart s’installer à Mos­ta­ga­nem dans cette terre algé­rienne qu’il ché­ris­sait tant, où il décède en 1902.


En illustration :

Défense de la porte de Long­boyau, au châ­teau de Buzen­val, le 21 octobre 1870
Fan­tas­sins du 24e régi­ment d’in­fan­te­rie 14613 ; Eb 1158
De Neu­ville (dit), Deneu­ville Alphonse Marie (1835−1885)
Loca­li­sa­tion : Paris, musée de l’Armée
© Paris – Musée de l’Ar­mée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l’Armée

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