Owkin : L’IA et la data au service de la recherche en oncologie

L’IA et la data au service de la recherche en oncologie

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°783 Mars 2023
Par Jean-Philippe VERT (X92)

Licorne fran­co-amé­ri­caine, Owkin capi­ta­lise sur le poten­tiel et la puis­sance de l’intelligence arti­fi­cielle afin que tous les patients puissent béné­fi­cier de la méde­cine de pré­ci­sion. Dans cet entre­tien, Jean-Phi­lippe Vert (X92), direc­teur de la R&D d’Owkin, revient sur la créa­tion de la start-up fran­çaise, son posi­tion­ne­ment, et ses apports au monde de la santé.

Quelle est la genèse d’Owkin qui est aujourd’hui une licorne franco-américaine ?

Owkin est née à Paris en 2016. Elle est le fruit de la ren­contre entre Tho­mas Clo­zel, méde­cin onco­logue, et Gilles Wain­rib (X03), pro­fes­seur en intel­li­gence arti­fi­cielle, qui par­tagent une vision com­mune sur la san­té : le futur de la méde­cine passe par l’exploration des impor­tants volumes de don­nées de patients pro­duites dans les hôpi­taux et centres de recherche grâce à tech­no­lo­gies qui garan­tissent la sécu­ri­té et la confi­den­tia­li­té de la data. Fort de ce constat, l’ambition d’Owkin est de capi­ta­li­ser sur ces grandes quan­ti­tés de don­nées pour déve­lop­per des solu­tions basées sur l’intelligence arti­fi­cielle pour la recherche médi­cale, décou­vrir et déve­lop­per de nou­veaux trai­te­ments pour les besoins médi­caux non satis­faits avec un pre­mier focus sur l’oncologie.

En 2021, Owkin est deve­nue une licorne après une prise de par­ti­ci­pa­tion et la signa­ture d’un accord stra­té­gique avec Sano­fi, le géant phar­ma­ceu­tique fran­çais, afin de trou­ver des nou­velles cibles thé­ra­peu­tiques et d’optimiser les essais cli­niques dans plu­sieurs types de can­cer. Aujourd’hui, Owkin ras­semble 270 per­sonnes répar­ties dans des bureaux à Paris, Nantes, Londres, New-York et Bos­ton. C’est aus­si une équipe R&D com­po­sée de plus de 80 ingé­nieurs et chercheurs.

Plus particulièrement, Owkin est spécialisée dans la médecine de précision. De quoi s’agit-il ?

La méde­cine de pré­ci­sion consiste à exploi­ter les don­nées bio­lo­giques d’une mala­die pour pro­po­ser à chaque patient un trai­te­ment per­son­na­li­sé et ciblé. Il s’agit, par exemple, de déco­der l’ADN d’une tumeur pour pro­po­ser des médi­ca­ments spé­ci­fiques qui ne peuvent avoir d’effets qu’à condi­tion d’avoir détec­ter des muta­tions particulières.

La dif­fi­cul­té de cette approche est d’identifier, par­mi les mil­liards de muta­tions pos­sibles, celles qui sont pré­dic­tives de la réponse au médi­ca­ment. Pour faire pro­gres­ser la méde­cine de pré­ci­sion, Owkin déve­loppe des outils basés sur l’intelligence arti­fi­cielle pour pré­dire l’effet de trai­te­ments ou le risque de réci­dives pour chaque patient indi­vi­duel­le­ment, à par­tir de nom­breuses don­nées col­lec­tées au niveau molé­cu­laire ou cel­lu­laire de la tumeur. Cette démarche per­met d’aider les méde­cins à prendre les meilleures déci­sions afin qu’ils puissent pres­crire un trai­te­ment effi­cace et évi­ter les trai­te­ments inutiles.
En paral­lèle, nous tra­vaillons éga­le­ment sur la décou­verte de nou­veaux médi­ca­ments, sus­cep­tibles d’agir sur des sous-popu­la­tions spé­ci­fiques de patients qui ne répondent pas aux trai­te­ments existants.

Et dans ce cadre, à quels besoins et problématiques répondez-vous ?

Nous vou­lons contri­buer au pro­grès médi­cal, en aidant chaque malade à rece­voir le trai­te­ment qui l’aidera à gué­rir. Pour ce faire, nous déve­lop­pons, d’une part, des outils pour aider les méde­cins à prendre des bonnes déci­sions avec les trai­te­ments exis­tants qui peuvent, par exemple, prendre la forme d’outils de diag­nos­tic rapides et pré­cis par ana­lyse auto­ma­tique d’images de biop­sies. Et d’autres part, nous iden­ti­fions des cibles thé­ra­peu­tiques et des nou­veaux trai­te­ments pour les malades ne répon­dant pas aux trai­te­ments actuels, et accé­lé­rons leur déve­lop­pe­ment cli­nique grâce à l’intelligence artificielle.

Sur un plan technologique, vous capitalisez sur le potentiel de l’intelligence artificielle. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous déployons, en effet, des tech­no­lo­gies basées sur l’intelligence arti­fi­cielle et la bio­lo­gie com­pu­ta­tion­nelle pour infé­rer des modèles pré­dic­tifs à par­tir de don­nées de patients. Pour assu­rer la sécu­ri­té et la confi­den­tia­li­té des don­nées héber­gées par nos par­te­naires, nous avons déve­lop­pé des tech­no­lo­gies dites d’apprentissage fédé­ré qui per­mettent de faire col­la­bo­rer plu­sieurs hôpi­taux ensemble sans qu’aucune don­née ou infor­ma­tion sur les patients ne sorte de chaque hôpital.

Nos modèles d’intelligence arti­fi­cielle intègrent plu­sieurs moda­li­tés (images, pro­fils molé­cu­laires, don­nées cli­niques…) qui sont géné­ra­le­ment inter­pré­tables, cau­sales, et incluent de la connais­sance a prio­ri afin de géné­rer des hypo­thèses biologiques.
En s’appuyant sur ces tech­no­lo­gies nous déve­lop­pons des solu­tions de diag­nos­tic et pro­nos­tic pour aider les méde­cins à prendre les bonnes déci­sions ; des solu­tions de décou­verte pour iden­ti­fier des nou­velles cibles thé­ra­peu­tiques et des nou­veaux médi­ca­ments pour des popu­la­tions de malades en ayant besoin ; et des solu­tions pour accé­lé­rer et réduire le coût des essais cliniques.

Pouvez-vous nous donner des exemples et des cas d’usages concrets ?

En 2022, nous avons notam­ment déve­lop­pé deux solu­tions de diag­nos­tic qui ont obte­nu la cer­ti­fi­ca­tion CE-IVD, ce qui per­met­tra leur uti­li­sa­tion en Europe. La pre­mière, Rlaps­RiskBC, est une solu­tion de pro­nos­tic basée sur l’intelligence arti­fi­cielle pour pré­dire la pro­ba­bi­li­té qu’une per­sonne atteinte d’un can­cer du sein pré­coce rechute après le pre­mier trai­te­ment. Cette solu­tion per­met donc aux méde­cins d’identifier les patientes à haut risque qui peuvent béné­fi­cier d’un trai­te­ment ciblé et celles à faible risque qui peuvent donc évi­ter la chi­mio­thé­ra­pie. Le modèle, déve­lop­pé en col­la­bo­ra­tion avec des équipes de l’Institut Gus­tave Rous­sy, s’appuie sur une image numé­rique d’échantillon de la tumeur obte­nue en rou­tine à l’hôpital, et démo­cra­tise ain­si l’accès à la méde­cine de précision.

La seconde solu­tion, MSIn­tuit CRC, per­met de dépis­ter rapi­de­ment et sim­ple­ment, à par­tir d’une image de la tumeur les patients atteints de can­cer colo­rec­tal en iden­ti­fiant les cel­lules qui ont une ano­ma­lie molé­cu­laire connue sous le nom de d’instabilité micro­sa­tel­lite, ce qui les rend plus sen­sibles à l’immunothérapie.

Quelles sont les prochaines étapes pour Owkin ? Comment vous projetez-vous sur le marché de la HealthTech ?

Nous avons de nom­breux pro­jets en cours. Nous vou­lons étendre notre réseau de par­te­naires pour aug­men­ter la quan­ti­té et la qua­li­té des don­nées sur les­quelles nos solu­tions s’appuient, en explo­rant notam­ment des moda­li­tés comme la trans­crip­to­mique spa­tiale et à cel­lule unique qui per­mettent d’explorer les tis­sus com­plexes comme le microen­vi­ron­ne­ment tumo­ral. En paral­lèle, en nous appuyant sur ces don­nées, notre ambi­tion est de conti­nuer à amé­lio­rer nos tech­no­lo­gies d’intelligence arti­fi­cielle au ser­vice de la décou­verte de nou­velles cibles thé­ra­peu­tiques afin de mettre sur le mar­ché des trai­te­ments nou­veaux d’ici quelques années.

Poster un commentaire