Résultat d'une génération dans Makya.

Quand l’IA et les nouvelles technologies accélèrent la recherche pharmaceutique

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°783 Mars 2023
Par Quentin PERRON

Quen­tin Per­ron, doc­teur en chi­mie et cofon­da­teur d’IKTOS, nous explique com­ment cette jeune pousse fran­çaise a déve­lop­pé deux tech­no­lo­gies de pointe pour opti­mi­ser la recherche de can­di­dat – médi­ca­ments. Ren­contre.

Comment est née votre start-up ?

C’est avant tout le fruit d’une aven­ture humaine et de ma ren­contre avec Yann Gas­ton-Mahé (X2000) et Nico­las Do Huu, doc­teur en intel­li­gence arti­fi­cielle. Après un pas­sage chez Ser­vier où j’ai prin­ci­pa­le­ment fait de la chi­mie médi­ci­nale, j’ai rejoint une start-up pari­sienne afin de déve­lop­per une offre en machine lear­ning dédiée à la chi­mie. C’est à par­tir de là que nous avons eu l’idée, avec Nico­las, de tra­vailler sur des modèles géné­ra­tifs basés sur les tech­no­lo­gies NLP (Natu­ral Lan­guage Pro­ces­sing) appli­cables à la chi­mie. Concrè­te­ment, l’idée de départ a été d’encoder les molé­cules sous forme de texte afin de les sou­mettre à des algo­rithmes d’IA. À l’instar des IA qui génèrent du texte (ChatGPT) notre IA a ain­si été entrai­née pour ima­gi­ner de nou­velles molé­cules. Nous avons fait plu­sieurs tests concluants et avons ain­si déve­lop­pé les pre­miers modèles géné­ra­tifs pour ima­gi­ner de nou­velles molé­cules dès 2015. À par­tir de là, nous nous sommes rap­pro­chés de Yann, qui avait une longue expé­rience dans le monde phar­ma­ceu­tique, notam­ment au sein de Ser­vier et Ipsen, afin de créer la société.

Aujourd’hui, quel est votre positionnement ?

IKTOS est posi­tion­né sur le seg­ment de la recherche de can­di­dat-médi­ca­ment. Dans le monde de la recherche médi­cale et phar­ma­ceu­tique, la décou­verte d’un can­di­dat-médi­ca­ment est un pro­ces­sus extrê­me­ment long. Pre­nons une ana­lo­gie. C’est une démarche qui s’apparenterait à l’étude d’une ser­rure (pro­téine, enzyme…) afin de lui iden­ti­fier la bonne clé (molé­cule). Et c’est jus­te­ment la décou­verte de cette clé qui prend plu­sieurs années. Dans le pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment d’un médi­ca­ment, cette étape est en amont des essais cli­niques, c’est le domaine de la chi­mie médi­ci­nale ou encore du « drug desi­gn ». Dans ce cadre, l’ambition d’IKTOS est d’aider à desi­gner cette « clé » en rédui­sant les délais et les coûts de 30 à 40%, qui sont en moyenne res­pec­ti­ve­ment de trois ans et une dou­zaine de mil­lions d’euros.
Nous avons lan­cé notre acti­vi­té en 2017 et, aujourd’hui, nous sommes une cin­quan­taine de per­sonnes répar­ties entre notre siège à Paris, et nos antennes aux États-Unis, en Angle­terre et au Japon.

Vous proposez d’ores et déjà deux technologies : un modèle génératif et la rétrosynthèse. À quels enjeux et problématiques permettent-elles de répondre ?

Notre ambi­tion est d’appliquer le poten­tiel de l’intelligence arti­fi­cielle à la chi­mie orga­nique et à la chi­mie médi­ci­nale en par­ti­cu­lier. Pour ce faire, nous avons déve­lop­pé deux solu­tions tech­no­lo­giques. La pre­mière, Makya, est une pla­te­forme de logi­ciel dite de « de novo desi­gn » sur laquelle un chi­miste va sou­mettre les don­nées de son pro­jet afin que Makya ima­gine et génère auto­ma­ti­que­ment de nou­velles molé­cules qui sont pré­dites opti­males sur un ensemble d’objectifs pré­dé­fi­nis par le chimiste.
Jusque-là, le desi­gn des molé­cules était un exer­cice réa­li­sé par un chi­miste qui mobi­li­sait ses connais­sances, ses exper­tises et son expé­rience pour ima­gi­ner de nou­velles struc­tures molé­cu­laires. Grâce à notre solu­tion, Makya extrait auto­ma­ti­que­ment, à par­tir des don­nées du pro­jet de chi­mie médi­ci­nale qui lui est sou­mises, des lignes direc­trices pour desi­gner via l’IA une molé­cule qui va maxi­mi­ser les objec­tifs du pro­jet. Makya vient ain­si assis­ter les chi­mistes dans cet exer­cice de desi­gn de nou­velles molécules.

« Notre ambition est d’appliquer le potentiel de l’intelligence artificielle à la chimie organique et à la chimie médicinale en particulier. »

Dans le cadre de cette géné­ra­tion de nou­velles molé­cules, l’enjeu est que ces der­nières puissent ensuite être faci­le­ment pro­duites. Si l’intelligence arti­fi­cielle va trou­ver des molé­cules qui sont « a prio­ri » actives, stables, solubles, non toxiques… encore faut-il qu’elles puissent être syn­thé­ti­sées dans un délai et à un coût rai­son­nable par un labo­ra­toire ! Conscients de cette contrainte, nous avons créé une seconde IA, Spaya, dont le rôle est jus­te­ment de s’assurer qu’à par­tir de la chi­mie connue (dis­po­nible dans la lit­té­ra­ture) et des com­po­sées com­mer­ciaux, ven­dus par divers four­nis­seurs, il existe un sché­ma de syn­thèse, une « recette », pour pré­pa­rer cette nou­velle molé­cule ima­gi­née par Makya.

La com­bi­nai­son de ces deux tech­no­lo­gies que nous avons déve­lop­pées est unique sur le mar­ché, car elle couvre aus­si bien la dimen­sion modèle géné­ra­tif que l’axe syn­thé­tique, alors que la plu­part des autres acteurs posi­tion­nés sur ce seg­ment vont uni­que­ment cou­vrir le volet modèle géné­ra­tif ou uni­que­ment le volet syn­thèse. Dis­po­nibles en mode SaaS sur AWS, ces deux tech­no­lo­gies s’adressent en prio­ri­té aux chi­mistes médi­ci­naux et chi­mistes computationnels.
Enfin, nous avons publié un papier avec Ser­vier qui met en évi­dence le poten­tiel et la valeur ajou­tée de nos tech­no­lo­gies. Sur un pro­jet pour lequel il n’avait pas été pos­sible d’identifier un can­di­dat-médi­ca­ment après plu­sieurs années, Makya a réus­si en moins d’un mois à iden­ti­fier plu­sieurs molé­cules très pro­met­teuses dont une rem­plis­sant pour la pre­mière fois, l’entièreté du cahier des charges. Depuis le lan­ce­ment de nos tech­no­lo­gies, nous avons tra­vaillé sur plus de 50 pro­jets avec les plus grands indus­triels phar­ma­ceu­tiques tels que Pfi­zer, Merck, Janssen…

Aujourd’hui, dans le cadre de votre développement, quels sont vos principaux défis ?

IKTOS est en pleine crois­sance et est aujourd’hui bien iden­ti­fié comme un par­te­naire capable de pro­po­ser des solu­tions tech­no­lo­giques inno­vantes et per­for­mantes. Néan­moins un réel défi de « change mana­ge­ment » s’offre à nous afin que les chi­mistes adoptent et uti­lisent nos solu­tions. En effet, l’IA géné­ra­tive per­turbe les méthodes de tra­vail his­to­riques et oblige les uti­li­sa­teurs à abor­der leur métier dif­fé­rem­ment face à l’émergence de ces nou­veaux outils.
En paral­lèle, nous tra­vaillons aus­si sur l’évolution de notre modèle. Aujourd’hui, grâce à Makya et Spaya, nous sommes en mesure de desi­gner et de confir­mer la fai­sa­bi­li­té de la fabri­ca­tion d’une molé­cule. Dans cette conti­nui­té, la pro­chaine étape pour IKTOS est de se doter de son propre labo­ra­toire pour pro­duire des molé­cules en ayant recours à la robo­tique. Ce cou­plage IA et robo­tique est au cœur d’IKTOS Robo­tics que nous lan­çons cette année avec la créa­tion d’un labo­ra­toire qui compte déjà deux chi­mistes. Au-delà, nous cher­chons aus­si à déve­lop­per le volet « Inte­gra­ted Drug Dis­co­ve­ry Ser­vices » ou IDDS, c’est-à-dire la prise en charge à 100 % de pro­jets de recherche phar­ma­ceu­tiques, du desi­gn jusqu’aux tests en pas­sant par la syn­thèse. Jusqu’alors, nous met­tions, à la dis­po­si­tion des acteurs phar­ma­ceu­tiques, un accom­pa­gne­ment tech­no­lo­gique et logi­ciel au tra­vers de Makya et Sapya, aujourd’hui, nous ambi­tion­nons de prendre en charge leur pro­jet de A à Z.

Et pour relever l’ensemble de ces défis, quelles sont les compétences que vous recherchez ?

Sur la par­tie tech­no­lo­gique et le déve­lop­pe­ment de nos solu­tions, nous recher­chons des experts en IA, Machine Lear­ning, mais aus­si des deve­lop­pers et des ingé­nieurs en cloud com­pu­ting. Nous recru­tons bien évi­dem­ment des chi­mistes médi­ci­naux et com­pu­ta­tion­nels. Nous cher­chons aus­si un direc­teur du déve­lop­pe­ment com­mer­cial notam­ment pour l’offre IDDS et Robo­tics, afin de nouer de nou­veaux par­te­na­riats ambi­tieux avec des acteurs de l’industrie phar­ma­ceu­tique. Avis aux intéressés !

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