À l’Est, du nouveau

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°782 Février 2023
Par Jean SALMONA (56)

L’Éternel Dieu plan­ta un jar­din en Eden, du côté de l’est, et il y mit l’homme qu’il avait façonné.

Genèse, 2.4−25

Amu­sez-vous à faire un comp­tage : par­mi les com­po­si­teurs majeurs des XIXe et XXe siècles, com­bien sont ori­gi­naires d’Europe de l’Est ? Et quand vous aurez comp­té les Russes, de Tchaï­kovs­ki à Chos­ta­ko­vitch en pas­sant par Pro­ko­fiev, Boro­dine, Gla­zou­nov, Wein­berg, Mous­sorg­ski, Mias­kovs­ki, Rach­ma­ni­nov, pour ne citer que les prin­ci­paux, les Aus­tro-Hon­grois Liszt, Mah­ler, Bartók, Kodá­ly, Enes­co, Schoen­berg, Alban Berg, Webern, Zem­lins­ky, les Tchèques Sme­ta­na, Dvořák, Janáček, vous serez sub­mer­gé par le nombre, qui dépasse lar­ge­ment celui des grands com­po­si­teurs alle­mands, fran­çais, ita­liens, anglais, de la même période.

Nous lais­se­rons à d’autres l’analyse de cette situa­tion, mais c’est un fait : le pôle de la créa­tion musi­cale en Europe, au cours des deux siècles pré­cé­dents, est à l’est. 


Kodály, Enesco, Janáček

Sous le titre Par­lan­do, un groupe de jeunes musi­ciens conduits par le vio­lon­cel­liste Jéré­my Gar­barg a réuni trois œuvres ins­pi­rées par les tra­di­tions folk­lo­riques de l’Europe de l’Est : la Sonate pour vio­lon­celle seul de Kodá­ly, le Trio n° 1 d’Enesco, le 1er Qua­tuor « Sonate à Kreut­zer » de Janáček. La Sonate de Kodá­ly est typi­que­ment et joli­ment hon­groise ; le Trio d’Enesco, œuvre de jeu­nesse rare­ment enre­gis­trée, roman­tique et fau­réen. Le Qua­tuor de Janáček, plus connu, une des œuvres les plus fortes du com­po­si­teur, a l’ambition non de décrire la nou­velle épo­nyme de Tol­stoï mais d’évoquer les émo­tions res­sen­ties à sa lec­ture. La divine sur­prise de ce disque est la qua­li­té ines­pé­rée de l’interprétation par ce groupe de jeunes musi­ciens incon­nus à ce jour de la scène média­tique : une merveille. 

1 CD FUGA LIBERA 


Trois sonates de Janáček, Bartók, Brahms

La vio­lo­niste Patri­cia Kopat­chins­ka­ja forme avec le pia­niste d’exception qu’est Fazil Say un duo ébou­rif­fant de vir­tuo­si­té et de créa­ti­vi­té dans l’interprétation. Ils ont choi­si d’enregistrer trois sonates pour vio­lon et pia­no de la fin du XIXe siècle et du début du XXe : la Sonate de Janáček, la 3e Sonate de Brahms, la Sonate n° 1 de Bartók. La Sonate de Janáček est déchi­rante, elle va droit au cœur. Celle de Brahms, une de ses der­nières œuvres, mer­veilleu­se­ment mélo­dique et nos­tal­gique, est jouée ici comme du Debus­sy, légère, sub­tile, impres­sion­niste. La Sonate n° 1 de Bartók, com­po­sée en 1921, dia­bo­lique pour les inter­prètes, à la limite de l’abstraction, tourne le dos au roman­tisme et ouvre la voie à toute la musique moderne

1 CD ALPHA 


Prokofiev

Des cinq concer­tos pour pia­no de Pro­ko­fiev, un seul est fré­quem­ment joué, le troi­sième. On entend par­fois le pre­mier. Le deuxième n’est pra­ti­que­ment jamais joué. On peut le décou­vrir dans l’enregistrement récent de l’Orchestre phil­har­mo­nique de l’Oural diri­gé par Dmi­try Liss avec le pia­niste Andrei Koro­bei­ni­kov. Créé en 1913, c’est une œuvre « d’une grande force émo­tion­nelle, d’une for­mi­dable liber­té lyrique, d’un souffle et d’une puis­sance océa­niques » (Yele­na Kri­vo­no­go­va). Il mérite, pour le décou­vrir, plu­sieurs écoutes suc­ces­sives, mais cela en vaut la peine. Quelle richesse mélo­dique, har­mo­nique, ryth­mique ! On pour­ra même le pré­fé­rer, in fine, au troi­sième. Sur le même disque, la Deuxième Sym­pho­nie de Pro­ko­fiev, œuvre ico­no­claste et construc­ti­viste en deux mou­ve­ments. Mais la vraie décou­verte est celle du pia­niste Koro­bei­ni­kov et de l’Orchestre phil­har­mo­nique de l’Oural, qui se révèle une for­ma­tion de classe mon­diale. De Gaulle situait l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural » ; donc : de grands inter­prètes européens.

1 CD FUGA LIBERA


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