Cinq films sortis au cinéma en janvier 2023

Le tourbillon de la vie / Vivre / Les survivants / Nostalgia / L’Immensità

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°782 Février 2023
Par Christian JEANBRAU (63)

Dans ce nou­veau cycle ciné­ma­to­gra­phique, on n’a aucun mal à oublier Le par­fum vert de Nico­las Pari­ser, désas­treux, et Les années super-huit, d’Annie Ernaux & fils, com­pi­la­tion de dia­pos de vacances qu’un Nobel ne suf­fit pas à excu­ser. On se prive ensuite, mais avec un pin­ce­ment au cœur, de La pas­sa­gère, d’Héloïse Pel­lo­quet, par trop réduit à la beau­té lumi­neuse et solaire de Cécile de France, avant d’écarter, mal­gré sa sin­cé­ri­té et son thème, le médiocre Tirailleurs, de Mathieu Vade­pied. D’où le quin­tette du mois… 

Le tourbillon de la vie

Réa­li­sa­teur : Oli­vier Trei­ner – 2 h 01

Le mon­tage est vir­tuose et les acteurs excel­lents. La gageure était d’importance avec ce trop-plein de vies en paral­lèle pour Julia, au gré de tant de grains de sable aléa­toires… mais le pari est gagné. On suit, on s’y retrouve, on ne se perd dans aucun chan­ge­ment de plan. Le kaléi­do­scope est a prio­ri dif­fi­ci­le­ment com­pa­tible avec la pro­fon­deur, celle-là même pour­tant que par­viennent à don­ner, bico­lonne ver­té­brale du récit, Lou de Laâge (pré­cise et juste dans toutes ses incar­na­tions) et Gré­go­ry Gade­bois, tan­dis qu’un peu en arrière Raphaël Per­son­naz déploie tout le charme de sa convain­cante pré­sence. La longue séquence finale en forme d’épilogue, inat­ten­due, hésite, puis par­vient à échap­per à la miè­vre­rie, por­tée par le chœur des esclaves de Nabuc­co (Va pen­sie­ro – Verdi).


Vivre

Réa­li­sa­teur : Oli­ver Her­ma­nus – 1 h 42

Bri­tish, for­mi­da­ble­ment bri­tish, avec l’étonnement qu’il s’agisse d’une trans­po­si­tion (un remake) d’un film de Kuro­sa­wa de 1952, et la sur­prise qu’il y ait à l’origine une relec­ture de La mort d’Ivan Ilitch (Tol­stoï) au fil nar­ra­tif pour­tant très éloi­gné. Bill Nighy est par­fait. Un flé­chis­se­ment psy­cho­lo­gique pas­sa­ger à l’annonce de son can­cer est aus­si celui du film, mais les deux se res­sai­sissent magni­fi­que­ment et, échap­pant au dan­ger du tire-larmes, le diver­tis­se­ment devient un grand film, puis­sam­ment maî­tri­sé sous l’unders­tate-ment des com­por­te­ments, cette litote bri­tan­nique si pleine de signi­fi­ca­tion qui se déploie ici mer­veilleu­se­ment. Tous les acteurs sont à leur place et Aimée Lou Wood déli­cieuse en rayon de soleil. Le par­cours ter­mi­nal sur son che­min de Damas de ce vieux bureau­crate guin­dé, dans son amer­tume lumi­neuse, est une très riche en même temps qu’assez déses­pé­rante leçon.


Nostalgia

Réa­li­sa­teur : Mario Mar­tone – 1 h 57

On sait que ça fini­ra mal et cette cer­ti­tude dérange, qui souligne
à chaque pas qu’il fait dans ce Naples aux épais­seurs popu­laires pleines de menaces com­bien ce retour du héros, qua­rante ans après, est une absur­di­té idéa­li­sée. C’est un beau film pesant tout entier empli du rica­ne­ment du des­tin devant la naï­ve­té désar­mante d’une telle nos­tal­gie aveu­glée. On a sans cesse envie, comme les spec­ta­teurs aux temps du muet, de crier depuis la salle
à ce pauvre Pier­fran­ces­co Favi­no : « Repars ! » Il ne voit rien, il n’entend rien, ne com­prend rien. Mor­tel déni. La res­ti­tu­tion fidèle d’un Naples bouillon­nant et pois­seux, la belle figure paral­lèle d’un prêtre éner­gique et résis­tant, de for­mi­dables acteurs et, au bout, le goût amer d’un par­cours qui va de lui-même à l’inévitable gâchis.


Les survivants

Réa­li­sa­teur : Guillaume Renus­son – 1 h 32

Ten­sion constante et explo­sions de vio­lence. L’impressionnante épais­seur mutique de Denis Méno­chet et la beau­té ici contra­riée de Zar Amir Ebra­hi­mi construisent en drame indi­vi­duel la ques­tion des migrants, avec ses élans d’humanité vraie et d’odieuse xéno­pho­bie. L’écran est enva­hi par une pour­suite impi­toyable à tra­vers la neige et le froid, où deux incon­nus l’un à l’autre vont ouvrir et sus­pendre dans le temps une paren­thèse muette emplie d’une pro­vi­soire et magni­fique et obs­ti­née solidarité.


L’immensità

Réa­li­sa­teur : Ema­nuele Cria­lese – 1 h 37

La mer­veilleuse Pene­lope Cruz dans un film immen­sé­ment triste. C’est l’échec du couple bour­geois avec mari sédui­sant, tyran­nique, macho, infi­dèle et fina­le­ment imbu­vable, belle épouse au foyer déses­pé­rée et trois enfants. L’aînée se vou­drait aîné et est en route pour se trans­gen­rer ; le cadet, irré­pres­sible bou­li­mique en sur­poids pré­coce, mange ; et l’adorable ben­ja­mine tâche de sau­ver ce qui se peut. Trois acteurs juvé­niles par­faits dans cette sub­tile et poi­gnante nar­ra­tion au long cours et à hau­teur d’enfant d’un pay­sage affec­tif affli­geant et qu’on redoute arché­ty­pique. Et puis – com­ment ne pas le redire ? – la mer­veilleuse Pene­lope Cruz.

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